Au Burkina Faso, des groupes armés islamistes présumés ont tué au moins 90 civils lors de trois attaques perpétrées fin janvier 2020 contre des villages, provoquant la fuite de milliers de personnes, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. Ces attaques, commises entre le 17 et le 25 janvier, ont accéléré la création par le gouvernement d’une nouvelle milice d’autodéfense, faisant craindre de nouveaux abus.
Ces tueries, perpétrées dans les villages de Rofénèga, Nagraogo et Silgadji, s’inscrivent dans le cadre d’une recrudescence d’attaques dans le centre et le nord du pays et de l’expansion des groupes armés islamistes affiliés à Al-Qaïda et à l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS). Plus de 775 000 personnes avait été déplacées à la fin mars par ces violences. Human Rights Watch enquête également sur l'attaque du 16 février contre le village de Pansi, qui aurait été perpétrée par des islamistes armés, et lors de laquelle plus de 20 civils ont été tués.
« Le massacre de plusieurs dizaines de civils par des groupes armés islamistes montre leur mépris total pour la vie humaine », a déclaré Jonathan Pedneault, chercheur auprès de la division Crises et conflits de Human Rights Watch. « Les chefs de groupes armés devraient immédiatement ordonner la cessation de telles attaques à l’encontre des civils, et les dénoncer. »
Human Rights Watch a précédemment documenté des attaques de groupes armés islamistes ayant causé la mort de plus de 250 civils entre avril et décembre 2019, ainsi que des dizaines de cas dans lesquels les forces de sécurité gouvernementales ont sommairement exécuté des hommes détenus pour leur soutien présumé à ces groupes, y compris lors d'un récent incident survenu le 9 avril à Djibo.
Fin janvier, Human Rights Watch a mené, à Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso, et à Kaya, des entretiens avec 13 témoins des meurtres de Nagraogo et Rofénèga. Deux témoins des meurtres de Silgadji ont été interrogés par téléphone.
Aucune des trois attaques n’a été revendiquée, mais d’après les 15 témoins, les assaillants semblaient être membres de groupes armés islamistes, en raison de la similitude de leur modus operandi et du choix des cibles avec les attaques précédemment commises par ces groupes.
D’après les témoins interrogés, les hommes armés étaient habillés en noir ou en treillis militaire et arboraient des turbans, lorsqu’ils ont attaquéà deux par moto les marchés des villages. Ils semblaient prendre pour cible les hommes adultes sur la base de leur ethnicité : pratiquement aucune des victimes n’était peule, une communauté à laquelle appartiennent de nombreux islamistes armés. À Nagraogo, des témoins ont vu des assaillants arborer un drapeau noir, symbole de l’État islamique (EI, ou Daech).
Selon des témoins, dans deux des villages, les habitants avaient auparavant fui en raison de l’insécurité croissante, mais les autorités gouvernementales les avaient exhortés à rentrer chez eux après que l’armée ait donné des garanties de sécurité.
Une jeune fille âgée de 15 ans originaire de Rofénèga a déclaré à Human Rights Watch avoir été témoin du meurtre de son frère de 20 ans le 17 janvier. « Il était atteint de problèmes de santé mentale », a-t-elle expliqué. « Lorsqu’il a entendu les coups de feu, il a tenté de s’enfuir dans la brousse, mais a été intercepté et tué. »
Les personnes atteintes de handicap font partie de celles qui n’ont pu échapper aux assaillants. Une femme âgée de 40 ans atteinte d’un handicap physique a déclaré s’être cachée chez elle pendant que sa famille se réfugiait en lieu sûr lors de l’attaque du 20 janvier sur le village de Nagraogo. « J’ai entendu des coups de feu et j’étais triste et effrayée », a-t-elle confié. « J’ai senti la mort rôder, parce que je ne pouvais pas m’échapper. »
Au lendemain des attaques du 20 janvier contre les villages voisins de Nagraogo et Alamou, qui ont tué au moins 36 personnes, le parlement du Burkina Faso a adopté une loi portant sur la création de milices locales, des groupes de « Volontaires pour la défense de la patrie ». La loi autorise le recrutement de civils, formés et équipés pour veiller sur leurs communautés, et placés sous l’autorité des Forces de défense et de sécurité (FDS) nationales.
Mais ce texte pourrait vulnérabiliser davantage les communautés aux attaques des groupes armés islamistes, a observé Human Rights Watch. Au cours des derniers mois, des islamistes armés ont en effet pris pour cible, à plusieurs reprises, des civils suspectés de soutien aux forces militaires ou aux milices locales.
Dans le village de Gasseliki, des islamistes armés ont tué 20 civils en janvier 2019, manifestement en représailles pour avoir cherché à mettre sur pied une force d’autodéfense. Plus récemment, un témoin des meurtres en date du 25 janvier à Silgadji a déclaré qu’au cours de l’attaque, des islamistes armés ont accusé la communauté de chercher le soutien de l’armée pour former un groupe de volontaires.
Le plan du gouvernement visant à autonomiser les milices en régularisant les Volontaires fait également craindre que ces groupes se rendent eux-mêmes coupables de graves exactions. Les groupes d’autodéfense déjà existants au Burkina Faso, comme les Koglweogo, ont commis par le passé de nombreux abus. Le 8 mars, des membres de cette milice auraient tué au moins 43 Peuls dans trois villages de la région du Sahel.
Les abus perpétrés par tous les groupes armés dans le conflit en cours au Burkina Faso sont restés largement impunis, mettant en évidence l’échec et les limites du système judiciaire burkinabé pour garantir aux victimes l’établissement des responsabilités, créant ainsi une situation susceptible de provoquer des représailles.
Le Burkina Faso et ses bailleurs de fonds internationaux – en particulier la France et l’Union européenne – devraient soutenir les efforts visant à lutter contre les tensions interethniques croissantes dans ce pays, y améliorer les efforts pour établir les responsabilités dans les cas de crimes et de violations graves, et protéger les civils en danger et ce, en toute impartialité. Les partenaires internationaux du Burkina Faso devraient exhorter son gouvernement à prendre toutes les mesures nécessaires pour que la force d’autodéfense des Volontaires qu’il envisage de mettre sur pied reçoive la formation nécessaire et soit contrôlée et ses membres tenus pour responsable de leurs actes s’ils venaient à se livrer à des abus.
Tous les responsables de meurtres délibérés de civils et autres violations graves des lois de la guerre peuvent être poursuivis pour crimes de guerre. Les commandants burkinabés peuvent être tenus pour responsables de crimes de guerre pour de graves exactions commises par les forces placées sous leur commandement, y compris les Volontaires. Les partenaires internationaux du Burkina Faso qui fournissent un soutien à ses militaires, y compris ceux qui soutiennent la Force G5-Sahel, devraient veiller à ce que les armes et autres équipements fournis à l’armée burkinabée ne soient pas transférés à des milices coupables d’abus.
« Armer des civils sans formation ni contrôle gouvernemental adéquats est le meilleur moyen d’accroître les abus et les conflits intercommunautaires », a conclu Jonathan Pedneault. « Au lieu d’apaiser les tensions intercommunautaires, les autorités du Burkina Faso risquent d’aggraver le problème en créant des milices qui pourraient bien retourner leurs armes contre d’autres civils. »
Ces tueries, perpétrées dans les villages de Rofénèga, Nagraogo et Silgadji, s’inscrivent dans le cadre d’une recrudescence d’attaques dans le centre et le nord du pays et de l’expansion des groupes armés islamistes affiliés à Al-Qaïda et à l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS). Plus de 775 000 personnes avait été déplacées à la fin mars par ces violences. Human Rights Watch enquête également sur l'attaque du 16 février contre le village de Pansi, qui aurait été perpétrée par des islamistes armés, et lors de laquelle plus de 20 civils ont été tués.
« Le massacre de plusieurs dizaines de civils par des groupes armés islamistes montre leur mépris total pour la vie humaine », a déclaré Jonathan Pedneault, chercheur auprès de la division Crises et conflits de Human Rights Watch. « Les chefs de groupes armés devraient immédiatement ordonner la cessation de telles attaques à l’encontre des civils, et les dénoncer. »
Human Rights Watch a précédemment documenté des attaques de groupes armés islamistes ayant causé la mort de plus de 250 civils entre avril et décembre 2019, ainsi que des dizaines de cas dans lesquels les forces de sécurité gouvernementales ont sommairement exécuté des hommes détenus pour leur soutien présumé à ces groupes, y compris lors d'un récent incident survenu le 9 avril à Djibo.
Fin janvier, Human Rights Watch a mené, à Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso, et à Kaya, des entretiens avec 13 témoins des meurtres de Nagraogo et Rofénèga. Deux témoins des meurtres de Silgadji ont été interrogés par téléphone.
Aucune des trois attaques n’a été revendiquée, mais d’après les 15 témoins, les assaillants semblaient être membres de groupes armés islamistes, en raison de la similitude de leur modus operandi et du choix des cibles avec les attaques précédemment commises par ces groupes.
D’après les témoins interrogés, les hommes armés étaient habillés en noir ou en treillis militaire et arboraient des turbans, lorsqu’ils ont attaquéà deux par moto les marchés des villages. Ils semblaient prendre pour cible les hommes adultes sur la base de leur ethnicité : pratiquement aucune des victimes n’était peule, une communauté à laquelle appartiennent de nombreux islamistes armés. À Nagraogo, des témoins ont vu des assaillants arborer un drapeau noir, symbole de l’État islamique (EI, ou Daech).
Selon des témoins, dans deux des villages, les habitants avaient auparavant fui en raison de l’insécurité croissante, mais les autorités gouvernementales les avaient exhortés à rentrer chez eux après que l’armée ait donné des garanties de sécurité.
Une jeune fille âgée de 15 ans originaire de Rofénèga a déclaré à Human Rights Watch avoir été témoin du meurtre de son frère de 20 ans le 17 janvier. « Il était atteint de problèmes de santé mentale », a-t-elle expliqué. « Lorsqu’il a entendu les coups de feu, il a tenté de s’enfuir dans la brousse, mais a été intercepté et tué. »
Les personnes atteintes de handicap font partie de celles qui n’ont pu échapper aux assaillants. Une femme âgée de 40 ans atteinte d’un handicap physique a déclaré s’être cachée chez elle pendant que sa famille se réfugiait en lieu sûr lors de l’attaque du 20 janvier sur le village de Nagraogo. « J’ai entendu des coups de feu et j’étais triste et effrayée », a-t-elle confié. « J’ai senti la mort rôder, parce que je ne pouvais pas m’échapper. »
Au lendemain des attaques du 20 janvier contre les villages voisins de Nagraogo et Alamou, qui ont tué au moins 36 personnes, le parlement du Burkina Faso a adopté une loi portant sur la création de milices locales, des groupes de « Volontaires pour la défense de la patrie ». La loi autorise le recrutement de civils, formés et équipés pour veiller sur leurs communautés, et placés sous l’autorité des Forces de défense et de sécurité (FDS) nationales.
Mais ce texte pourrait vulnérabiliser davantage les communautés aux attaques des groupes armés islamistes, a observé Human Rights Watch. Au cours des derniers mois, des islamistes armés ont en effet pris pour cible, à plusieurs reprises, des civils suspectés de soutien aux forces militaires ou aux milices locales.
Dans le village de Gasseliki, des islamistes armés ont tué 20 civils en janvier 2019, manifestement en représailles pour avoir cherché à mettre sur pied une force d’autodéfense. Plus récemment, un témoin des meurtres en date du 25 janvier à Silgadji a déclaré qu’au cours de l’attaque, des islamistes armés ont accusé la communauté de chercher le soutien de l’armée pour former un groupe de volontaires.
Le plan du gouvernement visant à autonomiser les milices en régularisant les Volontaires fait également craindre que ces groupes se rendent eux-mêmes coupables de graves exactions. Les groupes d’autodéfense déjà existants au Burkina Faso, comme les Koglweogo, ont commis par le passé de nombreux abus. Le 8 mars, des membres de cette milice auraient tué au moins 43 Peuls dans trois villages de la région du Sahel.
Les abus perpétrés par tous les groupes armés dans le conflit en cours au Burkina Faso sont restés largement impunis, mettant en évidence l’échec et les limites du système judiciaire burkinabé pour garantir aux victimes l’établissement des responsabilités, créant ainsi une situation susceptible de provoquer des représailles.
Le Burkina Faso et ses bailleurs de fonds internationaux – en particulier la France et l’Union européenne – devraient soutenir les efforts visant à lutter contre les tensions interethniques croissantes dans ce pays, y améliorer les efforts pour établir les responsabilités dans les cas de crimes et de violations graves, et protéger les civils en danger et ce, en toute impartialité. Les partenaires internationaux du Burkina Faso devraient exhorter son gouvernement à prendre toutes les mesures nécessaires pour que la force d’autodéfense des Volontaires qu’il envisage de mettre sur pied reçoive la formation nécessaire et soit contrôlée et ses membres tenus pour responsable de leurs actes s’ils venaient à se livrer à des abus.
Tous les responsables de meurtres délibérés de civils et autres violations graves des lois de la guerre peuvent être poursuivis pour crimes de guerre. Les commandants burkinabés peuvent être tenus pour responsables de crimes de guerre pour de graves exactions commises par les forces placées sous leur commandement, y compris les Volontaires. Les partenaires internationaux du Burkina Faso qui fournissent un soutien à ses militaires, y compris ceux qui soutiennent la Force G5-Sahel, devraient veiller à ce que les armes et autres équipements fournis à l’armée burkinabée ne soient pas transférés à des milices coupables d’abus.
« Armer des civils sans formation ni contrôle gouvernemental adéquats est le meilleur moyen d’accroître les abus et les conflits intercommunautaires », a conclu Jonathan Pedneault. « Au lieu d’apaiser les tensions intercommunautaires, les autorités du Burkina Faso risquent d’aggraver le problème en créant des milices qui pourraient bien retourner leurs armes contre d’autres civils. »