Aya Cissoko, la vie comme sur un ring

Sérieuse et pudique, la championne de boxe Aya Cissoko affronte le succès de son autobiographie, écrite avec Marie Desplechin. L'histoire de son combat contre le mauvais sort, et pour la liberté. Rencontre.



Un jour de soleil éclatant, assise à la terrasse d’un café du XXe arrondissement de Paris, Aya Cissoko se livre à son activité favorite: lire. Lorsqu’un journaliste vient la déranger dans son passe-temps favori. Est-elle vraiment heureuse d’interrompre son vagabondage littéraire? Rien n’est moins sûr. D’autant qu’au même moment, une passante vient vers elle: «J’ai lu votre livre. J’ai beaucoup aimé», s’enflamme l’inconnue. Aya est un peu embarrassée: «Que dire à des gens que je ne connais pas? Eux ont l’impression de savoir beaucoup sur moi, mais moi je ne sais rien sur eux.»

Depuis la sortie de son autobiographie (Danbé, coécrite avec Marie Desplechin, éditions Calmann Lévy), Aya est assaillie de demandes d’interviews. Il est vrai que son histoire a de quoi séduire les médias audiovisuels en mal de témoignages forts.

Aya, 31 ans, a grandi dans le XXe arrondissement. Une enfance heureuse jusqu’à ce que son père et sa petite sœur meurent dans un incendie criminel. La famille restée au Mali a cherché des coupables afin d’expliquer le fait que le mauvais sort s’abatte ainsi sur les Cissoko. Aya portait-elle la guigne? Devait-elle accepter le poids des traditions qui la stigmatisaient?

Au lieu de s’apitoyer sur son sort, Aya a décidé de se battre. La rage au ventre, elle est d’abord devenue championne du monde de boxe française. Avant de s’essayer à la boxe anglaise et de remporter encore une fois le titre de championne du monde.

«Certains médias veulent en faire une histoire édifiante. Dire: vous voyez, les noirs peuvent s’en sortir s’ils le veulent vraiment», explique Aya, qui n’a aucune envie de servir de faire-valoir.

Le succès avec pudeur

Le succès de son livre qui vient d’être réimprimé lui fait-il plaisir? «Je l’ai écrit pour moi. Pas pour les lecteurs», reconnaît-elle le visage emprunt de sérieux, presque fermé. «Je ne me livre pas facilement», confie Aya, avant d’ajouter: «Vous n’allez pas écrire trop de bêtises j’espère…»

Aya envisage de devenir journaliste, mais elle ne cache pas la méfiance que cette profession peut parfois lui inspirer. A la question «quel genre de journalisme souhaitez-vous pratiquer?», elle répond, inquiète: «Pourquoi voudrait-on m’enfermer dans une case?»

L’affronter ne devait pas être une sinécure pour ses adversaires: elle n’est jamais où on l’attend. Avec elle, les opposants d’un jour devaient souvent taper dans le vide. Avant de se prendre un uppercut. A-t-elle fait sienne la devise de Mohammed Ali, «je vole comme le papillon et frappe comme l’abeille»? Difficile de ne pas le croire. A la lecture de Danbé, on a l’impression que «battling Aya» ne se livre pas totalement. Comme s’il fallait toujours se maintenir à distance des coups qui laissent K.O.

Aya donne l’impression de parler d’elle. Un peu, mais aussi beaucoup de quelqu’un d’autre. Comme si elle avait un regard extérieur sur elle-même. «Dans mon livre, je ne fais pas d’autoanalyse. Je me contente de livrer les faits», commente Aya. Pourtant elle écrit:

«J’aimerais que celle ou celui qui lira ce petit livre mesure ce qu’il a de déchirant. Il est mon au revoir à ceux que je laisse sur le quai. Mon père, ma sœur, mon petit frère, mes oncles, Marc, Mme Boutra, qui était la collègue de ma mère, tous ceux qui ont été des petites flammes dont la lumière danse dans mon souvenir.»

Aya ne comprend pas bien pourquoi son livre trône dans le rayon sports des libraires. Il est vrai que Danbé est avant tout une œuvre littéraire: cris du cœur et témoignages entrelacés, superbement bien écrit. Au fond, Danbé parle de tout sauf de sport. Même la boxe y est avant tout école de vie. Ecole de liberté, d’amour de la littérature, de la destinée. Et de mort apprivoisée aussi.

«L’écriture est le souvenir de leur mort et l’affirmation de ma vie», se plaît à dire Aya, qui cite Georges Perec, comme s’il s’agissait d’un vieux compagnon de solitude et de soir cafardeux, sorti d’entre les morts. Son livre, on sent qu’Aya l’aime à la passion, même si elle hésite à le montrer. Toujours la pudeur.

La mère pour héroïne

Le masque du visage. Se méfier des sentiments affichés. «Je l’ai écrit avec Marie [Desplechin]. Je me reconnais vraiment dedans», explique-t-elle. Chaque dimanche, elle en lit un nouveau passage à sa mère. «Je suis encore loin d’avoir fini. Je fais la lecture en bambara. Je ne peux pas tout traduire, mais le sens général passe. Il est là», confesse Aya, qui ajoute qu’à ses yeux la véritable héroïne de ce livre c’est sa mère. Cette femme qui l’a guidée alors que tout était compliqué dans son enfance brouillée: «On ne peut pas t’obliger à être celle que tu n’es pas», lui glissait-elle au creux de l’oreille. Une pensée qui a habité Aya à l’heure où les romans empruntés à la bibliothèque municipale lui apprenaient la liberté. «Pendant la récréation, je préférais m’isoler pour lire», souligne Aya, qui se replonge avec délices dans la lecture de Voltaire et… d’André Gide.

Etudiante à Sciences Po, elle s’inquiète du fossé qui se creuse dans la société française: «Le modèle d’intégration républicain fonctionne de plus en plus mal. Avec la suppression de la carte scolaire, il y a de moins en moins de mixité», constate celle qui passe beaucoup de temps à discuter avec des jeunes des cités. «Ils me disent: "Tu parles comme une Française". Je leur réponds: "Mais c’est normal: je suis Française.» Malgré tout, Aya s’étonne qu’on la renvoie toujours à ses origines:

«La presse écrit Aya, Française d’origine malienne, alors que pour Sarkozy personne ne dit d’origine hongroise», fait mine de s’étonner Aya. Elle ajoute: «D’ailleurs, le Mali je ne le connais pas. J’irai un jour, c’est sûr, mais avec ma mère. Sur la terre de mes ancêtres. Mais pas sur la terre de ma famille. Ma famille est en France, c’est ma mère et mon frère. Ce n’est pas parce que des gens ont des liens de sang avec moi qu’ils font partie de ma famille. J’ai acquis ma liberté. Je me suis battue pour ça. Ce n’est pas pour revenir en arrière.»

Va-t-elle revenir à la boxe? «Vous croyez que c’est agréable de prendre des coups toute la journée? Quand je retourne dans la salle d’entraînement, c’est surtout pour discuter avec des amis», explique Aya qui préfère relire ses classiques. Même le Petit prince qu’elle recommande. Et pourquoi pas ce bon Bertold Brecht. «Lisez Brecht. "Qu’est ce qu’un passe-partout comparé à une action de société anonyme?" Cette phrase de Brecht dit tout sur l’époque que nous vivons!» s’exclame la puncheuse.

Aya se lève. Il est temps de passer à la caisse: de payer son Perrier citron. Elle n’a pas d’argent sur elle et ne veut pas se faire offrir le Perrier à trois euros par un quasi inconnu, un journaliste en plus. Ce sera donc juste une avance. Elle court au distributeur. Ne pas avoir de dette. Le soleil brille encore. Aya se sent bien.

Son visage se détend. Elle sourit enfin. Eclate de rire. Un rire léger. Aya, la boxeuse brechtienne, n’attend pas Godot. Elle s’avance paisible et chaloupée au milieu de la place lumineuse. Au cœur de son XXe arrondissement où elle reste chez elle. Une fille du pays: Aya doit se sentir libre. Libre encore et toujours. Comme s’il était grand temps de déposer les gants. Et de vivre enfin libérée du poids du passé.

Slateafrique

Mardi 3 Mai 2011 20:24


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