L’agriculture paysanne constitue l’ensemble des pratiques agricoles fondé sur la famille. Elle repose sur l’exploitation de petits lopins de terre, circonscrit la production sur les cultures vivrières, avec la particularité de donner une certaine armature au paysage. Cette agriculture est au service des territoires, des paysans qui la pratiquent et des consommateurs qui ne s’y connaissent pas souvent. À l’heure où l’on vante les vertus des produits biologiques, cette forme d’agriculture représente un bienfait pour toute l’humanité : au-delà de ses préoccupations premières, essentiellement économiques, elle est source de paix sociale, d’équilibre environnemental et donc de santé. C’est aussi accroître la société et ses possibilités. Depuis le néolithique, les peuples les plus autonomes sont celles-là qui ont placé l’agriculture au centre de leurs politiques de développement. En atteignant l’autosuffisance alimentaire, ils ont ainsi résolu une grande partie de la problématique transversale de la dépendance.
À l’inverse, le défaut d’autosuffisance (alimentaire) hypothèque l’accès aux étapes suivantes du processus de développement, en l’occurrence l’industrialisation et le rayonnement culturel, considéré par Senghor comme le stade suprême de tout développement (L.S. Senghor « Socialisme africain et développement ou la voie sénégalaise », 1962 : pp : 1-7. Où en est le Sénégal dans sa politique de développement agricole ?
Les « émeutes de la faim » de 2008 montrent incidemment que le problème crucial de l’autosuffisance alimentaire reste entier au Sénégal, à l’instar de beaucoup de pays en développement ; la faute à un bouleversement du système agricole et à une politique agricole quasi inexistante. C’est dans ce sillage que Sylvie Brunel (L’Afrique, 2004 : 187) soulignait que « l’agriculture africaine n’est donc pas incapable d’innovation, mais elle n’a pas pour l’instant été incitée à se moderniser, ni par des gouvernements qui l’ont largement sacrifiée depuis les indépendances, ni par un contexte international peu favorable ». Les paysans d’Afrique, en général, sont livrés à eux-mêmes face à des initiatives capitalistes et à des autorités publiques qui ne les considèrent qu’en période électorale.
L’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) estime que la production agricole mondiale doit augmenter de 70% en 2050 pour faire face à la croissance de la population mondiale. Certains investisseurs (étrangers) se lancent dans des secteurs d’avenir, notamment dans l’agriculture dont l’on est conscient des enjeux futurs. La maitrise des capitaux et du marché mondial dans un avenir proche sera fortement tributaire de la mainmise sur la terre et les ressources disponibles en eau. Depuis quelques années, l’Afrique, en particulier le Sénégal, devient une terre d’implantation de grandes firmes spécialisées dans « la chasse aux espaces fertiles » en vue de produire des cultures d’exportation. Au Sénégal, de 2000 à 2012, 500 000 hectares de terres agricoles sont passés sous le contrôle d’investisseurs étrangers, (cf. Atlas de l’agriculture, février 2012). Dans le contexte de la rareté des terres en Europe, en Asie, et en Amérique, l’Afrique et ses vastes étendues, accessibles à un moindre coût, font de plus en plus l’objet de convoitise. Les objectifs de ces multinationales s’opposent à ceux des paysans parce qu’ils visent la maximisation des profits et la satisfaction des demandes du marché extérieur ; ceci perturbe fortement l’agriculture paysanne, source de subsistance pour les familles et pour les couches non-agricoles, approvisionnées à partir des marchés locaux et régionaux.
En quoi les chasseurs de terres cultivables constituent-ils un danger pour l’agriculture paysanne ?
L’agriculture paysanne sénégalaise mérite qu’on la soutienne face à une menace externe et interne. Les « chasseurs de terres fertiles » représentent un danger à la fois pour les paysans et pour les consommateurs. La complicité de certains politiques et de certaines sociétés nationales pour leur faire acquérir des terres l’est autant. Ces acteurs aux capitaux immenses chassent les paysans de leurs exploitations traditionnelles et les convertissent en ouvriers agricoles. Une telle situation installe un climat social morose dans l’espace rural où les exploitations familiales sont en voie de disparition. Cela accentuera l’exode rural vers la ville de Dakar, déjà saturée et sans solution aux problèmes d’emploi. La menace sera d’autant plus grave que ces chasseurs de terres ne se soucieront guère de l’approvisionnement du marché sénégalais. Ceci posera en retour le délicat problème de la sécurité alimentaire, et provoquera l’inflation autour des produits de consommation courante : mil, maïs, carotte, oignon … etc. En outre, des villages risquent d’être déplacés pour laisser place à de vastes exploitations. L’un des exemples les plus significatifs de cette nouvelle dynamique est le Mali où une firme internationale, en collaboration avec les autorités, a réussit à faire déplacer des villages, allant jusqu’à toucher les cimetières dans leur envie insatiable de disposer de nouvelles terres. L’autre conséquence de ce mouvement sera la rareté des pâturages alors même que l’élevage est un secteur essentiel de l’économie rurale.
Il est encore temps pour que l’agriculture paysanne sénégalaise soit protégée. La richesse d’un pays ou le poids de son économie peut se mesurer à la dimension de son agriculture et à son niveau d’autosuffisance alimentaire, gage de croissance, de stabilité sociale et de santé communautaire… Nous invitons les autorités publiques compétentes à veiller sur l’agriculture. Tout pays négligent vis-à-vis de son secteur agricole se met dans une situation de dépendance alimentaire, subit souvent une fluctuation des prix, fortement ressentie par les populations. Des mesures doivent être prises pour mettre l’agriculteur au service du développement. L’on emploie aujourd’hui des notions de développement local ou de développement territorial, celles-ci peuvent s’appuyer sur l’agriculture, la porte d’entrée du développement. De ce fait, il serait judicieux que des leviers politiques et organisationnels soient pris par les acteurs institutionnels et agricoles pour que nos terres ne soient pas bradées à des investisseurs. Quel est le devenir de l’agriculture sénégalaise et comment pourrions-nous la mettre au service du développement territorial, du pays et des paysans en particulier ?
Serigne Mor Gaye : Aménageur, prospectiviste, développeur de territoire
serignedj@gmail.com
djolof97@yahoo.fr
À l’inverse, le défaut d’autosuffisance (alimentaire) hypothèque l’accès aux étapes suivantes du processus de développement, en l’occurrence l’industrialisation et le rayonnement culturel, considéré par Senghor comme le stade suprême de tout développement (L.S. Senghor « Socialisme africain et développement ou la voie sénégalaise », 1962 : pp : 1-7. Où en est le Sénégal dans sa politique de développement agricole ?
Les « émeutes de la faim » de 2008 montrent incidemment que le problème crucial de l’autosuffisance alimentaire reste entier au Sénégal, à l’instar de beaucoup de pays en développement ; la faute à un bouleversement du système agricole et à une politique agricole quasi inexistante. C’est dans ce sillage que Sylvie Brunel (L’Afrique, 2004 : 187) soulignait que « l’agriculture africaine n’est donc pas incapable d’innovation, mais elle n’a pas pour l’instant été incitée à se moderniser, ni par des gouvernements qui l’ont largement sacrifiée depuis les indépendances, ni par un contexte international peu favorable ». Les paysans d’Afrique, en général, sont livrés à eux-mêmes face à des initiatives capitalistes et à des autorités publiques qui ne les considèrent qu’en période électorale.
L’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) estime que la production agricole mondiale doit augmenter de 70% en 2050 pour faire face à la croissance de la population mondiale. Certains investisseurs (étrangers) se lancent dans des secteurs d’avenir, notamment dans l’agriculture dont l’on est conscient des enjeux futurs. La maitrise des capitaux et du marché mondial dans un avenir proche sera fortement tributaire de la mainmise sur la terre et les ressources disponibles en eau. Depuis quelques années, l’Afrique, en particulier le Sénégal, devient une terre d’implantation de grandes firmes spécialisées dans « la chasse aux espaces fertiles » en vue de produire des cultures d’exportation. Au Sénégal, de 2000 à 2012, 500 000 hectares de terres agricoles sont passés sous le contrôle d’investisseurs étrangers, (cf. Atlas de l’agriculture, février 2012). Dans le contexte de la rareté des terres en Europe, en Asie, et en Amérique, l’Afrique et ses vastes étendues, accessibles à un moindre coût, font de plus en plus l’objet de convoitise. Les objectifs de ces multinationales s’opposent à ceux des paysans parce qu’ils visent la maximisation des profits et la satisfaction des demandes du marché extérieur ; ceci perturbe fortement l’agriculture paysanne, source de subsistance pour les familles et pour les couches non-agricoles, approvisionnées à partir des marchés locaux et régionaux.
En quoi les chasseurs de terres cultivables constituent-ils un danger pour l’agriculture paysanne ?
L’agriculture paysanne sénégalaise mérite qu’on la soutienne face à une menace externe et interne. Les « chasseurs de terres fertiles » représentent un danger à la fois pour les paysans et pour les consommateurs. La complicité de certains politiques et de certaines sociétés nationales pour leur faire acquérir des terres l’est autant. Ces acteurs aux capitaux immenses chassent les paysans de leurs exploitations traditionnelles et les convertissent en ouvriers agricoles. Une telle situation installe un climat social morose dans l’espace rural où les exploitations familiales sont en voie de disparition. Cela accentuera l’exode rural vers la ville de Dakar, déjà saturée et sans solution aux problèmes d’emploi. La menace sera d’autant plus grave que ces chasseurs de terres ne se soucieront guère de l’approvisionnement du marché sénégalais. Ceci posera en retour le délicat problème de la sécurité alimentaire, et provoquera l’inflation autour des produits de consommation courante : mil, maïs, carotte, oignon … etc. En outre, des villages risquent d’être déplacés pour laisser place à de vastes exploitations. L’un des exemples les plus significatifs de cette nouvelle dynamique est le Mali où une firme internationale, en collaboration avec les autorités, a réussit à faire déplacer des villages, allant jusqu’à toucher les cimetières dans leur envie insatiable de disposer de nouvelles terres. L’autre conséquence de ce mouvement sera la rareté des pâturages alors même que l’élevage est un secteur essentiel de l’économie rurale.
Il est encore temps pour que l’agriculture paysanne sénégalaise soit protégée. La richesse d’un pays ou le poids de son économie peut se mesurer à la dimension de son agriculture et à son niveau d’autosuffisance alimentaire, gage de croissance, de stabilité sociale et de santé communautaire… Nous invitons les autorités publiques compétentes à veiller sur l’agriculture. Tout pays négligent vis-à-vis de son secteur agricole se met dans une situation de dépendance alimentaire, subit souvent une fluctuation des prix, fortement ressentie par les populations. Des mesures doivent être prises pour mettre l’agriculteur au service du développement. L’on emploie aujourd’hui des notions de développement local ou de développement territorial, celles-ci peuvent s’appuyer sur l’agriculture, la porte d’entrée du développement. De ce fait, il serait judicieux que des leviers politiques et organisationnels soient pris par les acteurs institutionnels et agricoles pour que nos terres ne soient pas bradées à des investisseurs. Quel est le devenir de l’agriculture sénégalaise et comment pourrions-nous la mettre au service du développement territorial, du pays et des paysans en particulier ?
Serigne Mor Gaye : Aménageur, prospectiviste, développeur de territoire
serignedj@gmail.com
djolof97@yahoo.fr