COIN D'HISTOIRE : LA MÉDINA A 110 ANS ! (Par Gallo Thiam)



Ce 19 septembre 2024 marque le 110ème anniversaire de la création de la Médina, suite à une épidémie de peste bubonique qui sévit au Sénégal, en 1914. Et c'était là, une bien belle occasion rêvée saisie par les autorités coloniales de matérialiser un projet qui Brève chronologie du processus d’édification de la Médina leur tenait à cœur, celui d'éloigner la population indigène hors de Dakar, devenu entre-temps une « ville européenne ». Ainsi, pour freiner la contamination dans les habitations construites en paille, les autorités médicales décidèrent le déguerpissement de la population indigène vers un « village de ségrégation » séparé du Plateau. Et ce fut la naissance de la Médina.

 Brève chronologie du processus d’édification de la Médina

 
Depuis toujours, l’on n’évoque que des raisons sanitaires inhérentes à la création de la Médina,  il y a d’autres événements politiques, économiques et sociaux qui ont été très déterminants, notamment le dessin de de faire de Dakar, la capitale administrative de l'Afrique de l'Ouest, avec le développement du port, connu à l’origine comme centre charbonnier et centre de réparation de la compagnie des messageries impériales.  C'est dire que le déguerpissement des populations autochtones découle d'un long processus de mesures d’hygiène,  d’arrêtés administratifs.
 
Déjà en 1901, lors de la séance du 26 novembre, la commission sanitaire spéciale présidée par le Gouverneur Ballay et chargée  d’examiner les propositions de ladite commission suggérait des mesures de séparer la population européenne de la population noire. A partir de 1902, se produisent plusieurs événements qui changèrent la configuration de Dakar : le transfert du siège du gouvernement général de l’AOF de Saint louis à Dakar. En 1903, des travaux d’assainissement sont entamés. Leur achèvement coïncide avec l'application des règlements sanitaires qui aboutit à la séparation définitive du Plateau en deux parties : européenne et indigène. Et dès 1904, l’idée de la création d’un « village de ségrégation » est agitée. En 1907, le Gouverneur général Roume s’installe dans son palais (actuelle présidence de la République). Et officiellement, Dakar acquiert de nouvelles destinées politiques et administratives, géostratégiques mêmes, avec l’édification de nouveaux bâtiments militaires et administratifs.
 
L’édification de la Médina correspond à un tournant décisif dans l’urbanisation de Dakar notifiée par l’arrêté du 24 juillet 1914 du Gouverneur général, William Ponty en l'occurrence, qui fixait les détails d’exécution des mesures de destruction et d’évacuation de la ville indigène. Ledit arrêté dispose : « Pour permettre aux habitants évincés de reconstituer un foyer, il est attribué gratuitement à chaque chef de famille, un lot de terrain choisi dans le lieu de ségrégation ». S’en est suivi un autre Arrêté n° 1467 du 19 Septembre 1914 qui en son article premier dispose : « Il est déclaré d'utilité publique la création d'un village de ségrégation sur les terrains compris dans la zone détruite par l'arrêté n° 1301 du 13 Août 1914  ».
 
Ainsi actée administrativement, la vision coloniale de l’occupation de Dakar-ville réglait les difficultés apparentes de la cohabitation heurtée entre colonisateurs et colonisés.
 
Conséquences de l'épineuse question de la peste
 
Introduite à Dakar avril 1914, la peste a été déclaré le 03 mai dans un quartier indigène et y a causé sept victimes, dès sa première apparition. Les six villages du Plateau les plus éprouvés par l’épidémie furent Santhiaba, Mbëkëda, Thieurigne, Ngaraf, Diecko, Kaye Ousmane Diène, et les terrains de Tound compris entre les avenues Faidherbe et Ponty. Il faut faire remarquer entre les mois de Mai et Décembre 1914 dans la ville de Dakar 641 cases et 953 paillotes étaient démolies. En fin janvier 1915, la peste aura causé environ 1500 décès. Ainsi, l'occasion avait été saisie pour que les autorités coloniales décidèrent la création d’un « village indigène » appelé Xuru Xan ou Xan Xur, puis Tilleen, un lieu de prédilection à chacals, où les conditions n'étaient pas des meilleures : terrain creux et sablonneux, favorable aux inondations, pas de système d'égout ni adduction d'eau potable, dépourvu d'installation d'électricité encore moins de construction de routes. La viabilisation de la Médina entraîna le 20 octobre 1917 à la création d’une commission instituée par arrêté le Gouverneur général de l’AOF.
 
Résistance des lébous
 
Considérant illégale l’expropriation de leurs terres, les lébous se sont opposés farouchement contre les mesures administratives des autorités coloniales. Les lébous montrèrent leur résistance aux mesures administratives et s’opposèrent à l’incendie de leurs maisons à des fins d’hygiène, surtout qu’aucune maison de blanc n'était brûlée. Plusieurs quartiers du Plateau connurent des scènes d’émeutes. Ainsi, l’administration fit appel à la compagnie européenne d’infanterie et à une compagnie de tirailleurs, car les indigènes habitant les zones touchées refusaient catégoriquement qu’on mette en feu leurs cases « contaminées ». Ces réticences entraîneront une vague de contestations  l'’avenue Gambetta angle de l’avenue Faidherbe, au Pénc de Kaay Findiw où une masse de quatre à cinq mille indigènes fortement armés, était prête à en découdre avec les « brûleurs » de cases. L’administration fit appel à la compagnie européenne d’infanterie et à une compagnie de tirailleurs, car les indigènes habitant les zones touchées refusaient catégoriquement qu’on mette en feu leurs cases « contaminées ». Etaient accusés d’être les principaux instigateurs de ces révoltes : Youssou Bamar Gueye, Goornarou Gueye, Macodou Diéne, Diam Diagne, Selle Diop, Atoumane Mbenga et Jean d’Oxoby, Directeur de la « Démocratie du Sénégal » et Jules Sergent, agent électoral du député Blaise Diagne. Selon certaines sources, le député Blaise Diagne aurait joué un grand rôle dans l’apaisement de la situation, tout comme le Gouverneur général Ponty.

Conclusion
 
A l’instar de beaucoup de capitales politiques africaines, la création de certaines villes a souvent créé la dispute de l’espace à travers des « duels » du droit foncier moderne au droit du foncier traditionnel. La revendication de droits coutumiers a été constamment dans l’urbanisation de Dakar qui devait être un centre stratégique du « pouvoir blanc ». Fort conscient de cela, le colon français ne pouvait développer son activité dans un endroit où sa santé serait précaire et sa vie menacée. Par conséquent, la possession de vastes territoires était une condition sine qua non de rendre ce domaine colonial accessible.


Babou Diallo

Mercredi 18 Septembre 2024 21:09


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