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Tchad: une présidentielle ouverte qui se tient dans un climat de tension

Au Tchad, la population en âge de voter s’apprête à aller aux urnes ce lundi dans une présidentielle censée mettre fin à une transition qui a duré trois ans, et après trois semaines de campagne électorale qui finalement suscité de l’engouement pour un scrutin que beaucoup pensaient « joué d’avance », mais aussi des tensions. Mais cette transition ne sera définitivement close qu’avec la mise en place d’une Assemblée nationale, un Sénat et des autorités locales élues, selon la nouvelle constitution. La date de ces scrutins n’a pas encore été fixée.



« Ici, nous sommes à la Faculté des sciences exactes et appliquées. On nous a promis des bourses, des puces, la restauration, mais on n’a rien eu, il fait horriblement chaud et nous sommes dans des salles de cours sans climatisation, nous n’avons aucun laboratoire et on habite dans des quartiers qui n’ont pas eu d’électricité depuis plus d'un ou deux mois alors que le Tchad est un pays pétrolier », s’emporte Nicaise un étudiant de 25 ans, sous les vivats de nombreux condisciples, à l’entrée de sa faculté, sur la route de Farcha.
 
Nicaise pour qui « ce n’est qu’une petite partie des problèmes que nous sommes confrontés tous les jours », rappelle qu’ils sont pourtant de « futurs cadres sans aucun espoir pour demain, car c'est le chômage qui nous attend ». Au Tchad, des milliers de jeunes diplômés se rabattent sur de petits métiers tels que « clando », moto-taxi, faute d’un travail bien rémunéré. « Il faut que les choses changent lundi pour la présidentielle », s’est-il écrié encore une fois sous les applaudissent d’une vingtaine d’étudiants, tous en sueur. Il fait 44 °C à l’ombre en ce début d’après-midi.
 
Dix candidats pour un poste de président
Ce jour-là, lundi 6 mai, plus de 8 millions de Tchadiens sont appelés aux urnes afin de départager 10 candidats dans un scrutin présidentiel qui doit mettre fin à une transition de trois ans qui a débuté en avril 2021 à la suite du décès d’Idriss Deby Itno, tué officiellement dans l’ouest du Tchad lors d’une offensive des rebelles du Fact.
 
Après plus de 30 ans de pouvoir de Deby père, c’est son fils, Mahamat Idriss Déby, qui a été installé, dans la foulée, sur le fauteuil présidentiel par les généraux de l’armée tchadienne. Candidat à la présidentielle, le jeune général vise à « légitimer » son pouvoir lors d’un scrutin considéré comme crucial, après trois années d’une transition ponctuée d’épisodes sanglants qui lui aura permis de consolider ses assises.
 
« Le scrutin de lundi est crucial pour lui. S’il est adoubé par le peuple, cela va lui permettre de s’affranchir de son statut de simple héritier de son père », estime le chercheur Remadji Hoïnaty. « Mais rien n’est joué d’avance, puisque la campagne électorale a montré que la compétition était plus ouverte que ce qu’on croyait au départ », a-t-il ajouté. Sur les neuf autres candidats en lice, Succès Masra son actuel Premier ministre et l’un de ses plus farouches opposants jusqu’à la signature de l’accord de Kinshasa qui lui a permis de revenir d’exil fin 2023, était considéré par de nombreux Tchadiens et des spécialistes plutôt comme « un faire-valoir et un accompagnateur » dans « un scrutin totalement verrouillé ».
 
Vers un duel Succès Masra face à Mahamat Idriss Déby
Mais ses nombreux meetings de campagne qui ont drainé des foules impressionnantes, ses coups de griffes échangées à distance avec le président de transition, qui de son côté a pris de l’assurance au fil des jours, a changé la donne, de l’avis de nombreux Tchadiens. « Après avoir vu les meetings de [Succès] Masra, une partie des Tchadiens qui s’étaient désintéressés de ce scrutin pensent que c’est un candidat sérieux et qu’il peut gagner », assure le sociologue Gondeu Ladiba. « Cela a eu pour conséquence un regain certain pour la présidentielle que tout le monde peut constater sur le terrain ».
 
De son côté, Mahamat Idriss Déby peut compter sur une coalition de plus de 210 partis politiques menées par le MPS, le parti fondé par son père et qui a dirigé le Tchad pendant plus de 30 ans, ainsi que plus de 1 000 associations de la société civile, une Agence nationale de gestion des élections (Ange) et une cour constitutionnelle dirigée par des caciques du MPS et une armée qui l’a porté au pouvoir, explique le même sociologue.
 
« Le président de transition parie lui aussi sur une victoire, car le système a mis en place tout ce qu’il faut pour qu’il gagne, l’enjeu étant de savoir s’il y aura un second tour », conclut-il, ajoutant que de son côté, Albert Pahimi Padacké, premier Premier ministre de transition de Mahamat Idriss Déby « est le 3e homme de cette présidentielle ». « Il est en embuscade et pourrait être le faiseur de roi en cas de second tour », prédit Gondeu Ladiba, qui rappelle qu’il était 2e avec plus de 10% lors de la dernière présidentielle en 2021.
 
Des ONG pointent la crédibilité du scrutin
Mais alors que les tensions montent entre les deux principaux candidats, – le parti des Transformateurs a dénoncé l’incendie de certains de ses bureaux, notamment à Ndjamena ou encore l’arrestation de certains de ses militants lors de cette campagne, alors que le camp de Mahamat Idriss Déby pointait des propos « inadmissibles » de la part de Succès Masra –  des organisations nationales et internationales des droits de l’homme se sont dits « préoccupées par la situation des droits humains et la crédibilité du scrutin » jeudi 2 mai, dans un communiqué.
 
La Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), la Ligue tchadienne des droits de l’Homme (LTDH) et l’Association Tchadienne pour la promotion des droits humains (ATPDH) parlent « d’une élection qui semble ni crédible, ni libre, ni démocratique », exigent « le déploiement d’observateurs internationaux pour veiller au bon déroulement de l’élection en vue de prémunir le Tchad d’une crise post-électorale ».
 
Tout en pointant « la multiplication des violations des droits humains, y compris la répression violente des manifestations pacifiques, les attaques sur les défenseurs et le règne de l’impunité », selon leur communiqué.
 
La période de transition a été ponctué de plusieurs épisodes sanglants tels que la répression des manifestations contre la transition du 20 octobre 2022 et qui ont fait de 75 à plus de 300 tués selon les sources, et plus récemment de la mort d’un des plus farouches opposant à Mahamat Idriss Déby, son cousin Yaya Dillo, lors de l’assaut du siège de son parti par des forces de sécurité lourdement armés.
 
« La grande question est de savoir ce que sera l’attitude de l’armée tchadienne, qui contrôle en réalité les principaux leviers du pouvoir ? Va-t-elle accepter le résultat des urnes quel qu’il soit ? », se demande un haut cadre tchadien, sous anonymat. « Ça fait six élections présidentielles consécutives que le pouvoir a été confisqué. Un Tchadien qui est né sous Idriss, aujourd'hui, il a 30 ans. On nous dit qu'on est en démocratie, mais tout est mis en œuvre pour que son fils le remplace et donc, pour nous, c'est infaisable, ce n’est pas possible ! », a réagi Max Kemkoye, le président du Groupe de concertation des acteurs politiques, qui fait campagne pour le boycott de la présidentielle.
 
« Et c’est l’armée qui contrôle le pouvoir depuis tout ce temps-là, je ne les vois pas le lâcher », a-t-il tranché. « Faux », a répondu un haut gradé, « l’armée tchadienne est nationale et républicaine ».
 
« La présidentielle peut être porteuse de danger »
« La présidentielle peut être porteuse de danger au cas par exemple le candidat Masra proclame sa victoire le 7 mai, car le candidat président […] et sa machine de guerre ne se laisseront pas faire », prévient l’anthropologue Saly Bakary, en expliquant que « le déploiement des forces militaires dans le sud du pays considéré comme le fief de Masra sont de signes précurseurs. »
 
« Pour les tenants du pouvoir, la paix dépendra de la conduite de M. Masra. S'il continue son attitude collaboratrice, rien ne va se passer. Dans le cas contraire, le danger est réel », estime l’anthropologue.
 
Mais Succès Masra, qui se dit également certain de l’emporter au premier tout, estime que « il n'y a pas de raison que l'Ange ou qui que ce soit publie des résultats autres que la vérité des urnes », alors que l’opposition met en doute « la transparence » du scrutin à venir, en pointant un code électoral n’ayant pas prévu l’affichage des procès-verbaux de dépouillement dans les bureaux de vote ou leur remise aux mandataires des candidats, et que l’Ange a fortement déconseillé de les prendre en photos sous peine de sanctions si cela cause des troubles à l’ordre public.
 
Mais le Premier ministre, qui se dit « prévoyant », a appelé ses militants à être des « vigies » en se rendant massivement dans les bureaux de vote pour assister au dépouillement et à la proclamation publique des résultats, comme prévu par la loi. « C'est d'ailleurs la meilleure manière de donner confiance à tout le monde, et d'éviter tout ce qui peut amener des soupçons de manque de transparence », plaide-t-il.
 
L’annonce de l’Ange sur les photos ? Balayée du revers de la main par Succès Masra : « ce qui est lu peut être filmé, peut être enregistré. Le président de l’Ange donne des conseils, un conseil, ça peut être suivi ou ne pas être suivi », a-t-il tranché.
 
Les Tchadiens ont rendez-vous avec leur destin et nombreux parmi rencontrés dans les rues de Ndjamena se disent prêts à aller remplir leur devoir civique.

RFI

Samedi 4 Mai 2024 - 11:55


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