Affaire Bourgi: «Tous mouillés depuis Jules César », selon Jean-François Probst

Jean-François Probst, consultant international, spécialiste de l’Afrique, ancien proche collaborateur de Jacques Chirac, vole au secours de l’ancien président après les propos de Robert Bourgi. Interrogé par RFI, Jean-François Probst parle de haine contre l'ex-chef d'Etat et son Premier ministre Dominique de Villepin. Tous les deux mis en cause, ce dimanche 11 septembre 2011 par l'avocat franco-libanais dans une affaire de financements occultes de la vie politique française par certains chefs d’Etat africains.



RFI : Dans ce que dit Robert Bourgi, qu’est-ce qui est vrai ?

Jean-François Probst : Une partie doit être un peu vraie. Probablement pas tout. Et toute une autre partie fait l’objet de sa part, à mon avis, d’une fantasmagorie, d’une mythomanie ou d’une mystification ou de mensonges qui ne sont pas bons. On sent de la haine contre Villepin, on sent même de la haine contre Jacques Chirac à un moment où Jacques Chirac est dans une ambulance. On sent peut-être même de la menace contre Sarkozy et les siens demain. J’ai l’impression qu’il s’agit d’un conseiller éconduit et amer.

A votre connaissance, vous qui avez fréquenté à la fois les cercles africains et les cercles gaullistes, est-ce qu’il est exact que des chefs d’Etat africains ont participé au financement de la vie politique française ?

J-F P : Oui, la réponse est oui. Soyons clairs.

A travers des valises de billets ?

J-F P : A travers des paradis off-shore, des comptes bancaires, des transferts mais aussi des billets, du liquide. Il ne faut pas tomber dans le folklore forcément. Le livre de mon ami Pierre Péan est intéressant d’ailleurs : les tams-tams pleins de billets, les djembés... Mais la vérité c’est que les communistes recevaient de l’argent de Moscou, les socialistes recevaient aussi de l’argent d’Afrique, les RPR et UDF recevaient de l’argent. Probablement que le Front national ou Jean-Pierre Chevènement étaient un peu financés par ci, par là... pourquoi pas par Saddam Hussein ? Aujourd’hui vous avez des gens financés par le Qatar.

Non, soyons clairs. Je ne suis pas un enfant de chœur. Dans tout ce que dit Bourgi au grand jounaliste d’investigation Laurent Valdiguié dans le Journal du Dimanche (JDD) de dimanche 11 septembre, il y a un quart de vrai. Ça veut dire qu’il y a des flux, des ruisseaux qui vont vers un grand fleuve. Pas seulement vers Chirac et Villepin d’ailleurs. J'imagine qu'à ces époques-là il y a eu d'autres candidats comme Balladur en 1995 ou l'équipe de Jospin. C'est pas forcément le chef qui reçoit, ça peut être quelqu’un dans l’entourage. On a l’impression que si Robert Bourgi s’était fait très copain avec Dominique de Villepin, c’était parce que c’était le bras droit ou le lieutenant. Ensuite j’imagine qu’il est, qu’il était encore proche, il y a quelques semaines, proche de Claude Guéant ou de Brice Hortefeux. Là, on sent qu’il est amer, aigri, écarté, probablement au profit de quelqu’un d’autre qui portera les valises, que ce soit Balkany ou je ne sais qui…Mais revenons sur la personnalité de Robert Bourgi... Moi je crois que quand il est trop malheureux comme il semble l’être, il s’exprime de façon bizarre. Il dit « j’ai eu mal à de Gaulle, j’ai honte, faut que j’aille me confesser »…Et bien oui, qu’il aille à la justice et qu’il se mette lui-même les menottes.

Vous dîtes quand même, Jean-François Probst, qu’il y a un quart de vrai dans ce qu'il dit ? Donc il a raison de parler aujourd’hui ?

J-F P : Le carrefour du développement à l’époque de François Mitterrand en 1984, 1985 avec Nucci [NDLR : Christian Nucci, ministre de la Coopération dans le gouvernement Fabius de 1984] sous Fabius qui nous amène d'ailleurs ensuite 35 députés du Front national à l’Assemblée, c’était il y a 25 ans mais ça a existé. Les diamants de Bokassa pour Giscard, ça a existé ! Les dons, cadeaux, ou virements…Bien sûr que cela a existé !

Et est-ce que cela existe toujours ?

J-F P : On a l’impression en lisant la prose de M. Bourgi qu’il n’y a que ça, que c’est lui qui faisait tout. Aujourd’hui évidemment il est malheureux parce qu’il semblerait qu’il reste seulement avec les poignées de valise à la main.

Vous avez travaillé vous-même avec Jacques Foccart comme Robert Bourgi. Vous étiez finalement dans le même bateau ?

J-F P : Ah non, mais moi j’ai non seulement fréquenté M. Foccart, travaillé avec et pour la France avec M. Foccart jusqu'à sa mort. Et je dirais même que la semaine qui précédait sa mort, Jacques Foccart m’a dit qu’il ne souhaitait en aucun cas que Robert Bourgi soit dans le cercle de ses familiers -où j’étais avec ma femme- lors de ses obsèques.
Quand il se présente en tant que dauphin de Jacques Foccart, je crois qu'il s’intoxique lui-même, il fait du wishful thinking.

A votre connaissance quel rôle joue aujourd'hui Robert Bourgi en Afrique et dans la vie politique française ?

J-F P : J’ai bien peur pour lui qu’il soit persona non grata, indésirable dans beaucoup de capitales africaines. A Ouagadougou, à Dakar, à Abidjan, à Libreville et même peut-être à Brazzaville mais ...posez la question aux chefs d’Etat qu’il a mis en cause. Je crains pour lui qu’ayant détourné des fonds publics de ces pays, il puisse être mis en prison dans ces pays-là. Quant à la France, s’il a vraiment fait tout ce qu’il dit qu’il a fait, il faut qu’il se constitue prisonnier tout de suite. Ou en tout cas qu’il passe en justice.

Je donne raison à François Hollande de demander une enquête judiciaire ou au président Accoyer [NDLR : Bernard Accoyer, président de l'Assemblée nationale]. Moi je serais même plutôt pour une commission sénatoriale d’enquête qui convoquerait tous ceux qui ont à en connaître de façon à bâtir une politique de la France en Afrique demain qui soit saine, bonne, forte pour l’éducation, pour la santé, pour l’agriculture. Ma grande tristesse c’est de savoir que le président Bongo dont on parle tant, est mort alors qu’à Libreville, y avait même pas un hôpital ou une clinique capable de le soigner. Il a dû aller mourir en Espagne et sa femme a dû aller mourir au Maroc. Tout cela est un gros gâchis et je pense que Robert Bourgi est un peu responsable de toutes ces erreurs d’utilisation des fonds qui d’ailleurs venaient notamment de l’aide au développement payée par les Français.

Robert Bourgi règlerait-il ses comptes avec l’assentiment de Nicolas Sarkozy ? ou de proches du chef de l’Etat, comme on le dit dans l’entourage de Dominique de Villepin aujourd’hui ?

J-F P : C’est la question que l’on se pose depuis ce matin. Parce que, ou bien c’est l’entourage du président Sarkozy, M. Guéant, M. Hortefeux, ou je ne sais qui…qui le manipule avec une longue corde et le pousse à parler « à l’insu de son plein gré ». Ou bien il y a quelque chose de plus pervers : parce que hier soir quand même, l’avantage de ses déclarations est revenu à Marine Le Pen. Pour la plupart des Françaises et des Français et pour beaucoup d’Africains -en Afrique ou vivant en France- ce qu'a dit Robert Bourgi écoeure à un point chez les pauvres gens -chez les popu comme disait de Gaulle, chez les braves gens comme disait Mitterrand- qu’on a envie d’un grand chambardement. Et hier soir, Robert Bourgi peut être fier d’avoir surtout servi la soupe à Marine Le Pen. Et si jamais l’entourage de Sarkozy a cru qu’en le manipulant et en le poussant à délirer contre Chirac et Villepin, c’était intelligent : ils se sont tirés une balle dans le pied. A n’en pas douter M. Bourgi a fait beaucoup de mal hier à Nicolas Sarkozy.

On apprend à l’instant que Robert Bourgi en rajoute dans les accusations sur la chaîne BFM TV. Il affirme que l’ancien président du Front national, Jean-Marie Le Pen a reçu de l’argent d’Omar Bongo, l’ancien président gabonais pour sa campagne présidentielle de 1988.

J-F P : Il a raison de parler de 1988 mais Omar Bongo, avant de mourir a dit qu’il a donné un milliard pour la campagne de Sarkozy en 2007. Mais vous savez, si on décide de faire parler les morts tous les jours, Robert Bourgi va finir par se ridiculiser. Parce que ce qui intéresse les Français, c’est aujourd’hui, c’est ce qu’il se passe aujourd’hui. Moi j’aimerais qu’il y ait une commission d’enquête parlementaire ou à tout prendre une enquête judiciaire. Il faudrait que M. Mercier, le garde des Sceaux, demande au parquet d’ouvrir une enquête judiciaire pour savoir ce qu’il se passe.

Pourquoi selon vous, il n’est pas possible que les versements aient cessé depuis l’arrivée à l’Elysée de Nicolas Sarkozy ?

J-F P : Parce que je le sais. Parce qu’Omar Bongo l’a dit. Parce que je crois Bongo. Parce que d’autres l’ont dit. Parce que les Africains expliquent que le même Koulibaly (NDLR : Mamadou Koulibaly, proche de Laurent Gbagbo et actuel président de l'Assemblée nationale ivoirienne) qui dit que le président Gbagbo a donné en 2002, va peut être nous dire bientôt que le président Gbagbo a donné aussi à « Sarko » en 2007 ? Et d’ailleurs c’est peut-être Bourgi qui va le dire. Il a l'air tellement vexé d’avoir été écarté de l’Elysée par Juppé, Lévitte et le président Sarkozy, qu’on dirait qu'il en garde encore un peu « sous l’accélérateur » : il en lâche une par jour !

Au fond c'est un avocat qui n'a jamais plaidé, comme il dit. C’est un bouffon éconduit. Il est à la politique africaine ce que Charon (NDLR : Pierre Charon, l'ex-conseiller de Nicolas Sarkozy) est à la politique à Paris : un conseiller éconduit. Vous vous souvenez de François de Grossouvre chez Mitterrand ? Un conseiller éconduit, ça donne toujours des grands malheurs.

Donc selon vous, « tous mouillés » ?

J-F P : Depuis toujours. Vous savez : depuis Jules César, cela est vrai. Cela fait 35 ans que je suis dans les allées du pouvoir. A une certaine époque, les communistes ne s’offusquaient pas de recevoir de l’argent de Moscou, les socialistes ne s’offusquaient pas de recevoir de l’argent des charbonnages ou de l’Education nationale. Et puis il y a eu toutes sortes d’affaires. Je vous rappelle le Carrefour du développement en 1985 avec M. Nucci, M. Fabius et compagnie ou Le scandale de Bujumbura, c’était déjà de l’argent de l’Afrique détourné….

Ça n’excuse rien mais ça nécessite de réfléchir, sans avoir honte vis-à vis de de Gaulle, comme le dit de façon tellement rigolote ce pauvre Robert Bourgi, ça nécessite simplement de voir dans le futur qu’est ce qu’on fait, comment on le fait ? Soyons dignes. Soyons intelligents. Les cadeaux, les échanges : je comprends. Mais en même temps, il faut surtout viser au développement de l'éducation, de la santé, de l’agriculture de la pêche en Afrique. Et puis il y a les politiciens français et d’autres en Europe....parce que j’imagine que certains présidents africains arrosent au-delà des frontières de la France…Si M. Bourgi évoque Le Pen aujourd’hui, M. Roland Dumas pourrait également dire que M. Bongo a alimenté des clubs socialistes. Demandez à M. Mauroy, demandez à M. le trésorier du Parti socialiste des années 80-90, demandez aux anciens ministres de la Coopération. Tout le monde sait ça. « L'homme n'est ni ange, ni bête et qui veut faire l'ange fait la bête » écrivait le philosophe Blaise Pascal. Je crois que M.Bourgi en voulant faire l’ange, a plutôt fait la bête et n’a pas du tout rendu service a Nicolas Sarkozy et encore moins à la France.

Papa Mamadou Diéry Diallo

Mardi 13 Septembre 2011 12:00


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