Abdoulaye Wade: "Je n'ai pas d'héritier"

Mercredi 9 mars 2011, SlateAfrique a passé deux heures avec le président sénégalais Abdoulaye Wade à Paris, dans la résidence du Sénégal. Ce dernier venait de s’entretenir longuement au téléphone avec le colonel Kadhafi, à qui il a demandé d’arrêter les bombardements sur les civils. Très disert, il pense déjà à la campagne présidentielle de 2012.



La prochaine présidentielle au Sénégal

SlateAfrique - Martine Aubry aurait dit que ce n’était pas forcément une bonne idée que vous vous présentiez pour un nouveau mandat.
A.W. - Elle n’a jamais dit ça. Les médias racontent n’importe quoi. Ecoutez l’enregistrement, vous constaterez qu’elle n’a pas dit ça du tout. Ce sont les journalistes qui ont voulu la pousser en lui posant la question six ou sept fois. Martine Aubry a dit: «Je ne veux pas intervenir dans les affaires intérieures sénégalaises, mais, d’après ce que l’on m’a expliqué et l’article de la Constitution que l’on m’a montré, il ne peut pas se représenter.» Elle n’a pas dit: «Il ne doit pas se représenter.» J’ai écouté l’enregistrement, c’est pourquoi je l’ai reçue. Très amicalement avec quelques collaborateurs et nous avons déjeuné. A la fin du repas, elle m’a demandé si elle pouvait me poser une question: «Vous pouvez vous présenter?». J’ai répondu «oui» et elle m’a demandé de lui expliquer.

L’article 27 de la Constitution du Sénégal stipule que «la durée du mandat du président est de sept ans, il n’est renouvelable qu’une seule fois». C’est l’alinéa 1, mais cet article a été modifié plusieurs fois. Moi j’ai été élu en 2000 sur la base de la Constitution de 1963. Donc une très vieille Constitution qui avait établi des dispositions de cette nature. Quand j’étais dans l’opposition, j’avais décidé de ramener le mandat à cinq ans. Mais, une fois élu, je me suis rendu compte que cinq ans en Afrique c’est trop peu. Parce qu’en cinq ans personne ne peut réaliser des choses suffisantes pour convaincre les populations, c’est impossible. Après les élections, peut-être que le pouvoir a un an et demi pour retrouver ses marques, pour commencer à envisager ses projets. Et un an et demi avant les élections, c’est déjà la campagne électorale. Quand est-ce que le gouvernement va avoir le temps de faire les réalisations pour présenter un bilan? Alors je me suis dit que c’était un mauvais cadeau que j’allais laisser à mon successeur, c'est-à-dire une source d’instabilité.

J’avais ramené moi-même le mandat de sept ans à cinq ans puis j’ai engagé une procédure plus tard pour ramener le mandat de cinq ans à sept ans. J’ai expliqué à Madame Aubry qu’il y a trois thèses, trois positions sur cette question, et dans chacune vous avez au moins deux professeurs agrégés de droit constitutionnel. La première thèse dit que le président Wade ne peut pas se présenter du tout. A la lecture de l’article 27. Il a déjà fait un mandat de sept ans. La modification que j’avais apportée c’est après avoir été élu pour sept ans. En 2007, mon premier mandat terminé, j’ai été élu pour cinq ans. Se pose le problème de la non rétroactivité car cette disposition a été prise en 2008. Selon la deuxième thèse, la loi est d’application immédiate. Le mandat en cours, il faut le prendre en considération. Les tenants de cette thèse considèrent que le président Wade peut se représenter, car il n’a pas effectué deux mandats de sept ans. La troisième thèse dit que les lois sont faites pour le futur. La nouvelle loi doit commencer à la première élection qui suit cette décision, à savoir l’élection de 2012. Il a donc deux mandats derrière lui.

Martine Aubry m’a demandé ce que j’en pensais. Je lui ai répondu: «Je laisse la justice se prononcer sur cette question, tout est très clair. C’est au conseil constitutionnel de déclarer les candidatures recevables ou non recevables.» Mais je vous signale qu’il y a actuellement une proposition de loi pour interpréter l’article 27 et qui demande aux députés: est-ce que ça s’applique au passé ou est-ce que ça s’applique à partir de 2012? J’ai une majorité à l’Assemblée nationale, mais cette proposition de loi je vais la retirer. Je vais m’en référer plutôt à la décision du conseil constitutionnel.

Une nouvelle candidature Abdoulaye Wade

SlateAfrique - On peut dire que vous êtes d’ores et déjà candidat?
A.W. - Oui, mais je n’ai pas encore commencé ma campagne.

SlateAfrique - Quels sont les points sur lesquels vous souhaitez mettre l’accent?
A.W. - Mes réalisations. Je veux terminer mon programme, celui que j’ai élaboré en 1999, à Paris, pour la campagne des élections de 2000. Certaines sont terminées et d’autres sont encore en cours, comme l’achèvement de l’aéroport de Dakar: le plus grand aéroport d’Afrique, qui devait être inauguré en avril mais qui le sera en décembre.

Il y a le chemin de fer Dakar-Bamako qui date de 1886. Personne dans les gouvernements précédents n’a essayé de s’attaquer à cette question. Moi je veux m’y lancer et je suis en discussion avec la Chine, avec le Mali pour construire ce tronçon de Dakar à Bamako [capitale du Mali, ndlr]. L’Union africaine m’a confié la réalisation du chemin de fer de Dakar à Djibouti et de Djibouti à Libreville [capitale du Gabon]. Cela fait partie de mon portefeuille en tant que coordinateur des infrastructures. Je ne pourrai pas tout réaliser, mais je commencerai par le Dakar-Bamako avant de quitter le pouvoir, car les études sont pratiquement terminées.

J’ai aussi la réalisation d’un certain nombre de ponts vitaux pour le Sénégal: je viens de terminer un pont dans la région de Tambacounda, j’ai fait deux ou trois ponts dans le nord, j’ai terminé le fameux pont de Saint-Louis, que l’on appelait le pont Faidherbe. Je dois aller l’inaugurer. J’ai lancé un projet de sept grandes œuvres culturelles. Un premier élément c’est la gare de Dakar construite en 1909.

SlateAfrique - Les Sénégalais manifestent contre les coupures d’électricité à répétition. Comment améliorer la situation?
A.W. - Nous sommes toujours dans la situation d’un médecin: on a fait une cautère sur une jambe de bois pendant des années, le Sénégal n’ayant pas de pétrole. Le régime précédent a acheté des centrales d’occasion. Elles dépensaient 30% de plus parce qu’elles n’étaient pas entretenues. Nous avons trouvé les usines avec du matériel que l’on n’osait pas toucher de peur qu’il nous éclate dans les mains. Nous avons fait un programme en trois étapes pour éviter les délestages [coupures de courant, ndlr]. Première solution onéreuse, donc provisoire: on va louer des centrales pour une capacité de 150 mégawatts. Pour le moyen terme, nous avons signé avec certaines compagnies des contrats d’affermage. Pour le long terme, nous avons un programme de renouvellement des équipements. Avant la fin de l’année, les délestages seront derrière nous.

Slateafrique

Vendredi 11 Mars 2011 08:32


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