Nous savons que telle est votre philosophie et c’est pourquoi nous commencerons notre propos en vous demandant pardon. Pardon pour la lâcheté qui atrophie notre volonté et la rend amorphe face cet arbitraire qui vous fait croupir en prison alors que des meurtriers paradent dans les couloirs de nos institutions. Pardon pour notre responsabilité dans l’avènement de ce pouvoir qui vous a privé de votre liberté. Pardon pour notre conformisme dans cette société de consommation où la faculté de voir et de comprendre par soi est ingénieusement amputée aux citoyens. En réalité Bara, c’est nous qui sommes les vrais prisonniers. Prisonniers de la peur qui nous empêche d’agir ! Prisonniers de la cécité qui nous empêche de voir l’ampleur de l’imposture qui règne sur notre pays. Nous sommes prisonniers d’une perception unidimensionnelle de la réalité par une accoutumance morbide à la télé et à la presse en général. Nous sommes devenus esclaves de télévisions qui nous distraient à longueur de journée et qui ont fait de l’émulation à la danse et à la musique les miroirs de notre avenir. Une propédeutique à la frivolité est faite à nos enfants qui sont devenus des « moyens de production » au sens marxien du terme sans qu’aucune instance de régulation ne daigne protester. Nos enfants sont abusivement délaissés à la téléréalité qui réduit la culture au folklore et habitue leur esprit au mimétisme et à l’inauthenticité. Bara, où va le Sénégal capturé par les puissances de la futilité et par l’industrie du luxe ? Bara, notre cerveau et celui de nos enfants sont tellement occupés par le jeu télévisuel, tellement molestés par le loisir et le folklore que nous trouvons rarement les moments et les moyens de réfléchir sérieusement sur la situation tragique de notre pays. Le superficiel a pris la place de la profondeur, le sensationnel celle du sérieux : voilà comment « on a réussi à crever les yeux » du peuple pour ensuite lui « reprocher son incapacité de voir ». Bara, il y a aujourd’hui une division du travail dans l’entreprise d’abrutissement du peuple pour davantage le mystifier. La vérité historique est que nous sommes à une époque où la consommation est un acte politique. Nous en sommes à un point où le banal achat d’un journal, le zapping d’une télé où le changement de fréquence d’une radio sont des actes éminemment politiques. Ne pas comprendre cela c’est s’offrir comme sacrifice sur l’autel de l’influence et de l’intrigue. Sacrifier c’est rendre saint ; et c’est exactement ce que certains préposés à la communication s’efforcent de faire dans nos cerveaux après les avoir lassés de puérilités : rendre beau, légitime et finalement saint tout ce que ses alliés font. Les turpitudes et les gamineries sont élevées au rang de modèles. Ainsi, les « forts », les entrepreneurs politiques et les lobbies ont créé leur propre entreprise de presse et le contre-pouvoir exerce désormais le pouvoir ou est convié à l’exercice de celui-ci. Voilà pourquoi la véritable révolution qui libérera le peuple commencera par une prise de conscience médiatique, par une prise de distance critique face à la force des médias, car tous ne sont pas forcément du côté du peuple. Celui-ci meurt et on le distrait pour lui occulter sa misère. Bara, vous êtes en prison, mais vous êtes au moins libre d’avoir une opinion et d’oser l’exprimer publiquement. Vous avez l’avenir devant vous, même si le présent conspire contre vous et travaille à votre perte. On vous a séparé de votre famille et de vos proches, mais sachez que dans nos cœurs et dans nos esprits vous êtes constamment présent. Car il y a des sénégalais qui pensent que tant qu’il y aura une seule personne frappée d’injustice, leur liberté ne sera que chimère. N’avez-vous pas vu qu’en persécutant les juifs les nazis ont contribué à leur rédemption ? N’avez-vous vu qu’en accusant toute une famille politique de voleurs les calomniateurs commencent à exhumer leurs propres turpitudes ? N’avez-vous pas vu qu’en abusant du discrédit porté à autrui, ils ont fini par perdre toute crédibilité ? Vous pouvez donc avoir la certitude que vous ne serez jamais seul ! Gardez donc la foi et soyez certain que la riposte de la vérité et de la justice est parfois lente, mais toujours redoutable.
Alassane K. KITANE, professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès
Alassane K. KITANE, professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès