L’avènement de la démocratie représentative a généré le principe aristocratique de l’élection à travers le phénomène de la représentation politique. La sélection des catégories dirigeantes est de nos jours incontournable dans les modes d’accès aux positions électives de pouvoir. De ce point de vue, l’élection présidentielle suppose la désignation de candidats. Au Sénégal, les partis politiques ont le monopole de l’encadrement des candidatures aux élections, malgré un réveil des candidats indépendants. Aujourd’hui, les partis sont devenus des entreprises politiques et leur principal but est la conquête pour l’accès au pouvoir, vu l’intensification de la compétition.
En cela, la difficulté de choix d’un candidat qui se manifeste dans la coalition Benno Siggil Sénégal (BSS) s’inscrit dans une logique de positionnements sous-tendue par des enjeux électoraux importants. Pourquoi la commission dite de facilitation n’arrive pas à trouver un consensus autour du choix du candidat de Benno ? Comment se désigne le candidat d’une coalition électorale dans les démocraties modernes ? Le Sénégal tente-t-il de théoriser une exception à travers la technique de vote pour désigner le candidat de Benno ? N’est-on pas là dans un cas d’école qui s’apparente à un déni d’objectivité dans la mesure où les membres même de ce comité de facilitation et l’opinion publique savent quel est le parti le plus représentatif et électoralement plus expérimenté au sein de Benno ? Cette candidature de l’unité et du rassemblement est-elle réalisable, et pourquoi ce fétichisme qui l’entoure ? Le PS et l’AFP n’ont-ils pas perdu trop de temps avec ce schéma ?
Autant d’interrogations qui posent la problématique de la dégénérescence des coalitions électorales. En d’autres termes, les regroupements de partis portent en eux-mêmes les germes de leur propre décadence. Mais les sciences sociales étant iconoclastes, il est toujours important d’apporter des précisions terminologiques sur l’usage des mots pour éviter certaines confusions. C’est pourquoi l’on pourrait comprendre ici par déni d’objectivité, le refus de l’objectivité dans l’arbitrage des candidats à la candidature à partir des dix critères élaborés par Benno.
1. Le fétichisme de la candidature de l’unité
Après l’élection présidentielle de 2007 marquée par la défaite de l’opposition, le premier indice de rassemblement de cette opposition a été d’appeler au boycott des élections législatives de la même année. Ce boycott réussi avec un taux de participation avoisinant les 30% a dopé l’opposition à s’inscrire davantage dans une dynamique unitaire. C’est dans cette perspective que les Assises nationales ont été créées pour trouver un cadre de mobilisation, mais aussi d’entretenir un dialogue inclusif sur les problèmes de la société sénégalaise.
Cette unité s’est électoralement manifestée lors des élections locales de 2009 où cette coalition électorale Benno Siggil Sénégal a pu remporter la quasi-totalité des grandes villes du pays. L’option de ce regroupement de partis a été de reprendre la même stratégie d’alliance pour la présidentielle de 2012. Pourtant, l’analyse électorale exclut toute démarche visant à envisager toutes les élections de la même façon. En d’autres termes, l’élection présidentielle ne saurait être analysée de la même façon que les élections législatives ou les élections locales. Même si du point de vue sociologique, on peut relever dans le comportement électoral une adhésion à la dynamique unitaire Benno, force est de reconnaître que cette fétichisation de la candidature unique ait installée les partis membres de cette coalition dans un piège.
Si les coalitions électorales constituent de nos jours des stratégies d’alliances très prisées en termes de résultats électoraux, la faisabilité de la candidature de l’unité et du rassemblement a commencé à se manifester dès l’élection des exécutifs locaux en 2009. Les principales forces politiques qui pouvaient s’imposer pendant ce moment de choix de la candidature de Benno, étaient naturellement le P.S, l’AFP et l’APR. Si l’on porte un regard sur la distribution des positions de pouvoir dans les localités gagnées par cette coalition et les figures politiques dirigeant ces partis. Cette hypothèse de la candidature unique a été rejetée par certains partis comme l’APR qui a défendu les candidatures plurielles. Certains militants de partis de Benno ont aussi manifesté leur désaccord à la candidature unique.
S’il y a eu une obstination sur la candidature unique qui est devenue la candidature de l’unité et du rassemblement, c’est qu’on a essayé de faire croire à l’opinion que seule cette formule constituait la panacée pour réaliser un changement en 2012. Pourtant, la science politique enseigne qu’aucune élection n’est gagnée d’avance. Si l’on n’a pas encore une photographie des candidats en lice, la fétichisation d’une formule de candidature devient un grand piège, car s’inscrivant dans une posture idéaliste. Curieusement, le nombre de partis membres de la coalition est souvent évoqué sans que l’on s’interrogeât sur le poids électoral de ces formations politiques. Ainsi, vouloir proposer un vote reposant sur le principe, un parti = une voix, semble plus qu’absurde. Ce procédé paradoxal met en relief la réalité de la représentativité des partis au sein de Benno et les liens affectifs entre certains leaders qui portent cette proposition.
En outre, le multipartisme intégral adopté en 1981 a généré au Sénégal une catégorie politique étiquetée de « partis cabines téléphoniques ». C’est là où on peut lire et comprendre avant d’adopter une posture de fétichisation de la candidature unique qui ne fait que montrer une distanciation par rapport à la réalité. Ce qui soulève d’autres interrogations. Le contentieux entre le PS et l’AFP, né le 19 mars 2000 et intensifié par le réquisitoire de Niasse contre le bilan des socialistes lors de sa déclaration de politique générale en tant que Premier Ministre, est –il réellement vidé par ces deux partis ? Le départ de Niasse du PS en 1999 n’était-il pas un prétexte pour tenter de réaliser ses ambitions présidentielles annonciatrices d’une impossible entente avec Tanor sur une candidature de coalition ? Le PS qui est le parti majoritaire de la coalition accepterait-il de brader son électorat à Niasse qui dirige un parti moins représentatif et qui a contribué à sa perte du pouvoir en 2000 ? Autant de questions qui mettent un bémol dans cette fétichisation de la candidature de l’unité et du
rassemblement et qui demandent de chercher à comprendre les interactions qui se nouent au sein de cette coalition.
2. Sociologie d’un milieu de positionnements politiques
Il faut considérer Benno comme un cadre explicatif de la territorialisation de la compétition politique. Dans cette coalition hétéroclite, on relève du point de vue structurelle deux grandes formations (PS et AFP) et d’autres fortes personnalités constituant ce qu’on a communément appelé le pôle de gauche. En effet, la sociologie des partis permet de rendre compte de leur organisation et de leur fonctionnement internes, autrement dit la « territorialisation » de leurs fonctions de représentation politique. Elle répond aussi à l’intérêt de saisir la diversité spatiale des formes d’implantation et d’organisation des partis. Loin d’une approche marxiste qui consisterait à considérer la taxinomie des partis comme correspondant à celle des classes sociales, il faut partir d’un point de vue wébérien selon lequel les partis sont principalement des sociations ayant pour but de procurer à leurs chefs le pouvoir. Il s’agit de montrer que si les partis ont cet objectif, il faut s’interroger sur les dépositaires de ce pouvoir.
C’est aussi un déni d’objectivité que de vouloir contester la meilleure représentativité du PS par rapport aux autres partis de Benno. Si les tenants de cette thèse du refus de voir la réalité écartent la référence aux résultats de l’élection présidentielle de 2007, les résultats des élections législatives de 2001 et les mobilisations récentes des partis sur le terrain constituent des preuves sans équivoque ? La sociologie de l’espace Benno met également en lumière des affinités construites depuis l’adolescence de certains leaders au lycée, c’est-à-dire des relations de promotionnaires. Cette posture émotionnelle ou affective n’altère-t-elle pas toute logique d’objectivité ? On peut alors comprendre certaines prises de positions aux allures de dictature soviétique.
De plus, certains de ces promotionnaires s’inscrivent plus officieusement dans une continuité de lutte contre le retour du PS au pouvoir. Si dans les démocraties modernes, la culture politique accepte le principe de l’alternance au pouvoir, est-il juste, voire démocratique de refuser un retour du PS aux affaires si ce parti présentait un projet crédible aux Sénégalais ? Pourtant dans d’autres aires géographiques comme les USA et la France, ce sont des partis qui ont perdu le pouvoir qui parviennent à le reconquérir. C’est une des vertus du suffrage universel créé depuis 1948. Paradoxalement, c’est là où l’on peut relever certaines failles de la culture politique dans beaucoup de pays africains.
Dans cette course à la désignation du candidat de Benno, les petits partis se satellisent en réalité autour des grandes formations politiques, notamment le P.S et l’AFP. Il s’agit de positionnements pour tenter d’influencer le choix du candidat de l’unité et du rassemblement. Dans cette perspective, toutes les formes de manœuvres et de manipulations inimaginables sont permises. L’idée de procéder par vote pour la désignation du candidat de Benno illustre cette situation alors que le consensus est la règle de prise des décisions dans cette coalition. Tout cela explique les jeux d’intérêt qui existent et qui peuvent se traduire même par une forme interne de clientélisme politique. Sous ce rapport, on constate un essai de théorisation d’une exception aux expériences modernes de désignation d’un candidat d’une coalition électorale.
3. Le rejet du critère de représentativité : le sacre d’un déni d’objectivité
La désignation du candidat de Benno a fait l’objet d’une élaboration de dix (10) critères. Un comité de facilitation composé de cinq (5) membres a été constitué pour essayer de trouver un consensus en rencontrant même les directions des deux partis, c’est-à-dire le PS et l’AFP. Mais malgré tout, ce candidat peine à émerger entre deux fortes personnalités aux carrures d’hommes d’Etat. A travers cette procédure, l’on assiste à une tentative de théorisation d’une forme singulière de choix d’un candidat d’une coalition dans la mesure où dans toutes les démocraties au monde, l’expérience montre qu’une telle candidature se construit toujours autour du parti majoritaire.
Objectivement, le candidat investi par le PS, parti majoritaire de Benno, doit conduire cette coalition à l’élection présidentielle de 2012. Alors pourquoi tergiverser sur ce qui correspond à la réalité politique ? Pourquoi établir des critères de sélection sans pouvoir départager les prétendants ? Immanquablement, les dix critères établis départagent aisément les deux concurrents au sein de Benno. D’ailleurs, cela a amené certains observateurs à qualifier cette situation de complot contre le PS dont on veut utiliser son électorat majoritaire sans vouloir le mettre devant. N’est-ce pas aussi faire montre de la politique de l’autruche que de vouloir rejeter le critère de représentativité alors que ce sont des voix qui font gagner une élection ?
Benno va-t-il vers la dislocation, c’est-à-dire l’option de candidatures plurielles encadrées et limitées ? Peut-on sauver aujourd’hui l’unité de ce qui reste du Benno originel ? Certes, le capital symbolique de confiance collectivement accumulé dans le cadre d’un mouvement est important. Car l’action politique s’exerce de plus en plus au nom d’un groupe et à partir des ressources symboliques de ce groupe vu l’intensification de la compétition politique dans les démocraties représentatives. Toutefois, l’intérêt du poids électoral d’un parti dans une coalition est de créer une dynamique, au-delà de l’entrepreneur indépendant. En cela, le capital politique généré par un parti dans sa tradition électorale est une donnée importante en matière d’analyse électorale.
Les faits qui se manifestent montrent que seul un improbable désistement peut apporter une solution. Mais est-ce possible ? Certains évoqueraient même l’idée de droit d’aînesse entre les deux prétendants. Ce qui serait de l’ordre de la pure fiction ! En réalité, on occulte souvent la posture du candidat en direction de la campagne électorale. La convocation des mobilisations politiques des partis de l’opposition au cours de ces dix (10) derniers mois mettent en scène deux leaders qui ont été plus en contact avec leur base et les populations : il s’agit d’Ousmane Tanor Dieng et de Maky Sall. Niasse a-t-il fait autant de tournées au niveau de sa base au même titre que Tanor, c’est-à-dire treize (13) régions sur quatorze (14) ? Cela n’est pourtant pas négligeable, car cette fréquence sur le terrain a l’intérêt de présenter Tanor et Maky comme étant déjà dans leur habit de candidats à la présidentielle de 2012. Ces tournées permettent aussi de tester la capacité de mobilisation projetant la représentativité de l’homme ou de la femme politique. Si l’option de la candidature plurielle s’impose, les petits partis dans Benno devront bien réfléchir sur leurs alliances car leur chance serait de s’allier avec le parti le plus représentatif pour une éventuelle redistribution des cartes en cas de victoire. En substance, ne peut-on pas dire que ces difficultés observées dans la construction de la candidature de l’unité et du rassemblement mettent en lumière l’illusion unitaire de Benno?
Abdou Rahmane THIAM
Docteur en Science politique
En cela, la difficulté de choix d’un candidat qui se manifeste dans la coalition Benno Siggil Sénégal (BSS) s’inscrit dans une logique de positionnements sous-tendue par des enjeux électoraux importants. Pourquoi la commission dite de facilitation n’arrive pas à trouver un consensus autour du choix du candidat de Benno ? Comment se désigne le candidat d’une coalition électorale dans les démocraties modernes ? Le Sénégal tente-t-il de théoriser une exception à travers la technique de vote pour désigner le candidat de Benno ? N’est-on pas là dans un cas d’école qui s’apparente à un déni d’objectivité dans la mesure où les membres même de ce comité de facilitation et l’opinion publique savent quel est le parti le plus représentatif et électoralement plus expérimenté au sein de Benno ? Cette candidature de l’unité et du rassemblement est-elle réalisable, et pourquoi ce fétichisme qui l’entoure ? Le PS et l’AFP n’ont-ils pas perdu trop de temps avec ce schéma ?
Autant d’interrogations qui posent la problématique de la dégénérescence des coalitions électorales. En d’autres termes, les regroupements de partis portent en eux-mêmes les germes de leur propre décadence. Mais les sciences sociales étant iconoclastes, il est toujours important d’apporter des précisions terminologiques sur l’usage des mots pour éviter certaines confusions. C’est pourquoi l’on pourrait comprendre ici par déni d’objectivité, le refus de l’objectivité dans l’arbitrage des candidats à la candidature à partir des dix critères élaborés par Benno.
1. Le fétichisme de la candidature de l’unité
Après l’élection présidentielle de 2007 marquée par la défaite de l’opposition, le premier indice de rassemblement de cette opposition a été d’appeler au boycott des élections législatives de la même année. Ce boycott réussi avec un taux de participation avoisinant les 30% a dopé l’opposition à s’inscrire davantage dans une dynamique unitaire. C’est dans cette perspective que les Assises nationales ont été créées pour trouver un cadre de mobilisation, mais aussi d’entretenir un dialogue inclusif sur les problèmes de la société sénégalaise.
Cette unité s’est électoralement manifestée lors des élections locales de 2009 où cette coalition électorale Benno Siggil Sénégal a pu remporter la quasi-totalité des grandes villes du pays. L’option de ce regroupement de partis a été de reprendre la même stratégie d’alliance pour la présidentielle de 2012. Pourtant, l’analyse électorale exclut toute démarche visant à envisager toutes les élections de la même façon. En d’autres termes, l’élection présidentielle ne saurait être analysée de la même façon que les élections législatives ou les élections locales. Même si du point de vue sociologique, on peut relever dans le comportement électoral une adhésion à la dynamique unitaire Benno, force est de reconnaître que cette fétichisation de la candidature unique ait installée les partis membres de cette coalition dans un piège.
Si les coalitions électorales constituent de nos jours des stratégies d’alliances très prisées en termes de résultats électoraux, la faisabilité de la candidature de l’unité et du rassemblement a commencé à se manifester dès l’élection des exécutifs locaux en 2009. Les principales forces politiques qui pouvaient s’imposer pendant ce moment de choix de la candidature de Benno, étaient naturellement le P.S, l’AFP et l’APR. Si l’on porte un regard sur la distribution des positions de pouvoir dans les localités gagnées par cette coalition et les figures politiques dirigeant ces partis. Cette hypothèse de la candidature unique a été rejetée par certains partis comme l’APR qui a défendu les candidatures plurielles. Certains militants de partis de Benno ont aussi manifesté leur désaccord à la candidature unique.
S’il y a eu une obstination sur la candidature unique qui est devenue la candidature de l’unité et du rassemblement, c’est qu’on a essayé de faire croire à l’opinion que seule cette formule constituait la panacée pour réaliser un changement en 2012. Pourtant, la science politique enseigne qu’aucune élection n’est gagnée d’avance. Si l’on n’a pas encore une photographie des candidats en lice, la fétichisation d’une formule de candidature devient un grand piège, car s’inscrivant dans une posture idéaliste. Curieusement, le nombre de partis membres de la coalition est souvent évoqué sans que l’on s’interrogeât sur le poids électoral de ces formations politiques. Ainsi, vouloir proposer un vote reposant sur le principe, un parti = une voix, semble plus qu’absurde. Ce procédé paradoxal met en relief la réalité de la représentativité des partis au sein de Benno et les liens affectifs entre certains leaders qui portent cette proposition.
En outre, le multipartisme intégral adopté en 1981 a généré au Sénégal une catégorie politique étiquetée de « partis cabines téléphoniques ». C’est là où on peut lire et comprendre avant d’adopter une posture de fétichisation de la candidature unique qui ne fait que montrer une distanciation par rapport à la réalité. Ce qui soulève d’autres interrogations. Le contentieux entre le PS et l’AFP, né le 19 mars 2000 et intensifié par le réquisitoire de Niasse contre le bilan des socialistes lors de sa déclaration de politique générale en tant que Premier Ministre, est –il réellement vidé par ces deux partis ? Le départ de Niasse du PS en 1999 n’était-il pas un prétexte pour tenter de réaliser ses ambitions présidentielles annonciatrices d’une impossible entente avec Tanor sur une candidature de coalition ? Le PS qui est le parti majoritaire de la coalition accepterait-il de brader son électorat à Niasse qui dirige un parti moins représentatif et qui a contribué à sa perte du pouvoir en 2000 ? Autant de questions qui mettent un bémol dans cette fétichisation de la candidature de l’unité et du
rassemblement et qui demandent de chercher à comprendre les interactions qui se nouent au sein de cette coalition.
2. Sociologie d’un milieu de positionnements politiques
Il faut considérer Benno comme un cadre explicatif de la territorialisation de la compétition politique. Dans cette coalition hétéroclite, on relève du point de vue structurelle deux grandes formations (PS et AFP) et d’autres fortes personnalités constituant ce qu’on a communément appelé le pôle de gauche. En effet, la sociologie des partis permet de rendre compte de leur organisation et de leur fonctionnement internes, autrement dit la « territorialisation » de leurs fonctions de représentation politique. Elle répond aussi à l’intérêt de saisir la diversité spatiale des formes d’implantation et d’organisation des partis. Loin d’une approche marxiste qui consisterait à considérer la taxinomie des partis comme correspondant à celle des classes sociales, il faut partir d’un point de vue wébérien selon lequel les partis sont principalement des sociations ayant pour but de procurer à leurs chefs le pouvoir. Il s’agit de montrer que si les partis ont cet objectif, il faut s’interroger sur les dépositaires de ce pouvoir.
C’est aussi un déni d’objectivité que de vouloir contester la meilleure représentativité du PS par rapport aux autres partis de Benno. Si les tenants de cette thèse du refus de voir la réalité écartent la référence aux résultats de l’élection présidentielle de 2007, les résultats des élections législatives de 2001 et les mobilisations récentes des partis sur le terrain constituent des preuves sans équivoque ? La sociologie de l’espace Benno met également en lumière des affinités construites depuis l’adolescence de certains leaders au lycée, c’est-à-dire des relations de promotionnaires. Cette posture émotionnelle ou affective n’altère-t-elle pas toute logique d’objectivité ? On peut alors comprendre certaines prises de positions aux allures de dictature soviétique.
De plus, certains de ces promotionnaires s’inscrivent plus officieusement dans une continuité de lutte contre le retour du PS au pouvoir. Si dans les démocraties modernes, la culture politique accepte le principe de l’alternance au pouvoir, est-il juste, voire démocratique de refuser un retour du PS aux affaires si ce parti présentait un projet crédible aux Sénégalais ? Pourtant dans d’autres aires géographiques comme les USA et la France, ce sont des partis qui ont perdu le pouvoir qui parviennent à le reconquérir. C’est une des vertus du suffrage universel créé depuis 1948. Paradoxalement, c’est là où l’on peut relever certaines failles de la culture politique dans beaucoup de pays africains.
Dans cette course à la désignation du candidat de Benno, les petits partis se satellisent en réalité autour des grandes formations politiques, notamment le P.S et l’AFP. Il s’agit de positionnements pour tenter d’influencer le choix du candidat de l’unité et du rassemblement. Dans cette perspective, toutes les formes de manœuvres et de manipulations inimaginables sont permises. L’idée de procéder par vote pour la désignation du candidat de Benno illustre cette situation alors que le consensus est la règle de prise des décisions dans cette coalition. Tout cela explique les jeux d’intérêt qui existent et qui peuvent se traduire même par une forme interne de clientélisme politique. Sous ce rapport, on constate un essai de théorisation d’une exception aux expériences modernes de désignation d’un candidat d’une coalition électorale.
3. Le rejet du critère de représentativité : le sacre d’un déni d’objectivité
La désignation du candidat de Benno a fait l’objet d’une élaboration de dix (10) critères. Un comité de facilitation composé de cinq (5) membres a été constitué pour essayer de trouver un consensus en rencontrant même les directions des deux partis, c’est-à-dire le PS et l’AFP. Mais malgré tout, ce candidat peine à émerger entre deux fortes personnalités aux carrures d’hommes d’Etat. A travers cette procédure, l’on assiste à une tentative de théorisation d’une forme singulière de choix d’un candidat d’une coalition dans la mesure où dans toutes les démocraties au monde, l’expérience montre qu’une telle candidature se construit toujours autour du parti majoritaire.
Objectivement, le candidat investi par le PS, parti majoritaire de Benno, doit conduire cette coalition à l’élection présidentielle de 2012. Alors pourquoi tergiverser sur ce qui correspond à la réalité politique ? Pourquoi établir des critères de sélection sans pouvoir départager les prétendants ? Immanquablement, les dix critères établis départagent aisément les deux concurrents au sein de Benno. D’ailleurs, cela a amené certains observateurs à qualifier cette situation de complot contre le PS dont on veut utiliser son électorat majoritaire sans vouloir le mettre devant. N’est-ce pas aussi faire montre de la politique de l’autruche que de vouloir rejeter le critère de représentativité alors que ce sont des voix qui font gagner une élection ?
Benno va-t-il vers la dislocation, c’est-à-dire l’option de candidatures plurielles encadrées et limitées ? Peut-on sauver aujourd’hui l’unité de ce qui reste du Benno originel ? Certes, le capital symbolique de confiance collectivement accumulé dans le cadre d’un mouvement est important. Car l’action politique s’exerce de plus en plus au nom d’un groupe et à partir des ressources symboliques de ce groupe vu l’intensification de la compétition politique dans les démocraties représentatives. Toutefois, l’intérêt du poids électoral d’un parti dans une coalition est de créer une dynamique, au-delà de l’entrepreneur indépendant. En cela, le capital politique généré par un parti dans sa tradition électorale est une donnée importante en matière d’analyse électorale.
Les faits qui se manifestent montrent que seul un improbable désistement peut apporter une solution. Mais est-ce possible ? Certains évoqueraient même l’idée de droit d’aînesse entre les deux prétendants. Ce qui serait de l’ordre de la pure fiction ! En réalité, on occulte souvent la posture du candidat en direction de la campagne électorale. La convocation des mobilisations politiques des partis de l’opposition au cours de ces dix (10) derniers mois mettent en scène deux leaders qui ont été plus en contact avec leur base et les populations : il s’agit d’Ousmane Tanor Dieng et de Maky Sall. Niasse a-t-il fait autant de tournées au niveau de sa base au même titre que Tanor, c’est-à-dire treize (13) régions sur quatorze (14) ? Cela n’est pourtant pas négligeable, car cette fréquence sur le terrain a l’intérêt de présenter Tanor et Maky comme étant déjà dans leur habit de candidats à la présidentielle de 2012. Ces tournées permettent aussi de tester la capacité de mobilisation projetant la représentativité de l’homme ou de la femme politique. Si l’option de la candidature plurielle s’impose, les petits partis dans Benno devront bien réfléchir sur leurs alliances car leur chance serait de s’allier avec le parti le plus représentatif pour une éventuelle redistribution des cartes en cas de victoire. En substance, ne peut-on pas dire que ces difficultés observées dans la construction de la candidature de l’unité et du rassemblement mettent en lumière l’illusion unitaire de Benno?
Abdou Rahmane THIAM
Docteur en Science politique