Comme samedi, Ghardaïa était ce dimanche une ville fantôme, quadrillée par la gendarmerie et des forces anti-émeutes. Selon des témoins joints sur place, les magasins sont restés fermés toute la journée. Les écoles également. Les habitants sont encore restés terrés chez eux de peur d'être pris dans des affrontements. Samedi, les violences ont explosé dans plusieurs quartiers avec, selon des témoignages, des jets de pierres, des combats au corps-à-corps et des attaques à l'acide.
Le bilan est de trois morts et plus d'une centaine de blessés. Des médecins mozabites ont confié avoir soigné plusieurs dizaines de blessés chez eux, parce qu'ils avaient peur de se rendre à l’hôpital. Le bilan matériel est lourd aussi : des dizaines de maisons détruites, de nombreux magasins incendiés. Des hommes cagoulés ont notamment attaqué dimanche le siège du journal El Khabar. Le correspondant du quotidien venait de quitter son bureau une heure plus tôt, et c'est sans doute ce qui l'a sauvé (écouter son témoignage ci-contre).
Tous les témoignages le confirment, il y a eu ces derniers jours une dégradation, un pourrissement du climat sécuritaire à Ghardaïa et dans les localités avoisinantes. D'où cette visite du Premier ministre par intérim, Youcef Yousfi, accompagné du ministre de l'Intérieur, du commandant de la gendarmerie nationale et d'un représentant de la sûreté nationale. Toute la journée, les officiels venus d’Alger ont enchaîné les réunions et ont reçu des représentants de la société civile et des notables des deux communautés pour tenter d'apaiser les tensions. Ils les ont vus séparément, relate l'agence de presse officielle.
« Trop de zones d'ombre pour qu'on ne s'interroge pas »
Le chef du gouvernement a appelé les communautés à dépasser leurs dissensions et à regarder vers l'avenir. Il a aussi assuré que l'Etat contribuerait à réhabiliter les biens endommagés ces jours-ci. Il a annoncé qu’un conseil du gouvernement se tiendrait à Ghardaïa la semaine prochaine, notamment pour évoquer les conflits de propriété qui opposent de nombreux habitants. Les services de sécurité ont assuré qu’une enquête était en cours sur le décès des trois jeunes samedi soir. Mais alors que l’agence officielle affirme que ces derniers ont été attaqués par des objets contondants, de nombreux médias algériens continuent d’affirmer qu'ils ont été tués par balles.
Sur place, les gens sont en colère. Dans la matinée, des dizaines de personnes avaient organisé une marche jusqu’à la wilaya, pour demander le respect de la justice et l’application de la loi. Comme le wali a refusé de les recevoir, les familles se sont emportées et ont forcé l’entrée du bâtiment. Et c'est finalement le ministre de l’Intérieur qui a reçu plusieurs manifestants aussi, dont la mère de l’une des trois victimes de samedi. Les violences communautaires qui touchent la vallée du Mzab remontent aux années 1980. Elles ne sont donc pas récentes, mais on observe une nouvelle poussée de violences depuis quatre mois.
Les forces de l'ordre sont très critiquées, tout comme les autorités locales, accusées par certains observateurs d'avoir laissé pourrir la situation. Ces dernières ont-elles les moyens de désamorcer la nouvelle flambée de violences ? En ont-elles la volonté ? Beaucoup se le demandent. « Il y a trop de zones d'ombre pour qu'on ne s'interroge pas », explique le chercheur Mohamed Hachemaoui. Des zones d'ombre, mais aussi des faits : en début d'année, des vidéos ont montré des policiers soutenant manifestement la communauté arabe contre la communauté mozabite lors d'affrontements. Trois d'entre eux ont été suspendus.
« Le résultat d'une gestion désastreuse du pays »
Un peu plus tard, 3 000 gendarmes ont été envoyés sur place pour restaurer l'ordre et le calme. Mais pourquoi ce dispositif a-t-il été allégé il y a un mois ? « Ce qui s'est passé ces jours-ci est la parfaite illustration de la gestion par un non-Etat livré aux trafiquants », estime la sociologue Fatma Oussedik dans une déclaration au quotidien El Watan. « On ne sait pas à qui profite le crime », surenchérit Mohamed Hachemaoui. Mais selon lui, il est important d'inscrire ce qui se passe dans le cadre du malaise qui touche le plus haut sommet de l'Etat.
En janvier dernier, le Front de libération nationale (FLN, parti au pouvoir), la présidence, l'armée et les services de renseignement ont mis leurs divergences sur la place publique. Certains ont-ils depuis décidé de souffler sur les braises à Ghardaïa pour montrer qu'il faut encore compter avec eux ? Une instrumentalisation du conflit n'est pas à exclure, selon certains politologues.
Dans un communiqué, la Ligue algérienne des droits de l'homme a demandé dimanche la démission du gouverneur de Ghardaïa, du divisionnaire de sûreté de la région et du ministre de l'Intérieur lui-même. Selon l'ONG, « l'Etat est incapable de contrôler la situation. Pire, les autorités sécuritaires et politiques compliquent la situation à chaque fois qu'elles interviennent. » Et d'enfoncer le clou : « Ce qui se passe à Ghardaïa est le résultat d'une gestion désastreuse du pays par un régime qui a prouvé son échec total quant à sa capacité à prendre en charge les préoccupations des citoyens. »
Source : Rfi.fr