Aide à la presse et amnistie fiscale : Où donc est la part des journalistes !

Je voudrais tout d’abord adresser mes chaleureux compliments à cette grande corporation que constitue la presse écrite, radiodiffusée et télévisée de notre pays. Je me réjouis réellement du rôle important que joue la presse dans l’économie nationale, la conscientisation de notre peuple et la consolidation de notre système démocratique.



Bien évidemment, tout n’est pas parfait. Cela va de soi. Il y a encore des efforts à faire aussi bien du côté des patrons de presse que du côté des journalistes, animateurs et autres professionnels de la presse.


Voilà donc qu’à deux reprises et en plus de l’aide annuelle à la presse, l’État du Sénégal a accordé une amnistie fiscale à la presse qui, tout le monde le sait, pataugeait dans des difficultés financières insupportables. En ce mois béni du Ramadan, ce soutien appréciable du Président Macky Sall, pourrait être considéré comme un appréciable suukar u koor, du genre que Maitre Abdoulaye Wade octroyait aux jeunes reporters qui eux aussi, sont pour la plupart, de jeunes journalistes débutants, souvent envoyés aux charbons sans soutien, ni moyen. Leur manque de moyens explique peut-être la raison pour laquelle, très souvent, ils vont en reportage mal fagotés, pour emprunter le jargon militaire et avec des tenues qui frisent l’indécence. Certain se sont vus parfois interdits d’accès à certaines cérémonies officielles pour raison de tenue incorrecte !


Il est de notoriété publique que le soutien reçu par les patrons de presse à travers le fonds d’aide à la presse et l’amnistie fiscale, est souvent utilisé à mauvais escient par la plupart de ces employeurs de journalistes.


En consultant le réseau social des reporters, il nous a été donné de constater une colère généralisée des professionnels et autres employés de presse qui ne semblent pas comprendre les raisons de ces largesses du Chef de l’État, en faveur de ces patrons de presse qui souvent et avec égoïsme, disposent de ces fonds à leur guise, alors que les travailleurs qu’ils emploient suent sang et eau à longueur d’année et pataugent dans des conditions de vie et de travail exécrables ! Ces réactions se comprennent parfaitement dans la mesure où nul n’ignore que d’une manière générale, les journalistes et autres animateurs sont très mal payés au Sénégal. Certains d’entre eux, malgré une longue présence dans une entreprise de presse, ne savent pas ce qu’est un bulletin de salaire ou un bulletin de paie. À cela s’ajoute l’absence de prise en charge médicale, d’indemnité de transport entre autres. Ainsi, tant que ces journalistes sont valides et en bonne santé, tout va bien pour le patron! Mais en cas d’indisponibilité pour cause de maladie, le patron ne s’en préoccupe guère. Il s’emploiera plutôt à trouver de toute urgence, un remplaçant pour sauver son business. En cas de décès, cet employé malheureux aura droit, s’il a de la chance, à un vibrant hommage posthume de la part de ce patron insouciant qui à l’occasion, s’empressera avec zèle et ostentation, de remettre une petite enveloppe de jaxal (contribution de solidarité) à la famille éplorée du disparu.


Il est temps que certaines entreprises de presse s’agrippent sur cette bouée de sauvetage offerte par le Chef de l’Etat et cessent d’être de grandes usines d’exploitation d’honnêtes travailleurs et de repaire de harcèlements de toutes sortes! Il est temps que les patrons de presse défaillants versent comme il se doit, à l’IPRES et à la Caisse de sécurité sociale, les cotisations de leurs employés. Ils doivent également reverser les impôts prélevés sur les salaires ainsi que les TVA relatives aux différentes recettes générées par leurs prestations. Il est temps qu’ils souscrivent une assurance vie en faveur de leurs employés qui accomplissent un métier ingrat et à haut risque. En effet, à chaque fois qu’un journaliste produit un article, il peut être certain qu’il s’est créé un groupe d’amis d’une part et un groupe d’ennemis d’autre part. À chaque fois qu’il va en reportage dans une zone de guerre ou de troubles sociaux, il est susceptible d’être agressé, kidnappé ou assassiné purement et simplement.


À titre d’exemple, des journalistes de Saint-Louis ont frôlé la mort la semaine dernière quand le taxi qu’ils avaient loué pour accompagner le ministre de l’hydraulique, a fait des tonneaux. Pourquoi donc le Ministère qui a organisé cette tournée n’avait-elle pas assuré un transport plus sécurisé de ces journalistes ?  


Voilà une raison de plus pour laquelle, le journaliste mériterait d’être protégé physiquement, financièrement et socialement, non seulement par son patron, mais également par l’État du Sénégal. En effet, la presse est une incontournable sentinelle qui contribue en permanence à la consolidation des acquis démocratiques de notre pays.


Le Président Macky Sall l’a certainement compris en conviant, samedi passé, journalistes, écrivains, plasticiens et cinéastes à un ndogu copieux empreint de cordialité et de chaleur humaine. Cet honneur présidentiel fut un véritable baume au cœur de ces professionnels de la communication et de la culture à qui le Chef de l’Etat, en toute humilité et parfois avec un brin d’humour, a serré la main. Il n’a pas manqué par la suite, d’échanger avec ses invités avant de passer en revue les préoccupations des Sénégalais et de donner à l’occasion, les assurances réconfortantes attendues par les populations.


Cet évènement de réjouissance et de partage a été apprécié par tous les convives à sa juste valeur, mais dès leur retour dans les salles de rédaction, la plupart de ces professionnels de la presse se remettront à se lamenter sur leur triste sort. Ils continuerons de souffrir en silence du fait que dans leur grande majorité, les patrons de presse violent sans cesse la législation du travail. Ils lèsent sans retenue leurs employés qu’ils soient journalistes, animateurs, techniciens, personnel administratif ou d’appui. Ils les privent de leurs droits les plus élémentaires en leur faisant subir des conditions de travail injustes, arbitraires et inacceptables des années durant.


Dans la plupart des cas, l’aide à la presse et les retombées de l’amnistie fiscale ne profiteront pas aux journalistes et autres employés. C’est pourquoi l’État devrait exiger un compte d’utilisation du fonds d’aide ou prévoir une clé de répartition avec une rubrique spéciale destinée exclusivement aux journalistes et techniciens de la presse.


Dans un passé récent, à l’occasion d’un contentieux qui m’avait opposé à SENELEC et SDE, j’ai plusieurs fois rappelé aux dirigeants des sociétés nationales et établissements publics que toute entreprise qui se nourrit indument de la sueur, du sang et de l’argent de ses employés et de sa clientèle, s’empêtrera perpétuellement dans d’énormes difficultés interminables. Une telle entreprise exploiteuse d’hommes stagnera toujours. Elle ne connaitra jamais les bonheurs de l’essor. Elle finira par s’effondrer inéluctablement et ses dirigeants qui se sont toujours réfugiés dans leurs bureaux et derrière le caractère impersonnel de l’entreprise, finiront tôt ou tard par payer chèrement et personnellement leurs forfaitures même quand ils auront quitté définitivement leurs fonctions.   


Il me parait utile de rappeler aux patrons de presse qui comme moi peuvent être fautifs, fauteurs ou transgresseurs qu’ils doivent prêter une oreille attentive à ceux qui leur font des critiques constructives. Ils doivent éviter de réagir en brandissant la sempiternelle réplique propre à la plupart des journalistes : « Vous ne pouvez pas m’apprendre mon métier ».  En réagissant ainsi, le journaliste persistera à produire des articles d’une nullité notoire ou des prestations radiophoniques et télévisuelles débiles à tout point de vue. En ce qui les concerne, les patrons de presse auront choisi la détestable option de l’exploitation de l’homme par l’homme. Ils auront oublié qu’un métier, ça s’apprend tous les jours. On doit se perfectionner chaque jour, sinon il n’y a plus de progrès. Il n’y a plus de performance !


Ces conseils sont également à retenir en ce qui concerne les rapports périodiques du CNRA qui dès leur publication, sont pourfendus à coups d’éditoriaux ou de chroniques fantaisistes et peu convaincants, par des patrons de presse fautifs, fauteurs et transgresseurs.


La logique voudrait que quand on accepte les ressources publiques du fonds d’aide à la presse et celles de l’amnistie fiscale, l’on fasse preuve d’humilité en acceptant les critiques des contribuables sénégalais et celles des institutions qui comme le CNRA, le CRED (Conseil pour le respect de l'éthique et de la déontologie), défendent le droit à l’information, rappellent les règles de la déontologie journalistique et œuvrent pour la préservation de nos valeurs culturelles, sociales et religieuses dans le paysage médiatique sénégalais.


Moumar GUEYE

Ecrivain

E-mail :  moumar@orange.sn

 


Moumar GUEYE Ecrivain

Mardi 6 Aout 2013 16:46


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