Cet article extrait de la thèse de Aliou SAWARE, « le particularisme du droit sénégalais des partenariats public-privé », vient poser la différence entre les notions de marché complémentaire et d’avenant ayant suscité la polémique entre la Primature et l’ARMP à propos du contrat complémentaire attribué à la société Eiffage.
566. La voie des contrats complémentaires négociés sans publicité préalable et mise en concurrence a été récemment ajoutée au droit des contrats CET par la loi n° 2011-11 du 28 avril 2011 modifiant et complétant la loi n°2004-13[[1]]url:#_ftn1 . Cette loi ne définit cependant pas la notion de marché complémentaire. La solution pourrait être recherchée dans le droit des marchés publics où l’article 76 du CMP considère que les marchés complémentaires sont « le montant cumulé des marchés complémentaires ne doit pas dépasser un tiers du montant du marché principal, avenants compris ».
567. La loi n°2011-11 pose des conditions de fond et de procédure pour mettre en œuvre régulièrement les contrats complémentaires. Au titre des conditions de procédure, elle prévoit que l’autorité concédante devra non seulement saisir le Conseil des Infrastructures et le Ministre de l’Economie et des Finances pour avis mais également obtenir l’autorisation par décret présidentiel[[2]]url:#_ftn2 . Ensuite, elle exige la production d’un rapport justifiant de l’opportunité des travaux, fournitures ou prestations, objet de l’extension ainsi que de leur lien avec le projet initial[[3]]url:#_ftn3 . Les avis et l’autorisation devront être donnés sur la base de ce rapport. Concernant les conditions de fond, les travaux ou prestations considérés doivent rester intimement liés au projet initial avec lequel ils forment un ensemble homogène justifiant la conclusion de l’avenant ou de marché complémentaire avec l’opérateur déjà retenu pour la poursuite de la réalisation ou de l’exploitation du projet[[4]]url:#_ftn4 . A cette condition commune des contrats complémentaires et des avenants aux contrats CET, le législateur ajoute une condition spécifique à ces premiers. En effet, l’autorité concédante devra justifier des motifs de nécessité économique, sociale ou culturelle ou des exigences de cohérence dans la gestion technique et financière de l’infrastructure[[5]]url:#_ftn5 . Ces conditions de fond spécifiques sont moins explicites et plus légères que celles posées pour les marchés complémentaires des marchés publics[[6]]url:#_ftn6 et celles rappelées par le Conseil d’Etat français dans son avis n°383.668 du16 mars 2010 sur la base de l’article 61 de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés de travaux, de fournitures et de services[[7]]url:#_ftn7 .Selon le Conseil d’Etat, les travaux complémentaires ne doivent pas être techniquement ou économiquement séparés du marché initial sans inconvénient majeur pour les pouvoirs adjudicateurs, ou que ces travaux, quoiqu'ils soient séparables de l'exécution du marché initial, soient strictement nécessaires à son perfectionnement[[8]]url:#_ftn8 .
568. Le marché complémentaire est différent de l’avenant. L’avenant est un contrat par lequel les parties à un contrat conviennent de modifier ou de compléter les conditions initiales du contrat[[9]]url:#_ftn9 . Ces conditions portent sur les éléments essentiels suivants ; les travaux, les fournitures, les prestations ou les délais. La loi n°2011-11 infléchit le pouvoir de modification unilatérale de l’administration en exigeant un accord des parties préalablement à toutes modifications sur les travaux, fournitures, prestations ou délais[[10]]url:#_ftn10 . Cet accord est constaté par un avenant. A cet effet, le droit de la commande publique se rapproche du droit du travail qui soumet à la volonté des parties la modification des éléments essentiels du contrat de travail[[11]]url:#_ftn11 .
569. L’avenant est obéit à une condition de procédure en droit sénégalais des contrats CET. Il est, en effet, soumis à l’avis préalable du Conseil des Infrastructures. Cette condition est à compléter par la condition de fond posée par la jurisprudence et reprise par l’article 2 alinéa 2 de la loi n°2011-11. En effet, un avenant ne peut avoir effet ou pour objet de substituer un autre contrat au contrat initial, soit en bouleversant l’économie, soit en changeant fondamentalement l’objet[[12]]url:#_ftn12 . Cette condition de fond signifie trois choses. D’abord, l’avenant ne peut changer fondamentalement l’objet du contrat[[13]]url:#_ftn13 . Il n’est donc pas possible de recourir à un avenant pour mettre à la charge du titulaire du contrat la réalisation d’investissements conduisant à la réalisation d’un ouvrage dissociable des ouvrages déjà construits, en raison de sa dimension, de son coût et de son autonomie fonctionnelle[[14]]url:#_ftn14 . Ensuite, un avenant ne peut pas modifier substantiellement l’un des éléments essentiels du contrat CET, tels que sa durée ou le volume des investissements mis à la charge du titulaire[[15]]url:#_ftn15 . Enfin, un avenant ne peut avoir pour objet la réalisation d’investissements qui sont normalement à la charge du délégataire, tels les investissements de renouvellement des installations[[16]]url:#_ftn16 .
570. La problématique des contrats complémentaires et des avenants est celle de savoir celle de savoir l’organisme ou le juge compétent pour connaitre du contentieux de passation qui y surgit. Rappelons que pour ces contrats et avenants, il n’existe pas de compétition. Ces contrats et avenants viennent prolonger le contrat initial entre l’autorité concédante et l’opérateur du projet. En ce sens, nous considérons que la compétence du CDI est exclue car il ne peut être saisi en matière de contentieux précontractuel des contrats CET que par les soumissionnaires. Or pour ces contrats et avenants, les soumissionnaires n’existent. Au vu de cette incompétence du CDI, l’ARMP devrait s’arroger l’audace de connaître du contentieux de passation des contrats CET en se fondant sur l’article 3 de la loi n°2004-13 sur les contrats CET qui soumet ces contrats aux dispositions du COA. C’est pourtant le COA qui donne compétence à l’ARMP, à travers le Code des Marchés Publics, pour assurer le contrôle à postériori des marchés publics, des contrats de partenariat et des DSP. Si l’ARMP réfute sa compétence en considérant le caractère spécial de la loi CET, le litige devra être porté devant la Chambre administrative de la Cour Suprême qui devra le trancher pour d’une part, la réglementation violée est une branche du droit public et d’autre part, mettre fin à cet éventuel conflit négatif de compétence entre le CDI et l’ARMP. Concernant l’ARMP, le législateur devra lui donner un pouvoir d’auto-saisine sur cette problématique en réformant le droit de la commande publique.
571. Préalablement à l’adoption de la loi n°2011-11, l’autorité concédante a passé, dans le cadre de l’autoroute à péage Dakar-Diamnadio, deux avenants avec la société Eiffage, titulaire du contrat[[17]]url:#_ftn17 .
[[1]]url:#_ftnref1 En droit des marchés publics, le marché complémentaire est prévu par l’article 76 du Code des Marchés Publics/ Voir : NDIAYE Issakha, « Guide de la passation des marchés publics au Sénégal », L’Harmattan 2011, p.79.
[[2]]url:#_ftnref2 Article 1 de la loi n° 2011-11 du 28 avril 2011 modifiant et complétant la loi n° 2004-13 du 1er mars 2004 relative aux contrats de construction-exploitation-transfert d’infrastructures.
[[3]]url:#_ftnref3 Article 1 in fine de la loi n° 2011-11 du 28 avril 2011 modifiant et complétant la loi n° 2004-13 du
1er mars 2004 relative aux contrats de construction-exploitation-transfert d’infrastructures.
1er mars 2004 relative aux contrats de construction-exploitation-transfert d’infrastructures.
[[4]]url:#_ftnref4 Exposé des motifs de la loi n° 2011-11 du 28 avril 2011 modifiant et complétant la loi n° 2004-13 du 1er mars 2004 relative aux contrats de construction-exploitation-transfert d’infrastructures.
[[5]]url:#_ftnref5 Article 1er de la loi n° 2011-11 du 28 avril 2011.
[[6]]url:#_ftnref6 Article 76-c du CMP : cet article considère qu’il ne peut être passé par entente directe qu’après avis de la DCMP dans trois cas dont : « pour des fournitures, services ou travaux qui complètent ceux ayant fait l’objet d’un premier marché exécuté par le même titulaire, à la condition que le marché initial ait été passé selon la procédure d’appel d'offres que le marché complémentaire porte sur des fournitures, services ou travaux qui ne figurent pas dans le marché initialement conclu mais qui sont devenus nécessaires, à la suite d'une circonstance imprévue et extérieure aux parties, et que ces fournitures, services ou travaux ne peuvent être techniquement ou économiquement séparés du marché principal. Le montant cumulé des marchés complémentaires ne doit pas dépasser un tiers du montant du marché principal, avenants compris. ». Voir : NDIAYE Issakha, « Guide de la passation des marchés publics au Sénégal », op. cit. p. 79.
[[7]]url:#_ftnref7 CE, Section des travaux publics‐ Avis n°383.668 – 16 mars 2010 disponible sur : http://www.conseil-etat.fr/media/document/avis/383668_avis.pdf.
[[8]]url:#_ftnref8 Ibid.
[[9]]url:#_ftnref9 Article 2 de la loi n°2011-11 et article 23-1 du CMP.
[[10]]url:#_ftnref10 Article 2 alinéa 1 de la loi n°2011-11.
[[11]]url:#_ftnref11 Cass. Soc., 10 juillet 1996, RJS (Revue de Jurisprudence Sociale) 8/9, 1996, n°900 ; Dr. soc., 1996, p.976, obs. H. Blaise : sur la distinction entre la modification des éléments essentiels du contrat de travail et celle portant sur les conditions de travail.
[[12]]url:#_ftnref12 Article 2 alinéa de la loi n°2011-11.
[[13]]url:#_ftnref13 Conseil d’Etat, Section des travaux publics, Avis no 371.234, 9 avril 2005 ,
Rapport public 2006, p. 197, BJCP 2006/45, p. 105, obs. R. Schwartz et P. Terneyre, disponible sur : http://www.conseil-etat.fr/media/document//371234.pdf.
Rapport public 2006, p. 197, BJCP 2006/45, p. 105, obs. R. Schwartz et P. Terneyre, disponible sur : http://www.conseil-etat.fr/media/document//371234.pdf.
[[14]]url:#_ftnref14 Conseil d’Etat, Section des travaux publics, Avis no 362 908 du 16 septembre 1999 relatif au procédé de « l’adossement », op. cit.
[[15]]url:#_ftnref15 Conseil d’Etat, Section des travaux publics, Avis no 371.234, 9 avril 2005, op. cit/ Conseil d’Etat, Avis Section des finances du Conseil d’État no 364 803 du 8 juin 2000 disponible sur : http://www.conseil-etat.fr/media/document//371234.pdf.
[[16]]url:#_ftnref16 Conseil d’Etat, Section des travaux publics, Avis no 371.234, 9 avril 2005 , op. cit/ CE 20 mars 1942 Dame veuve Bastit, Rec. p. 92 ou 12 mai 1942 Commune de Luc-en-Diois Rec. p. 148.
[[17]]url:#_ftnref17 Voir pour ces avenants : J.O. N° 6526 du Samedi 15 MAI 2010.