
Parmi les forçats du mois sacré : les boulangers, soumis à un rythme infernal et à une pression accrue durant le mois des privations. Paradoxalement, la demande en pain, viennoiserie et autres dérivés du blé croît de manière exponentielle en période de jeûne. « Le vrai défi, c’est de trouver des employés qui sont prêts à travailler, explique Aissa Iberoualene, qui tient une boulangerie à Azazga, à 37 km à l’est du chef-lieu de la wilaya de Tizi Ouzou. C’est déjà difficile en période estivale de trouver des bras pour manœuvrer près des fours, alors imaginez ce que c’est quand se cumulent l’été et le Ramadan ! ».
Ce lundi, dans sa boulangerie, une quinzaine de clients s’impatientent déjà en attendant la dernière fournée. L’atelier dégage une chaleur suffocante. Le parfum du pain chaud embaume l’espace. « Ça fait couler des larmes dans la bouche », lâche un jeune client, arrachant des sourires à la foule qui attend, affamée, suffoquée.
À l’intérieur du laboratoire, l’ambiance est autre. Le thermomètre tutoie les 50°. Trois employés s’affairent. Le geste est lent et lourd. Mouvement si commun le reste de l’année, extraire le pain du four réclame cette fois un effort incommensurable. Compréhensible, quand l’on sait que le pain cuit à une température de 250°. Nadjib, boulanger, 20 ans, s’aide d’une pelle. Il transpire à grosses gouttes. « C’est le moment qu’on redoute le plus, c’est le plus difficile, ce moment où il faut retirer la miche du four, confie Nadjib. Quand on ouvre les portes du four, c’est une chaleur infernale qui nous cueille et qui se répand dans tout le laboratoire. Ce geste, il faut le répéter une dizaine de fois par jour ».
Nadjib n’est pas seul dans l’atelier. Yakoub et Hafidh, deux garçons de son âge, le secondent. Le premier arrange les baguettes dans les corbeilles. Le deuxième apprend le dur métier de boulanger, dans les conditions extrêmes du Ramadan.
« Pour résister ainsi toute la journée, en faisant carême, il faut d’abord avoir l’habitude de travailler dans des conditions pareilles, reconnait Nadjib, comme pour excuser les manques éventuels de son jeune apprenti. On optimise nos efforts au maximum. On commence le travail à 6h du matin. On termine aux alentours de 16h30. En fin de journée, après 10 heures de travail, il nous reste à peine la force de prendre une douche et de dormir.» Puis d’ajouter : « La première semaine, on souffre beaucoup. Après, on s’habitue ».
« Nous sommes obligés de travailler durant tout ce mois, complète Aïssa, le patron. On n’a pas le droit de nous reposer. On a une sorte de contrat moral à honorer envers nos clients. » Sa boulangerie est tout le temps ouverte. Même le jour de l’Aïd. Le boulanger ne peut se permettre aucun jour de fermeture. « Nous travaillons avec un système de rotation, de manière à permettre à nos employés de se reposer, sans que la boulangerie ne se ferme », explique-t-il.
Comme Aïssa et ses employés, d’autres travailleurs affrontent courageusement le mois de Ramadan, en continuant à travailler malgré les conditions extrêmes.
Djamel, jeune père de famille d’Agraradj dans la commune des Aghribs, prend la route vers le chantier où il travaille à l’heure où la plupart des gens finissent leur S’hor. Il est en charge de la construction d’un lycée à Abizar, dans la commune de Timizart. Pour s’y rendre, Djamel prend sa voiture et passe chercher deux de ses collègues. Dès les premières lueurs du matin, ils retrouvent l’équipe déjà prête à affronter une dure journée, une de plus, sur le chantier.
«Nous commençons le travail à 5h du matin et nous terminons à midi », détaille le chef de chantier Mohand. « Les horaires ont été aménagés pour le Ramadan, parce qu’il est impossible pour un humain normalement constitué de travailler toute la journée, jusqu’à 17h, sans manger, et en fournissant un effort physique intense.» Malgré tout, le maître d’ouvrage a fait le choix de maintenir le travail, même à cadence réduite, pendant le mois sacré. « On a des engagements qui ne nous permettent pas de nous reposer, même pour trente jours, explique Mohand. Avec les horaires aménagés, la productivité des employés demeure toutefois la même que durant d’autres périodes de l’année.»
La journée commence dans une ambiance bon enfant. Du moins, tant que le soleil n’est pas de la partie. Dès 8h30, l’astre reprend ses droits. Ses rayons transpercent les corps. L’ambiance dynamique dans laquelle l’équipe a entamé sa journée laisse place à un calme consciencieux. Silencieux, aussi, puisque de longues minutes passent sans qu’une parole ne soit échangée entre les ouvriers. Chacun se consacre à ses tâches. «Il ne faut pas perdre une once d’énergie que l’on pourrait regretter plus tard », s’excuse Djamel.
Un peu après 10h, un gros camion investit la cour du chantier. Les employés, déjà à bout de souffle, observent la benne avec une pointe de dépit. À l’intérieur, 150 sacs de ciment attendent d’être déchargés. Chacun d’eux pèse plusieurs dizaines de kilos. La fatigue se ressent déjà depuis de longues minutes. Les corps vont être soumis à une nouvelle épreuve, plus dure encore. Seules la solidarité et l’entraide permettent d’aller au bout de l’entreprise. Voilà que quatre ouvriers accourent pour prêter main forte à leurs collègues. La rude tâche est expédiée en une heure. L’effort – colossal – a vidé les hommes de toute leur énergie.
Fatiguée, en sueur, l’équipe de Djamel traîne ses souliers. Difficile de reprendre le travail, sous un soleil de plomb, après tant d’efforts fournis durant les premières heures. Heureusement, la fin de journée se profile. À midi pile, les lieux se vident de leur âme. « J’ai à peine l’énergie de conduire jusqu’à chez moi », confie Djamel. « La suite de ma journée est toujours la même : douche, sieste. Je me réveille vers 18h. Une balade, des petites courses en attendant que retentisse el maghrib (prière du crépuscule) » La voix est fatiguée, mais porte encore haut le soulagement et la satisfaction d’une journée de plus menée à bien. Demain, ce sera la même chose.
TSA (Alger)
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