Achoura: Entre traditions festives et pratiques inconscientes héritées de l’ère Omeyyade



Le Sénégal fait partie des rares pays qui vivent toujours sous le rythme accéléré des célébrations religieuses jalonnant les vécus quotidiens de ses citoyens dont les plus démunis financièrement endossent le poids lourd de la responsabilité de toujours mieux faire. À leurs corps défendants, ils sont souvent confrontés aux regards qui les jaugent et les jugent. Or, si certains de ces citoyens sénégalais savaient qu’un grand nombre de ces célébrations religieuses ne sont pas toujours le reflet des prescriptions divines, ils passeraient chacune d’en elles au tamis critique des directives coraniques avant de s’y engager pleinement. 

Pour rappel, en Islam, l’application de la raison critique, depuis la Maison de la Sagesse au 9e siècle à Bagdad, a toujours été au cœur de la foi islamique où Dieu semblait toujours s’adresser, à travers de nombreux versets coraniques, à ceux et celles doués d’intelligence (Sourate 13, verset 19, sourate 14, verset 52). En revanche, depuis la disparition du Prophète (PSL) de l’Islam en 632, certaines célébrations religieuses inscrites sous la coupole de la Sunna du Prophète Mouhammad (PSL) ne sont que souvent les produits préfabriqués, ravivés des cendres de luttes de pouvoir politique et de guerres de positionnements géopolitiques qui ont jalonné la plus grande partie de la marche de l’histoire de l’Islam, plus particulièrement au cours de l’ère Omeyyade. 

L’objet de cette contribution n’est guère d’enfoncer le couteau dans les plaies de l’ère Omeyyade et les balbutiements de son histoire dans la tentative de la reconstruction de la foi islamique. Loin de là, cette contribution pose le cadre de la confusion dans laquelle s’enferme l’Islam politique hérité de l’ère Omeyyade et qui étend ses tentacules in/conscientes de pratiques dans plusieurs foyers au Sénégal.  L’exemple de la fête d’Achoura, qui pointe à l’horizon et défraie la chronique au Sénégal, démontre à suffisance qu’une absence de relecture et du passé et du texte coranique peut être sources de dangereuse fossilisation spirituelle.

L’ère Omeyyade ou la reconstruction d’une foi musulmane 

La période des Omeyyades regorge pas mal de cas d’écoles dans les tentations de restructuration de l’islam politique où les tenants de ce pouvoir temporel se sont engouffrés dans les méandres de la foi islamique. La cuture de leur contexte en bandoulière, certains d’entre eux avaient souvent tenté de brouiller certaines des pistes du Coran suivant des lectures baisées, disjonctives, binaires, à la limite, crypto- personnelles. L’historiographie dépeint volontiers la dynastie omeyyade comme une dynastie impie, mais il faut leur reconnaître le fait que leur formidable legs architectural ou numismatique souligne un ambitieux projet de construction d’un espace culturel islamique (Le coran des historiens, 140). 

Malgré tout, il reste à déterminer si ce legs culturel fait toujours le poids sur la qualité des actes d’adoration que l’Homme doit poser durant son bref séjour sur terre. Nonobstant les nombreux exemples de sources relatées non-concordantes voire contradictoires aux directives coraniques; nous ne saurions taire la figure de Mouhammad Al-Bukhârî, une grande figure de référence musulmane bien citée parmi six autres livres de la Sunnah. Sa découverte est un vrai séisme religieux qui vint secouer le monde de l’Islam contemporain. Au terme de ses enquêtes sur la vie du Prophète Mohammed (PSL) deux siècles après la mort de ce dernier, Al-Bukhârî rejetta 700,000 Hadiths attribués au Prophète Mohammed et dont les 7000 ont été seulement retenus (Voir le Coran des Historiens). Ainsi un nombre considérable de Hadiths attribués au Prophète (PSL) sont-ils non seulement en porte à faux avec les pratiques du Prophète Mohammed, mais en flagrante violation de certains versets du Coran sur un éventail de sujets de législations coraniques, notamment sur la formulation de prière pour un non-musulman-e, sur la lapidation d’individus commettant l’adultère, sur la durée du jeûne, sur l’ablution, sur les prières et obligatoires et subrogatoires. Bref, un grand nombre de ces hadiths attribués au Prophète vont l’objet de controverses et constituent un considérable écran de fumée qui empêche certains musulmans de poser un regard clair et lucide sur l’essentiel et sur l’essence de la foi musulmane. Loin d’être de l’émotionnel et du folklorique inscrits dans des traditions festives et de pratiques souvent inconscientes, la foi islamique est un acte d’adoration lucide, d’humilité et de responsabilité quotidienne dans la construction et la perfection de soi.   

Achoura ou « Tamkharit » : Entre traditions festives et pratiques inconscientes

L’effervescence qui se crée autour de la célébration d’Achoura peut nous amener à croire que certain-es musulman-es n’ont jamais interrogé ce pan de l’histoire douloureuse dans la vie du Prophète Mouhammad. Certes, si l’on se plaçait sur le plan strictement islamique, tout en Achoura ne serait pas mauvais compte tenu des évènements qui se sont succédé. En revanche, tout en Achoura ne serait pas aussi bon et fameux, si l’on se plaçait sur le plan strictement personnel compte tenu de ce qui s’est bien produit au sein de la famille du Prophète Mouhammad. 
Sur le plan strictement islamique, Achoura commémore une série d’événement dans l’histoire de l’Islam. C’est le jour où Dieu, par son immense miséricorde, accepta le repentir d’Adam après avoir péché avec Eve. C’est aussi le jour où le Prophète (PSL) Nouh (Noé) sauva une partie de son peuple du Grand Déloge et fit atterrir sa pirogue. Achoura est aussi le jour où le Prophète (PSL), Moussa, traversa la mer Rouge et fit noyer pharaon et sa redoutable armée. En guise d’appréciation de son Seigneur, Moussa jeûna ce jour où il se débarrassa du tyran pharaon. 
Sur le plan strictement islamique et au regard de ce qui s’est passé avec la famille du Prophète Mouhammad, Achoura est un jour de malheur qu’on ne saurait jamais célébrer. Le 9e jour d’Achoura, Muawiya b. Abu Sufyan ordonna l’empoisonnement d’un membre de famille du Prophète qui mourra le lendemain. En sus, le 10e jour d’Achoura fut le jour où le petit-fils du Prophète Mouhammad, Hussein, fut piégé pour sortir de la Mecque et aller en Irak. En cours de route, il fut tué avec toute sa famille sauf la petite fille du Prophète; Sainab et son cousin, Ali, qui en sortirent vivants mais blessés de ce carnage familial qui continue de faire couler une vallée d’encre dans l’histoire.

Quelles leçons en tirer ?
L’effervescence autour de la célébration d’Achoura témoigne que le monde contemporain de l’Islam est atteint d’un cancer et secoué dans sa toute chair pour avoir échoué de donner un nouveau souffle à l’Islam. Tout effort de reconstruction de la vie du Prophète  Muhammad(PSL)  et des origines du mouvement religieux qu’il a fondé doit directement affronter un problème difficile et bien réel : il n’existe qu’une poignée de sources islamiques datant d’une période ancienne qui nous transmette quelque chose sur la vie de Muhammad (Le Coran des historiens, p.186). Or, pour être un-e musulman-e éclairé-e, un double questionnement entre les évènements religieux du passé et une lecture profonde du texte coranique doit être de mise pour ne pas faire l’amalgame entre la véracité du discours coranique et les projections des hommes sur ce discours coranique au courant des siècles. Tout acte d’adoration qui s’écarte des Hadiths coraniques délivrés par le truchement du Prophète Mouhammad (PSL) équivaudrait à prendre certaines vérités pour des absurdités pour emprunter les propos subversifs de Gaston Bachelard. 
Autrement dit, au cœur des nombreuses célébrations islamiques et pratiques festives, il s’agit simplement de comprendre que la fidélité dans la foi islamique n’est jamais dans la répétition évènementielle, mais elle est toujours dans le mouvement vers un acte d’adoration lucide et pur, vers une reconstruction de soi permanente à la lumière des recommandations du texte coranique. 

Moustapha Fall,
Enseignant-chercheur, LEA
Université de Gaston Berger, 
Saint-Louis

Fana CiSSE

Mardi 16 Juillet 2024 11:19


Dans la même rubrique :