« C’est très dommage… Vraiment. On exagère, là, vraiment, on exagère ». Stupeur et consternation. Lundi matin, des habitants du quartier de Mutakara, dans la commune de Cibitoke, viennent d'avoir une nouvelle vision d’horreur. Deux corps dans une rizière. Il s’agit de deux frères, militants du parti d'opposition Mouvement pour la solidarité et la démocratie (MSD), retrouvés ligotés et exécutés d'une balle dans la tête dans la nuit de dimanche à lundi. L'un empilé sur l'autre, tous deux les mains liées, les boites crâniennes ouvertes. Les os manquants se trouvent non loin de là et marquent le lieu des exécutions. Les cadavres ont été déplacés et dissimulés.
« On a entendu des coups de feu, vers 21 h. On croyait que c’était dans l’autre quartier », glisse l’un des habitants, sous le choc. Dans le voisinage, la police est immédiatement accusée. « Sachant que tu es un jeune, tu es toujours en danger, martèle un habitant. Tu es suspecté. Il suffit de vous accuser, [de dire] que vous appartenez au parti MSD ou que vous êtes manifestant, et c’est tout. On t’emmène, et tu deviens disparu. C’est tout, pas de suite. »
Les deux jeunes assassinés sont bien deux militants du MSD, des manifestants opposés à la candidature au troisième mandat de Pierre Nkurunziza, bien connus dans la commune. La parcelle où vivait l'un d’eux avait été perquisitionnée il y a une dizaine de jours, après la découverte de deux armes cachées dans un caniveau en face de la maison. C'est en tout cas ce qu'affirmait à l'époque la police. Depuis, les deux frères - « effrayés », selon leurs proches - se cachaient. « Cette perquisition est une pure coïncidence, ces jeunes n'étaient pas recherchés », assure le porte-parole adjoint de la police joint par RFI, qui dément toute implication des forces de l'ordre.
Les deux jeunes frères ont été tués à quelques centaines de mètres de le maison attaquée par la police le 1er juillet dernier, après l'assassinat d'un officier burundais. Six civils avaient alors été tués, dont quatre, déjà, d'une balle dans la tête. La police avait alors affirmé avoir neutralisé un groupe armé et découvert une cache d'armes. Cette fois, la police dit mener l'enquête et privilégie la piste d'un règlement de compte entre jeunes.
L'opposition veut interpeler Museveni
Cette nouvelle découverte intervient alors que l'opposition dénonce une vague d'arrestations d’une soixantaine de partisans d’Agathon Rwasa, ces derniers jours. Au micro de RFI, Jean Minani, président du parti d’opposition Frodebu Nyakuri, évoque des « exécutions extrajudiciaires » et dénonce la multiplication des « arrestations arbitraires » à quelques jours de la présidentielle, récemment repoussée au 21 juillet.
« C’est grave que l’on puisse aujourd’hui arrêter des gens sans preuve et les arrêter sans aucune justice. Nous condamnons ces actions qui sont des actions illégales, qui sont des exécutions extrajudiciaires, qui sont des arrestations arbitraires. Ce qui constitue des crimes qui sont susceptibles d’être qualifiés, demain, de crimes contre l’humanité », martèle Jean Minani, à l’issue d’une réunion de toutes les composantes de l’opposition burundaise, dont il se fait le porte-parole. Et si l’opposition s’inquiète des arrestations au sein du mouvement d’Agathon Rwasa, elle pointe aussi des arrestations parmi les militants des autres composantes de la coalition, notamment au sein du Frodebu. Jean Minani cite le cas de deux militants, « rentrés d’exil », qui ont été arrêtés et « conduits dans des prisons inconnues, où leurs familles ne peuvent les atteindre, ne peuvent les nourrir ».
Et le porte-parole de l’opposition burundaise insiste : il compte bien interpeler le président ougandais Yoweri Museveni, attendu au Burundi ce mardi. Désigné comme nouveau médiateur lors du sommet de la communauté est-africaine à Dar es Salaam le 6 juillet dernier, Yoweri Museveni fera une courte escale de vingt-quatre heures à Bujumbura. Jean Minani a un message à passer à Yoweri Museveni : « Des élections ne sont pas possibles quand il y a des arrestations massives comme celles qui sont en train d’être faites. »