Abdoulaye n’aime pas trop évoquer son passé, lorsqu’il était trafiquant de viande de chien. « Qu’est-ce que vous voulez savoir ? », demande avec défiance cet agriculteur de 29 ans, au milieu de son champ bordé par le fleuve Niger, près de la ville de Ségou, dans le centre du Mali. La pratique est courante dans la région, mais les habitants n’en parlent guère.
S’il assure avoir supprimé toutes les photos de son téléphone, les seize années passées dans ce business qu’il a quitté il y a quelques mois lui ont laissé un souvenir indélébile. « J’ai commencé parce que mon père le faisait aussi. C’est un héritage de nos sociétés, explique Abdoulaye. J’allais de village en village, avec des amis, récupérer les chiens dont les gens ne voulaient plus. » Dans la zone, il n’est pas rare de croiser des hommes accompagnés d’une horde de chiens harnachés, destinés à être revendus pour être consommés.
Dans un pays classé 184e sur 189 selon son indice de développement humain (IDH), où l’économie demeure largement informelle, le trafic de viande de chiens est souvent un recours pour les plus démunis. « Ce commerce prolifère en raison du chômage dans la région », confirme Issiaka Konaté, président de l’association ARAF-Plateau dogon, organisme autrefois dévolu au renforcement des activités féminines dans la région et qui a réorienté son action en 2018 vers la protection des « animaux négligés ».
« Acte de cruauté »
Parfois donnés, les canidés sont le plus souvent achetés par les trafiquants entre 10 000 et 15 000 francs CFA (entre 15 euros et 22,50 euros) avant d’être gavés puis revendus 20 000 francs CFA (30 euros) aux détaillants, précise Bokar, un trafiquant repenti. Organisés en groupes, ceux-là négocient ensuite avec les grossistes qui sont généralement le dernier maillon de la chaîne avant que la bête ne soit abattue.
Selon l’association de défense des animaux, près de 300 chiens sont tués par jour dans les alentours de Ségou, et 130 000 l’ont été entre 2018 et 2020. « Des chiffres à prendre avec des pincettes, qui se basent sur nos propres données », prévient Issiaka Konaté.
D’après la loi malienne, adoptée en 2012, les chiens sont désormais classés dans la catégorie des « animaux domestiques ». Exercer des « sévices graves » ou commettre un « acte de cruauté » envers un animal domestique ou apprivoisé est passible d’une peine de onze jours à trois mois de prison et de 10 000 francs CFA à 100 000 francs d’amende.
Article réservé à nos abonnés Lire aussi Au Sahel, « la guerre est transformée en business »
Des dispositions qui n’ont pas suffi à décourager les trafics. L’anthropologue Soumaïla Oulalé, professeur à l’université de Ségou, note qu’au sein des communautés originellement païennes installées dans le pays Bobo, à cheval entre le Mali et le Burkina Faso, il n’existe pas de tabou sur cette pratique, toutes les viandes peuvent être mangées. « Et la viande canine est d’ailleurs consommée lors des fêtes cosmogonites, une croyance mythologique sur l’origine du monde qui est courante dans ces endroits », précise-t-il.
Les coutumes diffèrent selon les localités et les communautés. Dans certaines, la viande de l’animal est considérée comme un antidote prescrit par les tradipraticiens pour soigner des maladies comme la cirrhose, la tension artérielle, les maux de dos… Ailleurs, on lui prête des vertus aphrodisiaques.
Reconversion des trafiquants
Mais la situation est plus complexe dans un pays composé de 95 % de musulmans. Car, dans l’islam, le chien étant considéré comme le gardien de l’homme, celui qui veille, qui l’accompagne, « il est prohibé d’en consommer », abonde l’anthropologue Soumaïla Oulalé. « Beaucoup de personnes se cachent pour en manger, cela crée des tensions à l’intérieur même des communautés », affirme de son côté Abdoulaye.
Pour sensibiliser les populations et faire évoluer les mentalités, Araf-Plateau dogon a organisé des caravanes d’information à travers dix communes de la région de Ségou en septembre 2020, avant de se lancer dans un projet de reconversion des trafiquants en agriculteurs. Ces dernières années, la bonne pluviométrie a eu un effet très favorable sur la production agricole et a ainsi permis de faire légèrement baisser le taux d’extrême pauvreté. De quoi ouvrir d’autres perspectives aux populations les plus vulnérables de cette région. Et peut-être de faire diminuer les trafics.
Jusqu’ici épargnés par le conflit qui embrase le nord et le centre du pays, les environs de Ségou sont aujourd’hui couverts de champs de salades, d’aubergines et de poivrons. « Mon souhait, c’est d’avoir une parcelle plus importante, pour montrer l’exemple aux autres trafiquants », rêve Bokar, qui nourrit désormais sa famille de vingt personnes grâce à sa production.
S’il assure avoir supprimé toutes les photos de son téléphone, les seize années passées dans ce business qu’il a quitté il y a quelques mois lui ont laissé un souvenir indélébile. « J’ai commencé parce que mon père le faisait aussi. C’est un héritage de nos sociétés, explique Abdoulaye. J’allais de village en village, avec des amis, récupérer les chiens dont les gens ne voulaient plus. » Dans la zone, il n’est pas rare de croiser des hommes accompagnés d’une horde de chiens harnachés, destinés à être revendus pour être consommés.
Dans un pays classé 184e sur 189 selon son indice de développement humain (IDH), où l’économie demeure largement informelle, le trafic de viande de chiens est souvent un recours pour les plus démunis. « Ce commerce prolifère en raison du chômage dans la région », confirme Issiaka Konaté, président de l’association ARAF-Plateau dogon, organisme autrefois dévolu au renforcement des activités féminines dans la région et qui a réorienté son action en 2018 vers la protection des « animaux négligés ».
« Acte de cruauté »
Parfois donnés, les canidés sont le plus souvent achetés par les trafiquants entre 10 000 et 15 000 francs CFA (entre 15 euros et 22,50 euros) avant d’être gavés puis revendus 20 000 francs CFA (30 euros) aux détaillants, précise Bokar, un trafiquant repenti. Organisés en groupes, ceux-là négocient ensuite avec les grossistes qui sont généralement le dernier maillon de la chaîne avant que la bête ne soit abattue.
Selon l’association de défense des animaux, près de 300 chiens sont tués par jour dans les alentours de Ségou, et 130 000 l’ont été entre 2018 et 2020. « Des chiffres à prendre avec des pincettes, qui se basent sur nos propres données », prévient Issiaka Konaté.
D’après la loi malienne, adoptée en 2012, les chiens sont désormais classés dans la catégorie des « animaux domestiques ». Exercer des « sévices graves » ou commettre un « acte de cruauté » envers un animal domestique ou apprivoisé est passible d’une peine de onze jours à trois mois de prison et de 10 000 francs CFA à 100 000 francs d’amende.
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Des dispositions qui n’ont pas suffi à décourager les trafics. L’anthropologue Soumaïla Oulalé, professeur à l’université de Ségou, note qu’au sein des communautés originellement païennes installées dans le pays Bobo, à cheval entre le Mali et le Burkina Faso, il n’existe pas de tabou sur cette pratique, toutes les viandes peuvent être mangées. « Et la viande canine est d’ailleurs consommée lors des fêtes cosmogonites, une croyance mythologique sur l’origine du monde qui est courante dans ces endroits », précise-t-il.
Les coutumes diffèrent selon les localités et les communautés. Dans certaines, la viande de l’animal est considérée comme un antidote prescrit par les tradipraticiens pour soigner des maladies comme la cirrhose, la tension artérielle, les maux de dos… Ailleurs, on lui prête des vertus aphrodisiaques.
Reconversion des trafiquants
Mais la situation est plus complexe dans un pays composé de 95 % de musulmans. Car, dans l’islam, le chien étant considéré comme le gardien de l’homme, celui qui veille, qui l’accompagne, « il est prohibé d’en consommer », abonde l’anthropologue Soumaïla Oulalé. « Beaucoup de personnes se cachent pour en manger, cela crée des tensions à l’intérieur même des communautés », affirme de son côté Abdoulaye.
Pour sensibiliser les populations et faire évoluer les mentalités, Araf-Plateau dogon a organisé des caravanes d’information à travers dix communes de la région de Ségou en septembre 2020, avant de se lancer dans un projet de reconversion des trafiquants en agriculteurs. Ces dernières années, la bonne pluviométrie a eu un effet très favorable sur la production agricole et a ainsi permis de faire légèrement baisser le taux d’extrême pauvreté. De quoi ouvrir d’autres perspectives aux populations les plus vulnérables de cette région. Et peut-être de faire diminuer les trafics.
Jusqu’ici épargnés par le conflit qui embrase le nord et le centre du pays, les environs de Ségou sont aujourd’hui couverts de champs de salades, d’aubergines et de poivrons. « Mon souhait, c’est d’avoir une parcelle plus importante, pour montrer l’exemple aux autres trafiquants », rêve Bokar, qui nourrit désormais sa famille de vingt personnes grâce à sa production.