Octobre 2005, en s'adressant à une habitante blanche au sujet des Noirs vivant en banlieue parisienne, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur de Jacques Chirac, déclare : «Nous allons vous débarrasser de cette racaille.» Dimanche 6 mai, 20h00, le même Nicolas Sarkozy est élu président de la République française avec 53,06% des voix, après avoir mené une campagne de division et de peur sur les dangers que représentent les immigrants africains. Plus que l’homme même, c’est le peuple français, qui l’a porté au pouvoir, qui étonne. Car faire de l’homme qui a provoqué le soulèvement des banlieues président de la République, l’homme à cause de qui il y eut des dizaines de milliers de voitures calcinées, a paru surprenant en ce qui a trait au regard qu’il porte sur sa propre société et sur le monde en pleines mutations. Une fois élu, l’homme met en exécution le concept phare de sa propagande «immigration choisie» et promet d’organiser des charters pour renvoyer dans leurs pays respectifs tous les sans-papiers. En réalité, il ne fait que continuer le boulot commencé alors que, ministre de l’intérieur, il s’était fixé l’objectif de 10.000 expulsions par an. Devenu donc président de la République, il fixe la barre à 25.000 expulsions par an et, en 2007, 24.000 immigrés en situation irrégulière sont expulsés de France selon le ministre de l’immigration du même Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux.
Devant l’ampleur des expulsions, les jeunes Africains de France ont cru résider dans un État fasciste, d’autant plus que leurs attentes de voir le président français assumer son passé colonial et esclavagiste de la France, se sont transformées en cauchemar. Mais au-delà du nombre des expulsés, c’est la manière qui les faisait frémir, l’expulsion elle-même étant très humiliante. D’ailleurs, le journal Lutte ouvrière n°1805 du 6 mars 2003 avait publié le contenu du manuel d’expulsion que Nicolas Sarkozy avait fourni à ses policiers. On pouvait y lire ceci : « Il faut toujours embarquer l'étranger avant les passagers, en général un quart d'heure avant. L'installation sur le siège arrière doit être réalisée rapidement, car observée par l'équipage. En cas de difficultés, celui-ci risque de demander au commandant de bord de faire débarquer l'escorte et l'éloigné (comme on appelle pudiquement celui qu'on expulse). Si les entraves doivent être maintenues pendant le vol en raison de l'attitude agressive de l'éloigné, l'escorte utilisera la couverture remise aux passagers de façon à dissimuler les membres entravés du reconduit et prévenir ainsi toute interrogation ou éventuelle prise à partie.»
Sarkozy ne s’était pas arrêté là. Pour mieux coordonner ses expulsions massives d’Africains, il a créé un ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale. Devant la grandeur de la dérive, le 19 mai 2007, l'historien Patrick Weil et sept autres universitaires français annoncèrent leur démission des instances de la Cité nationale de l'histoire de l'immigration (CNHI) pour protester contre la création de ce ministère par Nicolas Sarkozy au motif que «depuis deux siècles, les étrangers, venus par vagues successives, ont contribué à développer, transformer et à enrichir la France et qu’il n'est pas dans le rôle d'un État démocratique de définir l'identité, encore que l’association des concepts d'immigration et d'identité nationale dans un ministère n'a jamais eu de précédent en France».
Cependant, au sein de l’Union Européenne, le projet sarkozyste d’expulsion des Africains connaissait du succès. Le 4 juin de la même année, l’Union Européenne adopta une loi inédite appelée «directive retour» portant sur l'expulsion des sans-papiers, une loi qui prévoyait notamment l’emprisonnement des immigrants pendant 18 mois maximum, l’interdiction de leur réadmission pendant cinq ans et même la possibilité d'expulser les mineurs. Un profond sentiment d'injustice et de colère s’empara de l’Amérique latine qui invita l’Afrique à entrer en résistance, les peuples d’Amérique latine étant majoritairement constitués d’immigrants venus d’Europe. Un mois après l’adoption de cette loi, que les Sud-Américains qualifièrent de «directive de la honte», le 1er juillet 2008, Nicolas Sarkozy devint le président de l’union européenne. Il mit alors sur la table le fameux «pacte européen sur l’immigration» qu’il considérait, à côté des traditionnels projets sur l’énergie et la défense, comme le projet le plus important et la grande nouveauté de sa politique continentale. Nouveauté en ce sens qu’il était question d’expulsions massives, alors que l’Espagne, dans la première moitié de la même année, venait de régulariser 6.000 immigrants.
Quittons la politique intérieure de Nicolas Sarkozy pour parler de sa politique extérieure, sa politique africaine. Premier voyage en trompe en Afrique du nouveau président français le 29 juillet 2007, première grosse insulte historique. Dans un discours fleuve à Dakar, à un jet de pierre de l’Île de Gorée, dans le temple universitaire de Cheikh Anta Diop, Nicolas Sarkozy déclare très haut et très fort ce qu’il pense des Noirs et des Africains : «Je veux m’adresser à tous les habitants de ce continent meurtri, et, en particulier, aux jeunes, à vous qui vous êtes tant battus les uns contre les autres et souvent tant haïs, qui parfois vous combattez et vous haïssez encore mais qui pourtant vous reconnaissez comme frères, frères dans la souffrance, frères dans l’humiliation, frères dans la révolte…Je ne suis pas venu, jeunes d’Afrique, pour pleurer avec vous sur les malheurs de l’Afrique. Car l’Afrique n’a pas besoin de mes pleurs […] Je ne suis pas venu, jeunes d’Afrique, pour m’apitoyer sur votre sort parce que votre sort est d’abord entre vos mains. Que feriez-vous, fière jeunesse africaine de ma pitié ? […]Nul ne peut demander aux générations d’aujourd’hui d’expier ce crime perpétré par les générations passées. Nul ne peut demander aux fils de se repentir des fautes de leurs pères […] L’Afrique a sa part de responsabilité dans son propre malheur. On s’est entretué en Afrique au moins autant qu’en Europe. Mais il est vrai que jadis, les Européens sont venus en Afrique en conquérants. Ils ont pris la terre de vos ancêtres. Ils ont banni les dieux, les langues, les croyances, les coutumes de vos pères. Ils ont dit à vos pères ce qu’ils devaient penser, ce qu’ils devaient croire, ce qu’ils devaient faire. Ils ont coupé vos pères de leur passé, ils leur ont arraché leur âme et leurs racines. Ils ont désenchanté l’Afrique. Ils ont eu tort… La colonisation n’est pas responsable de toutes les difficultés actuelles de l’Afrique. Elle n’est pas responsable des guerres sanglantes que se font les Africains entre eux. Elle n’est pas responsable des génocides. Elle n’est pas responsable des dictateurs […] Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles […] Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès. Dans cet univers où la nature commande tout, l’homme échappe à l’angoisse de l’histoire qui tenaille l’homme moderne mais l’homme reste immobile au milieu d’un ordre immuable où tout semble être écrit d’avance. Jamais l’homme ne s’élance vers l’avenir. Jamais il ne lui vient à l’idée de sortir de la répétition pour s’inventer un destin. Le problème de l’Afrique, c’est de cesser de toujours répéter, de toujours ressasser, de se libérer du mythe de l’éternel retour, c’est de prendre conscience que l’âge d’or qu’elle ne cesse de regretter, ne reviendra pas pour la raison qu’il n’a jamais existé. Le problème de l’Afrique, c’est qu’elle vit trop le présent dans la nostalgie du paradis perdu de l’enfance. La réalité de l’Afrique, c’est encore trop de famine, trop de misère. La réalité de l’Afrique, c’est la rareté qui suscite la violence. La réalité de l’Afrique, c’est le développement qui ne va pas assez vite, c’est l’agriculture qui ne produit pas assez, c’est le manque de routes, c’est le manque d’écoles, c’est le manque d’hôpitaux. La réalité de l’Afrique, c’est un grand gaspillage d’énergie, de courage, de talents, d’intelligence […] Jeunesse africaine, vous voulez la démocratie, vous voulez la liberté, vous voulez la justice, vous voulez le Droit ? C’est à vous d’en décider. La France ne décidera pas à votre place. Voulez-vous qu’il n’y ait plus de famine sur la terre africaine ? Voulez-vous que, sur la terre africaine, il n’y ait plus jamais un seul enfant qui meure de faim ? Alors cherchez l’autosuffisance alimentaire. Alors développez les cultures vivrières. L’Afrique a d’abord besoin de produire pour se nourrir. Si c’est ce que vous voulez, jeunes d’Afrique, vous tenez entre vos mains l’avenir de l’Afrique, et la France travaillera avec vous pour bâtir cet avenir […] Vous voulez la paix sur le continent africain ? Vous voulez la sécurité collective ? Vous voulez le règlement pacifique des conflits ? Vous voulez mettre fin au cycle infernal de la vengeance et de la haine ? C’est à vous, mes amis africains, de le décider. Et si vous le décidez, la France sera à vos côtés, comme une amie indéfectible, mais la France ne peut pas vouloir à la place de la jeunesse d’Afrique…»
Il n’est point besoin de commenter ces propos de Nicolas Sarkozy sur les Noirs et sur les Africains, car ils contiennent en eux-mêmes les termes de leur propre commentaire. C’est l’un des discours les plus valorisants des stéréotypes et des clichés de l’histoire africaine contemporaine. En fait, Nicolas Sarkozy qui, ici, tentait par tous les moyens de falsifier l’histoire et de minimiser en même temps la responsabilité française dans le drame permanent de l’Afrique, n’ignorait rien du soutien qu’il apportait lui-même aux despotes africains que Paris prenait soin d’installer au fil des temps. Il n’ignorait rien du besoin pressant de liberté et de justice de la jeunesse africaine torturée par les dictatures françafricaines. Il avait une idée claire du passé scientifique et technique de l’Afrique précoloniale et de sa vision moderne postcoloniale. Il le savait mieux que quiconque, mais s’en détournait à dessein.
La Jeunesse africaine avait alors rejeté, à travers des correspondances diverses, ce discours humiliant. Et elle avait espéré par ce rejet voir les dirigeants français s’engager véritablement dans la recherche de la vérité sur la nature réelle des problèmes graves qui gangrènent les relations profondes entre la France et les pays africains et qui, dans un futur proche ou lointain, feront de la France la grande perdante d´un espace économique qu´il aurait dû bâtir pour favoriser l´émergence d´un véritable empire francophone dans un monde dominé par la civilisation anglo-saxonne et bientôt la chinaphilie. Mais c’était un espoir sans lendemain.
Au-delà des attentes et des espoirs de la Jeunesse africaine, le discours du président français montrait à suffire que bien que les Africains avaient connu l’humiliation et la servitude pendant l’esclavage, puis l’exploitation et l’expropriation pendant la colonisation, ils n’étaient pas au bout de leurs peines cinquante ans après les indépendances. La vision hégélienne du monde, qui avait produit la dialectique du maître dominateur et de l’esclave soumis, était encore bien vivante au 21ème siècle et pouvait s’inviter à tout moment à la table des souffrances africaines.
Devant l’ampleur des expulsions, les jeunes Africains de France ont cru résider dans un État fasciste, d’autant plus que leurs attentes de voir le président français assumer son passé colonial et esclavagiste de la France, se sont transformées en cauchemar. Mais au-delà du nombre des expulsés, c’est la manière qui les faisait frémir, l’expulsion elle-même étant très humiliante. D’ailleurs, le journal Lutte ouvrière n°1805 du 6 mars 2003 avait publié le contenu du manuel d’expulsion que Nicolas Sarkozy avait fourni à ses policiers. On pouvait y lire ceci : « Il faut toujours embarquer l'étranger avant les passagers, en général un quart d'heure avant. L'installation sur le siège arrière doit être réalisée rapidement, car observée par l'équipage. En cas de difficultés, celui-ci risque de demander au commandant de bord de faire débarquer l'escorte et l'éloigné (comme on appelle pudiquement celui qu'on expulse). Si les entraves doivent être maintenues pendant le vol en raison de l'attitude agressive de l'éloigné, l'escorte utilisera la couverture remise aux passagers de façon à dissimuler les membres entravés du reconduit et prévenir ainsi toute interrogation ou éventuelle prise à partie.»
Sarkozy ne s’était pas arrêté là. Pour mieux coordonner ses expulsions massives d’Africains, il a créé un ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale. Devant la grandeur de la dérive, le 19 mai 2007, l'historien Patrick Weil et sept autres universitaires français annoncèrent leur démission des instances de la Cité nationale de l'histoire de l'immigration (CNHI) pour protester contre la création de ce ministère par Nicolas Sarkozy au motif que «depuis deux siècles, les étrangers, venus par vagues successives, ont contribué à développer, transformer et à enrichir la France et qu’il n'est pas dans le rôle d'un État démocratique de définir l'identité, encore que l’association des concepts d'immigration et d'identité nationale dans un ministère n'a jamais eu de précédent en France».
Cependant, au sein de l’Union Européenne, le projet sarkozyste d’expulsion des Africains connaissait du succès. Le 4 juin de la même année, l’Union Européenne adopta une loi inédite appelée «directive retour» portant sur l'expulsion des sans-papiers, une loi qui prévoyait notamment l’emprisonnement des immigrants pendant 18 mois maximum, l’interdiction de leur réadmission pendant cinq ans et même la possibilité d'expulser les mineurs. Un profond sentiment d'injustice et de colère s’empara de l’Amérique latine qui invita l’Afrique à entrer en résistance, les peuples d’Amérique latine étant majoritairement constitués d’immigrants venus d’Europe. Un mois après l’adoption de cette loi, que les Sud-Américains qualifièrent de «directive de la honte», le 1er juillet 2008, Nicolas Sarkozy devint le président de l’union européenne. Il mit alors sur la table le fameux «pacte européen sur l’immigration» qu’il considérait, à côté des traditionnels projets sur l’énergie et la défense, comme le projet le plus important et la grande nouveauté de sa politique continentale. Nouveauté en ce sens qu’il était question d’expulsions massives, alors que l’Espagne, dans la première moitié de la même année, venait de régulariser 6.000 immigrants.
Quittons la politique intérieure de Nicolas Sarkozy pour parler de sa politique extérieure, sa politique africaine. Premier voyage en trompe en Afrique du nouveau président français le 29 juillet 2007, première grosse insulte historique. Dans un discours fleuve à Dakar, à un jet de pierre de l’Île de Gorée, dans le temple universitaire de Cheikh Anta Diop, Nicolas Sarkozy déclare très haut et très fort ce qu’il pense des Noirs et des Africains : «Je veux m’adresser à tous les habitants de ce continent meurtri, et, en particulier, aux jeunes, à vous qui vous êtes tant battus les uns contre les autres et souvent tant haïs, qui parfois vous combattez et vous haïssez encore mais qui pourtant vous reconnaissez comme frères, frères dans la souffrance, frères dans l’humiliation, frères dans la révolte…Je ne suis pas venu, jeunes d’Afrique, pour pleurer avec vous sur les malheurs de l’Afrique. Car l’Afrique n’a pas besoin de mes pleurs […] Je ne suis pas venu, jeunes d’Afrique, pour m’apitoyer sur votre sort parce que votre sort est d’abord entre vos mains. Que feriez-vous, fière jeunesse africaine de ma pitié ? […]Nul ne peut demander aux générations d’aujourd’hui d’expier ce crime perpétré par les générations passées. Nul ne peut demander aux fils de se repentir des fautes de leurs pères […] L’Afrique a sa part de responsabilité dans son propre malheur. On s’est entretué en Afrique au moins autant qu’en Europe. Mais il est vrai que jadis, les Européens sont venus en Afrique en conquérants. Ils ont pris la terre de vos ancêtres. Ils ont banni les dieux, les langues, les croyances, les coutumes de vos pères. Ils ont dit à vos pères ce qu’ils devaient penser, ce qu’ils devaient croire, ce qu’ils devaient faire. Ils ont coupé vos pères de leur passé, ils leur ont arraché leur âme et leurs racines. Ils ont désenchanté l’Afrique. Ils ont eu tort… La colonisation n’est pas responsable de toutes les difficultés actuelles de l’Afrique. Elle n’est pas responsable des guerres sanglantes que se font les Africains entre eux. Elle n’est pas responsable des génocides. Elle n’est pas responsable des dictateurs […] Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles […] Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès. Dans cet univers où la nature commande tout, l’homme échappe à l’angoisse de l’histoire qui tenaille l’homme moderne mais l’homme reste immobile au milieu d’un ordre immuable où tout semble être écrit d’avance. Jamais l’homme ne s’élance vers l’avenir. Jamais il ne lui vient à l’idée de sortir de la répétition pour s’inventer un destin. Le problème de l’Afrique, c’est de cesser de toujours répéter, de toujours ressasser, de se libérer du mythe de l’éternel retour, c’est de prendre conscience que l’âge d’or qu’elle ne cesse de regretter, ne reviendra pas pour la raison qu’il n’a jamais existé. Le problème de l’Afrique, c’est qu’elle vit trop le présent dans la nostalgie du paradis perdu de l’enfance. La réalité de l’Afrique, c’est encore trop de famine, trop de misère. La réalité de l’Afrique, c’est la rareté qui suscite la violence. La réalité de l’Afrique, c’est le développement qui ne va pas assez vite, c’est l’agriculture qui ne produit pas assez, c’est le manque de routes, c’est le manque d’écoles, c’est le manque d’hôpitaux. La réalité de l’Afrique, c’est un grand gaspillage d’énergie, de courage, de talents, d’intelligence […] Jeunesse africaine, vous voulez la démocratie, vous voulez la liberté, vous voulez la justice, vous voulez le Droit ? C’est à vous d’en décider. La France ne décidera pas à votre place. Voulez-vous qu’il n’y ait plus de famine sur la terre africaine ? Voulez-vous que, sur la terre africaine, il n’y ait plus jamais un seul enfant qui meure de faim ? Alors cherchez l’autosuffisance alimentaire. Alors développez les cultures vivrières. L’Afrique a d’abord besoin de produire pour se nourrir. Si c’est ce que vous voulez, jeunes d’Afrique, vous tenez entre vos mains l’avenir de l’Afrique, et la France travaillera avec vous pour bâtir cet avenir […] Vous voulez la paix sur le continent africain ? Vous voulez la sécurité collective ? Vous voulez le règlement pacifique des conflits ? Vous voulez mettre fin au cycle infernal de la vengeance et de la haine ? C’est à vous, mes amis africains, de le décider. Et si vous le décidez, la France sera à vos côtés, comme une amie indéfectible, mais la France ne peut pas vouloir à la place de la jeunesse d’Afrique…»
Il n’est point besoin de commenter ces propos de Nicolas Sarkozy sur les Noirs et sur les Africains, car ils contiennent en eux-mêmes les termes de leur propre commentaire. C’est l’un des discours les plus valorisants des stéréotypes et des clichés de l’histoire africaine contemporaine. En fait, Nicolas Sarkozy qui, ici, tentait par tous les moyens de falsifier l’histoire et de minimiser en même temps la responsabilité française dans le drame permanent de l’Afrique, n’ignorait rien du soutien qu’il apportait lui-même aux despotes africains que Paris prenait soin d’installer au fil des temps. Il n’ignorait rien du besoin pressant de liberté et de justice de la jeunesse africaine torturée par les dictatures françafricaines. Il avait une idée claire du passé scientifique et technique de l’Afrique précoloniale et de sa vision moderne postcoloniale. Il le savait mieux que quiconque, mais s’en détournait à dessein.
La Jeunesse africaine avait alors rejeté, à travers des correspondances diverses, ce discours humiliant. Et elle avait espéré par ce rejet voir les dirigeants français s’engager véritablement dans la recherche de la vérité sur la nature réelle des problèmes graves qui gangrènent les relations profondes entre la France et les pays africains et qui, dans un futur proche ou lointain, feront de la France la grande perdante d´un espace économique qu´il aurait dû bâtir pour favoriser l´émergence d´un véritable empire francophone dans un monde dominé par la civilisation anglo-saxonne et bientôt la chinaphilie. Mais c’était un espoir sans lendemain.
Au-delà des attentes et des espoirs de la Jeunesse africaine, le discours du président français montrait à suffire que bien que les Africains avaient connu l’humiliation et la servitude pendant l’esclavage, puis l’exploitation et l’expropriation pendant la colonisation, ils n’étaient pas au bout de leurs peines cinquante ans après les indépendances. La vision hégélienne du monde, qui avait produit la dialectique du maître dominateur et de l’esclave soumis, était encore bien vivante au 21ème siècle et pouvait s’inviter à tout moment à la table des souffrances africaines.
Maurice NGUEPE
Pour affronter cette vision, il fallait se construire une nouvelle personnalité africaine et poser un nouveau regard sur le monde, non pas comme le «maître» le voyait, mais simplement comme un homme libre, libre de penser, libre de se mouvoir, libre de décider de la direction de son propre destin, libre de tous les préjugés et stéréotypes qui enferment l’esprit dans la prison de l’irrationalité, libre de participer à l’effort de construction d’une humanité commune. Le chemin qui mène vers la construction de cette nouvelle personnalité, c’est Barack Obama qui nous le montra.
En effet, ce qui attira l’attention de la Jeunesse africaine sur la force de caractère inspirante que dégageait Obama, c’était encore l’attitude de Nicolas Sarkozy, qui après avoir déballé le discours discriminatoire de Dakar, avait subitement eu une grande envie de le rencontrer, l’appelant de façon répétitive «mon copain». Comment Obama, qui avait été un banlieusard de Chicago, et qui rentrait parfaitement dans la catégorie sarkozyste de la «racaille» par son histoire personnelle et celle de son père Kényan, avait-il pu, par la présentation subtile d’une certaine façon d’être, devenir l’idole de tout le monde occidental? Comment avait-il pu devenir l’homme devant qui tous les préjugés, clichés et stéréotypes tombaient? Comment les jeunes Africains pouvaient-ils s’approprier les traits de son caractère pour se forger une personnalité et sortir du cercle vicieux de l’insulte?
Ces questions, la jeunesse africaine se les posait d’autant plus que le président français Nicolas Sarkozy avait été le premier à convoquer une conférence internationale sur la crise économique mondiale en proposant Washington comme lieu de réunion, alors que l’objectif premier était de rencontrer Barack Obama. Le site Purepeople.com, citant le Canard Enchaîné, faisait remarquer à ce propos que Sarkozy «comptait fermement sur ce bref séjour diplomatique pour être le premier chef d'État à rencontrer, pour la première fois depuis son élection à la présidence des États-Unis, Barak Obama — [mon copain], comme il l'appelle. Seulement, il y aurait eu un os, que rapporte Le Canard Enchaîné de cette semaine : "son pote" l'aurait… snobé, purement et simplement! Nicolas Sarkozy aurait eu beau faire des pieds et des mains pour rencontrer son futur [homologue son investiture aura lieu le 20 janvier 2009, l'Inauguration Day] à Chicago, fief du sénateur de l'Illinois, ce dernier n'a [pas donné suite]. Du coup, poursuit Le Canard Enchaîné, Sarko — qui voulait être le premier chef d'Etat à le rencontrer — a dû se contenter d'un rendez-vous à New York avec Timothy Geither, le président de la Réserve fédérale de New York, que la rumeur donne comme possible secrétaire au Trésor dans la future administration.»
Pour mieux comprendre la réponse aux questionnements de la jeunesse africaine au sujet des traits de caractère à copier chez Obama pour constituer une nouvelle personnalité africaine, il convient de revenir sur l’un de ses grands discours, son discours historique sur la race intitulé «Une union plus parfaite». Dans ce discours, que l’Afrique brisée par les luttes ethniques devra adopter comme une charte, Obama déclare ce qui suit au sujet de la lutte pour les droits civiques et l’égalité des chances et des races: «C’est l’une des tâches que nous nous sommes fixées au début de cette campagne —continuer la longue marche de ceux qui nous ont précédés, une marche pour une Amérique plus juste, plus égale, plus libre, plus généreuse et plus prospère. J’ai choisi de me présenter aux élections présidentielles à ce moment de l’histoire parce que je crois profondément que nous ne pourrons résoudre les problèmes de notre temps que si nous les résolvons ensemble, que nous ne pourrons parfaire l’union que si nous comprenons que nous avons tous une histoire différente mais que nous partageons de mêmes espoirs, que nous ne sommes pas tous pareils et que nous ne venons pas du même endroit mais que nous voulons aller dans la même direction, vers un avenir meilleur pour nos enfants et petits-enfants. Cette conviction me vient de ma foi inébranlable en la générosité et la dignité du peuple Américain. Elle me vient aussi de ma propre histoire d'Américain. Je suis le fils d'un noir du Kenya et d'une blanche du Kansas. J’ai été élevé par un grand-père qui a survécu à la Dépression et qui s'est engagé dans l'armée de Patton pendant la deuxième Guerre Mondiale, et une grand-mère blanche qui était ouvrière à la chaîne dans une usine de bombardiers quand son mari était en Europe. J’ai fréquenté les meilleures écoles d'Amérique et vécu dans un des pays les plus pauvres du monde. J’ai épousé une noire américaine qui porte en elle le sang des esclaves et de leurs maîtres, un héritage que nous avons transmis à nos deux chères filles. J’ai des frères, des sœurs, des nièces, des neveux des oncles et des cousins, de toute race et de toute teinte, dispersés sur trois continents, et tant que je serai en vie, je n'oublierai jamais que mon histoire est inconcevable dans aucun autre pays. C’est une histoire qui ne fait pas de moi le candidat le plus plausible. Mais c’est une histoire qui a gravé au plus profond de moi l’idée que cette nation est plus que la somme de ses parties, que de plusieurs nous ne faisons qu’un. Tout au long de cette première année de campagne, envers et contre tous les pronostics, nous avons constaté à quel point les Américains avaient faim de ce message d'unité.»
Reprenant des extraits d’un de ces deux bestsellers «Les rêves de mon père», Barack Obama affirme ne pas rejeter les valeurs de son pasteur noir, le Rev. Wright, chef de l’église de la Trinity, qui a affermi sa foi : «Dans mon livre, Les Rêves de mon père, je décris mes premières impressions de l’église de la Trinity: L'assistance se mit à crier, à se lever, à taper des mains, et le vent puissant de son souffle emportait la voix du révérend jusqu'aux chevrons […]. Et dans ces simples notes — espoir ! — j’entendis autre chose. Au pied de cette croix, à l'intérieur des milliers d'églises réparties dans cette ville, je vis l'histoire de Noirs ordinaires se fondre avec celles de David et Goliath, de Moïse et Pharaon, des chrétiens jetés dans la fosse aux lions, du champ d’os desséchés d’Ezékiel. Ces histoires —de survie, de liberté, d’espoir— devenaient notre histoire, mon histoire ; le sang qui avait été versé était notre sang, les larmes étaient nos larmes. Cette église noire, en cette belle journée, était redevenue un navire qui transportait l’histoire d’un peuple jusqu'aux générations futures et jusque dans un monde plus grand. Nos luttes et nos triomphes devenaient soudain uniques et universels, noirs et plus que noirs. En faisant la chronique de notre voyage, les histoires et les chants nous donnaient un moyen de revendiquer des souvenirs dont nous n'avions pas à avoir honte […], des souvenirs que tout le monde pouvait étudier et chérir - et avec lesquels nous pouvions commencer à reconstruire.» Telle a été ma première expérience à Trinity. Comme beaucoup d’églises majoritairement noires, Trinity est un microcosme de la communauté noire : on y voit le médecin et la mère assistée, l’étudiant modèle et le voyou repenti. Comme toutes les autres églises noires, les services religieux de Trinity résonnent de rires tapageurs et de plaisanteries truculentes. Et ça danse, ça tape des mains, ça crie et ça hurle, ce qui peut paraître incongru à un nouveau venu. L'église contient toute la tendresse et la cruauté, l’intelligence l’extrême et l’ignorance crasse, les combats et les réussites, tout l'amour et, oui, l'amertume et les préjugés qui sont la somme de l’expérience noire en Amérique. Et cela explique sans doute mes rapports avec le Rev. Wright. Si imparfait soit-il, je le considère comme un membre de ma famille. Il a raffermi ma foi, célébré mon mariage et baptisé mes enfants. Jamais dans mes conversations avec lui ne l’ai-je entendu parler d’un groupe ethnique en termes péjoratifs, ou manquer de respect ou de courtoisie envers les Blancs avec qui il a affaire. Il porte en lui les contradictions — le bon et le mauvais— de la communauté qu’il sert sans se ménager depuis tant d’années. Je ne peux pas plus le renier que je ne peux renier la communauté noire, je ne peux pas plus le renier que je ne peux renier ma grand-mère blanche […] Ces personnes sont une partie de moi. Et elles font partie de l’Amérique, ce pays que j’aime.»
Suivant ce passage, pour se forger une personnalité aimable capable de faire tomber les préjugés, il faut donc d’abord accepter et assumer son identité noire/ethnique et son origine africaine et reconnaitre la valeur des mythes religieux comme faisant partie de son héritage spirituel. Cette acceptation débouche inéluctablement sur un défi, celui d’attaquer les questions ethniques et raciales de front comme l’a fait Obama lui-même: «Je crois que ce pays, aujourd'hui, ne peut pas se permettre d'ignorer la problématique de la race. Nous commettrions la même erreur que le Rev. Wright dans ses sermons offensants sur l'Amérique —en simplifiant, en recourant à des stéréotypes et en accentuant les côtés négatifs au point de déformer la réalité. Le fait est que les propos qui ont été tenus et les problèmes qui ont été soulevés ces dernières semaines reflètent les aspects complexes du problème racial que nous n’avons jamais vraiment explorés — une partie de notre union qui nous reste encore à parfaire. Et si nous abandonnons maintenant pour revenir tout simplement à nos positions respectives, nous n'arriverons jamais à nous unir pour surmonter ensemble les défis que sont l'assurance-maladie, l'éducation ou la création d'emplois. Il faut que tous les Américains comprennent que vos rêves ne se réalisent pas forcément au détriment des miens ; qu'investir dans la santé, les programmes sociaux et l'éducation des enfants noirs, bruns et blancs contribuera à la prospérité de tous les Américains. En fin de compte, ce que l’on attend de nous, ce n’est ni plus ni moins ce que toutes les grandes religions du monde exigent —que nous nous conduisions envers les autres comme nous aimerions qu’ils se conduisent envers nous. Soyons le gardien de notre frère, nous disent les Écritures. Soyons le gardien de notre sœur. Trouvons ensemble cet enjeu commun qui nous soude les uns aux autres, et que notre politique reflète aussi l'esprit de ce projet.»
Au chapitre sur la réconciliation raciale, Barack Obama fait un long développement sur la colère des Noirs et l’inquiétude des Blancs et conclut : «j’ai affirmé ma conviction profonde —une conviction ancrée dans ma foi en Dieu et ma foi dans le peuple américain— qu’en travaillant ensemble nous arriverons à panser nos vieilles blessures raciales et qu’en fait nous n’avons plus le choix si nous voulons continuer d’avancer dans la voie d’une union plus parfaite. Pour la communauté afro-américaine, cela veut dire accepter le fardeau de notre passé sans en devenir les victimes, cela veut dire continuer d’exiger une vraie justice dans tous les aspects de la vie américaine. Mais cela veut aussi dire associer nos propres revendications –meilleure assurance-maladie, meilleures écoles, meilleurs emplois— aux aspirations de tous les Américains, qu’il s’agisse de la Blanche qui a du mal à briser le plafond de verre dans l’échelle hiérarchique, du Blanc qui a été licencié ou de l'immigrant qui s’efforce de nourrir sa famille. Cela veut dire aussi assumer pleinement nos responsabilités dans la vie — en exigeant davantage de nos pères, en passant plus de temps avec nos enfants, en leur faisant la lecture, en leur apprenant que même s'ils sont en butte aux difficultés et à la discrimination, ils ne doivent jamais succomber au désespoir et au cynisme : ils doivent toujours croire qu’ils peuvent être maîtres de leur destinée.»
Barack Obama a résolu la question de l’ethnicité et du multiculturalisme de la manière la plus inspirante qui soit. Dans tous ses discours, il prônait un choix à faire: « Nous avons un choix à faire dans ce pays. Nous pouvons accepter une politique qui engendre les divisions intercommunautaires, les conflits et le cynisme. Nous pouvons aborder le problème racial en voyeurs —comme pendant le procès d’O.J. Simpson —, sous un angle tragique – comme nous l’avons fait après Katrina – ou encore comme nourriture pour les journaux télévisés du soir. C’est une possibilité […] Ou bien, maintenant […] nous pouvons dire ensemble : «Cette fois, non!» Cette fois nous voulons parler des écoles délabrées qui dérobent leur avenir à nos enfants, les enfants noirs, les enfants blancs, les enfants asiatiques, les enfants hispaniques et les enfants amérindiens. Cette fois nous ne voulons plus du cynisme qui nous répète que ces gosses sont incapables d'apprendre, que ces gosses qui ne nous ressemblent pas sont les problèmes de quelqu'un d'autre.»
Pour toute cette force de caractère qu’il a déployée, Barack Obama a été élu président des États-Unis d’Amérique, le pays pour lequel il fera tout. Peut-être ne fera-t-il pas grand-chose pour l’Afrique, mais le chemin qu’il a tracé doit être suivi par l’ensemble de la jeunesse africaine. C’est à la Jeunesse africaine de prendre en main son destin en se dotant d’une nouvelle personnalité dont les ingrédients seront l’intégrité, le dynamisme, le courage, la volonté de réussir, la témérité, l’incorruptibilité, la confiance en soi, la défense des valeurs, l’amour du prochain et de sa patrie, la vision d’un humanisme intégral tourné vers le futur. Seule cette nouvelle personnalité permettra d’affronter toutes les formes d’exclusion nées des stéréotypes, des préjugés et des clichés. Seulement alors, les jeunes Africains se feront aussi appeler «nos amis» par les autres jeunes du monde, en l’occurrence ceux de l’Occident et de l’Orient.
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En effet, ce qui attira l’attention de la Jeunesse africaine sur la force de caractère inspirante que dégageait Obama, c’était encore l’attitude de Nicolas Sarkozy, qui après avoir déballé le discours discriminatoire de Dakar, avait subitement eu une grande envie de le rencontrer, l’appelant de façon répétitive «mon copain». Comment Obama, qui avait été un banlieusard de Chicago, et qui rentrait parfaitement dans la catégorie sarkozyste de la «racaille» par son histoire personnelle et celle de son père Kényan, avait-il pu, par la présentation subtile d’une certaine façon d’être, devenir l’idole de tout le monde occidental? Comment avait-il pu devenir l’homme devant qui tous les préjugés, clichés et stéréotypes tombaient? Comment les jeunes Africains pouvaient-ils s’approprier les traits de son caractère pour se forger une personnalité et sortir du cercle vicieux de l’insulte?
Ces questions, la jeunesse africaine se les posait d’autant plus que le président français Nicolas Sarkozy avait été le premier à convoquer une conférence internationale sur la crise économique mondiale en proposant Washington comme lieu de réunion, alors que l’objectif premier était de rencontrer Barack Obama. Le site Purepeople.com, citant le Canard Enchaîné, faisait remarquer à ce propos que Sarkozy «comptait fermement sur ce bref séjour diplomatique pour être le premier chef d'État à rencontrer, pour la première fois depuis son élection à la présidence des États-Unis, Barak Obama — [mon copain], comme il l'appelle. Seulement, il y aurait eu un os, que rapporte Le Canard Enchaîné de cette semaine : "son pote" l'aurait… snobé, purement et simplement! Nicolas Sarkozy aurait eu beau faire des pieds et des mains pour rencontrer son futur [homologue son investiture aura lieu le 20 janvier 2009, l'Inauguration Day] à Chicago, fief du sénateur de l'Illinois, ce dernier n'a [pas donné suite]. Du coup, poursuit Le Canard Enchaîné, Sarko — qui voulait être le premier chef d'Etat à le rencontrer — a dû se contenter d'un rendez-vous à New York avec Timothy Geither, le président de la Réserve fédérale de New York, que la rumeur donne comme possible secrétaire au Trésor dans la future administration.»
Pour mieux comprendre la réponse aux questionnements de la jeunesse africaine au sujet des traits de caractère à copier chez Obama pour constituer une nouvelle personnalité africaine, il convient de revenir sur l’un de ses grands discours, son discours historique sur la race intitulé «Une union plus parfaite». Dans ce discours, que l’Afrique brisée par les luttes ethniques devra adopter comme une charte, Obama déclare ce qui suit au sujet de la lutte pour les droits civiques et l’égalité des chances et des races: «C’est l’une des tâches que nous nous sommes fixées au début de cette campagne —continuer la longue marche de ceux qui nous ont précédés, une marche pour une Amérique plus juste, plus égale, plus libre, plus généreuse et plus prospère. J’ai choisi de me présenter aux élections présidentielles à ce moment de l’histoire parce que je crois profondément que nous ne pourrons résoudre les problèmes de notre temps que si nous les résolvons ensemble, que nous ne pourrons parfaire l’union que si nous comprenons que nous avons tous une histoire différente mais que nous partageons de mêmes espoirs, que nous ne sommes pas tous pareils et que nous ne venons pas du même endroit mais que nous voulons aller dans la même direction, vers un avenir meilleur pour nos enfants et petits-enfants. Cette conviction me vient de ma foi inébranlable en la générosité et la dignité du peuple Américain. Elle me vient aussi de ma propre histoire d'Américain. Je suis le fils d'un noir du Kenya et d'une blanche du Kansas. J’ai été élevé par un grand-père qui a survécu à la Dépression et qui s'est engagé dans l'armée de Patton pendant la deuxième Guerre Mondiale, et une grand-mère blanche qui était ouvrière à la chaîne dans une usine de bombardiers quand son mari était en Europe. J’ai fréquenté les meilleures écoles d'Amérique et vécu dans un des pays les plus pauvres du monde. J’ai épousé une noire américaine qui porte en elle le sang des esclaves et de leurs maîtres, un héritage que nous avons transmis à nos deux chères filles. J’ai des frères, des sœurs, des nièces, des neveux des oncles et des cousins, de toute race et de toute teinte, dispersés sur trois continents, et tant que je serai en vie, je n'oublierai jamais que mon histoire est inconcevable dans aucun autre pays. C’est une histoire qui ne fait pas de moi le candidat le plus plausible. Mais c’est une histoire qui a gravé au plus profond de moi l’idée que cette nation est plus que la somme de ses parties, que de plusieurs nous ne faisons qu’un. Tout au long de cette première année de campagne, envers et contre tous les pronostics, nous avons constaté à quel point les Américains avaient faim de ce message d'unité.»
Reprenant des extraits d’un de ces deux bestsellers «Les rêves de mon père», Barack Obama affirme ne pas rejeter les valeurs de son pasteur noir, le Rev. Wright, chef de l’église de la Trinity, qui a affermi sa foi : «Dans mon livre, Les Rêves de mon père, je décris mes premières impressions de l’église de la Trinity: L'assistance se mit à crier, à se lever, à taper des mains, et le vent puissant de son souffle emportait la voix du révérend jusqu'aux chevrons […]. Et dans ces simples notes — espoir ! — j’entendis autre chose. Au pied de cette croix, à l'intérieur des milliers d'églises réparties dans cette ville, je vis l'histoire de Noirs ordinaires se fondre avec celles de David et Goliath, de Moïse et Pharaon, des chrétiens jetés dans la fosse aux lions, du champ d’os desséchés d’Ezékiel. Ces histoires —de survie, de liberté, d’espoir— devenaient notre histoire, mon histoire ; le sang qui avait été versé était notre sang, les larmes étaient nos larmes. Cette église noire, en cette belle journée, était redevenue un navire qui transportait l’histoire d’un peuple jusqu'aux générations futures et jusque dans un monde plus grand. Nos luttes et nos triomphes devenaient soudain uniques et universels, noirs et plus que noirs. En faisant la chronique de notre voyage, les histoires et les chants nous donnaient un moyen de revendiquer des souvenirs dont nous n'avions pas à avoir honte […], des souvenirs que tout le monde pouvait étudier et chérir - et avec lesquels nous pouvions commencer à reconstruire.» Telle a été ma première expérience à Trinity. Comme beaucoup d’églises majoritairement noires, Trinity est un microcosme de la communauté noire : on y voit le médecin et la mère assistée, l’étudiant modèle et le voyou repenti. Comme toutes les autres églises noires, les services religieux de Trinity résonnent de rires tapageurs et de plaisanteries truculentes. Et ça danse, ça tape des mains, ça crie et ça hurle, ce qui peut paraître incongru à un nouveau venu. L'église contient toute la tendresse et la cruauté, l’intelligence l’extrême et l’ignorance crasse, les combats et les réussites, tout l'amour et, oui, l'amertume et les préjugés qui sont la somme de l’expérience noire en Amérique. Et cela explique sans doute mes rapports avec le Rev. Wright. Si imparfait soit-il, je le considère comme un membre de ma famille. Il a raffermi ma foi, célébré mon mariage et baptisé mes enfants. Jamais dans mes conversations avec lui ne l’ai-je entendu parler d’un groupe ethnique en termes péjoratifs, ou manquer de respect ou de courtoisie envers les Blancs avec qui il a affaire. Il porte en lui les contradictions — le bon et le mauvais— de la communauté qu’il sert sans se ménager depuis tant d’années. Je ne peux pas plus le renier que je ne peux renier la communauté noire, je ne peux pas plus le renier que je ne peux renier ma grand-mère blanche […] Ces personnes sont une partie de moi. Et elles font partie de l’Amérique, ce pays que j’aime.»
Suivant ce passage, pour se forger une personnalité aimable capable de faire tomber les préjugés, il faut donc d’abord accepter et assumer son identité noire/ethnique et son origine africaine et reconnaitre la valeur des mythes religieux comme faisant partie de son héritage spirituel. Cette acceptation débouche inéluctablement sur un défi, celui d’attaquer les questions ethniques et raciales de front comme l’a fait Obama lui-même: «Je crois que ce pays, aujourd'hui, ne peut pas se permettre d'ignorer la problématique de la race. Nous commettrions la même erreur que le Rev. Wright dans ses sermons offensants sur l'Amérique —en simplifiant, en recourant à des stéréotypes et en accentuant les côtés négatifs au point de déformer la réalité. Le fait est que les propos qui ont été tenus et les problèmes qui ont été soulevés ces dernières semaines reflètent les aspects complexes du problème racial que nous n’avons jamais vraiment explorés — une partie de notre union qui nous reste encore à parfaire. Et si nous abandonnons maintenant pour revenir tout simplement à nos positions respectives, nous n'arriverons jamais à nous unir pour surmonter ensemble les défis que sont l'assurance-maladie, l'éducation ou la création d'emplois. Il faut que tous les Américains comprennent que vos rêves ne se réalisent pas forcément au détriment des miens ; qu'investir dans la santé, les programmes sociaux et l'éducation des enfants noirs, bruns et blancs contribuera à la prospérité de tous les Américains. En fin de compte, ce que l’on attend de nous, ce n’est ni plus ni moins ce que toutes les grandes religions du monde exigent —que nous nous conduisions envers les autres comme nous aimerions qu’ils se conduisent envers nous. Soyons le gardien de notre frère, nous disent les Écritures. Soyons le gardien de notre sœur. Trouvons ensemble cet enjeu commun qui nous soude les uns aux autres, et que notre politique reflète aussi l'esprit de ce projet.»
Au chapitre sur la réconciliation raciale, Barack Obama fait un long développement sur la colère des Noirs et l’inquiétude des Blancs et conclut : «j’ai affirmé ma conviction profonde —une conviction ancrée dans ma foi en Dieu et ma foi dans le peuple américain— qu’en travaillant ensemble nous arriverons à panser nos vieilles blessures raciales et qu’en fait nous n’avons plus le choix si nous voulons continuer d’avancer dans la voie d’une union plus parfaite. Pour la communauté afro-américaine, cela veut dire accepter le fardeau de notre passé sans en devenir les victimes, cela veut dire continuer d’exiger une vraie justice dans tous les aspects de la vie américaine. Mais cela veut aussi dire associer nos propres revendications –meilleure assurance-maladie, meilleures écoles, meilleurs emplois— aux aspirations de tous les Américains, qu’il s’agisse de la Blanche qui a du mal à briser le plafond de verre dans l’échelle hiérarchique, du Blanc qui a été licencié ou de l'immigrant qui s’efforce de nourrir sa famille. Cela veut dire aussi assumer pleinement nos responsabilités dans la vie — en exigeant davantage de nos pères, en passant plus de temps avec nos enfants, en leur faisant la lecture, en leur apprenant que même s'ils sont en butte aux difficultés et à la discrimination, ils ne doivent jamais succomber au désespoir et au cynisme : ils doivent toujours croire qu’ils peuvent être maîtres de leur destinée.»
Barack Obama a résolu la question de l’ethnicité et du multiculturalisme de la manière la plus inspirante qui soit. Dans tous ses discours, il prônait un choix à faire: « Nous avons un choix à faire dans ce pays. Nous pouvons accepter une politique qui engendre les divisions intercommunautaires, les conflits et le cynisme. Nous pouvons aborder le problème racial en voyeurs —comme pendant le procès d’O.J. Simpson —, sous un angle tragique – comme nous l’avons fait après Katrina – ou encore comme nourriture pour les journaux télévisés du soir. C’est une possibilité […] Ou bien, maintenant […] nous pouvons dire ensemble : «Cette fois, non!» Cette fois nous voulons parler des écoles délabrées qui dérobent leur avenir à nos enfants, les enfants noirs, les enfants blancs, les enfants asiatiques, les enfants hispaniques et les enfants amérindiens. Cette fois nous ne voulons plus du cynisme qui nous répète que ces gosses sont incapables d'apprendre, que ces gosses qui ne nous ressemblent pas sont les problèmes de quelqu'un d'autre.»
Pour toute cette force de caractère qu’il a déployée, Barack Obama a été élu président des États-Unis d’Amérique, le pays pour lequel il fera tout. Peut-être ne fera-t-il pas grand-chose pour l’Afrique, mais le chemin qu’il a tracé doit être suivi par l’ensemble de la jeunesse africaine. C’est à la Jeunesse africaine de prendre en main son destin en se dotant d’une nouvelle personnalité dont les ingrédients seront l’intégrité, le dynamisme, le courage, la volonté de réussir, la témérité, l’incorruptibilité, la confiance en soi, la défense des valeurs, l’amour du prochain et de sa patrie, la vision d’un humanisme intégral tourné vers le futur. Seule cette nouvelle personnalité permettra d’affronter toutes les formes d’exclusion nées des stéréotypes, des préjugés et des clichés. Seulement alors, les jeunes Africains se feront aussi appeler «nos amis» par les autres jeunes du monde, en l’occurrence ceux de l’Occident et de l’Orient.
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