Un important contingent - officiellement de 2 500 soldats tchadiens - a franchi la frontière samedi. Il comprend environ 400 véhicules, chars, blindés et transports de troupes. Ils ont pénétré jusqu'à Maltam, à 80 km à l'intérieur du territoire camerounais.
Selon une bonne source, un second contingent tchadien serait plus au nord, dans la région du Lac Tchad. C'est dans ce secteur que début janvier, Boko Haram avait mené une de ses plus sanglantes attaques, dans la région nigériane de Baga, une ville stratégique.
Souveraineté
Ndjamena ne cache pas vouloir reprendre Baga et traquer Boko Haram jusque sur ses terres. Mais l'armée tchadienne pourrait-elle pénétrer en territoire nigérian ? En effet, le groupe extrémiste attaque et se replie en territoire nigérian où il sait que les armées étrangères n'ont pas le droit de poursuite, sinon ce serait une violation de souveraineté. Le porte-parole de l'armée nigériane, Chris Olukolade, l'a d'ailleurs dit : « Tout soutien est bienvenu, mais il devra se conformer à nos opérations en cours, car il s'agit de notre territoire ».
Derrière cette frilosité d'Abuja, beaucoup de choses se jouent notamment pour des questions de puissance et d'orgueil. Le Nigeria a vocation à être une puissance continentale. Or, voir une armée étrangère faire le ménage sur son sol serait très difficile à accepter et un véritable aveu de faiblesse.
Humiliation
Officiellement, le président tchadien, Idriss Déby, dit répondre à une demande de son homologue camerounais, Paul Biya. L'armée tchadienne est réputée dans la région, ses soldats sont aguerris et ils se sont d'ailleurs illustrés, au Mali, dans la libération du nord du pays.
De plus, les incursions de plus en plus nombreuses de Boko Haram au Cameroun constituent un danger pour l'accès du Tchad à la mer. L'axe routier entre Ndjamena et le port de Douala est désormais directement menacé.
Enfin, la conquête de Baga a été une humiliation pour les pays de la région. C'est là qu'était censé être le quartier général de la Force régionale conjointe, créée en 1994 par le Nigeria, le Tchad et le Niger. Elle a des attributions antiterroristes. Pourtant, les soldats nigériens et tchadiens s'étaient retirés des lieux depuis longtemps. Vingt ans après sa création, cette force est en réalité peu active.
Comme elle, beaucoup d'initiatives régionales sont restées quasi lettres mortes. En mai dernier, à Paris, les pays de la région ont adopté un plan de riposte prévoyant une meilleure coordination du renseignement, une surveillance commune des frontières et une capacité d’intervention. Puis en octobre, à Niamey, ces mêmes pays ont décidé de créer une nouvelle force multinationale de 2 500 soldats. Ils devaient se déployer le long de leurs frontières, au 1er novembre, mais cette force n'a toujours pas vu le jour.
Manque de coordination
Le manque de coordination entre les Etats de la région est régulièrement cité. Ce week-end,Idriss Déby a d'ailleurs demandé aux pays africains de former une large coalition contre Boko Haram.
Le Nigeria avec son armée n'arrive pas à éradiquer seul le mouvement islamiste qui continue de s'étendre et à imposer son autorité sur le nord-est du pays. Le Cameroun était depuis plusieurs années considéré comme une base arrière de Boko Haram. Les autorités étaient pointées du doigt pour leur immobilisme. Elles ont décidé de renforcer leur dispositif, avec les opérations Emergence puis Alpha et l'envoi de 2 000 soldats à la frontière, notamment son unité d'élite BIR, le Bataillon d’intervention rapide.
Fin décembre, le Cameroun a, pour la première fois, fait intervenir son aviation pour reconquérir son camp militaire d'Achigachia. Cela n'avait pas impressionné Boko Haram car la secte avait, en effet, défié Yaoundé, quelques jours plus tard, par une vidéo dans laquelle son leader, Aboubakar Shekau, menaçait le chef de l'Etat Paul Biya.
Maintenant, c’est le Tchad qui entre en scène, avec cet élément nouveau, à savoir son armée entrée au Cameroun, preuve que l'état de la coopération est peut-être en train de changer.
■ Des mots très durs d'Idriss Déby, avec notre correspondant à Ndjamena
Lundi 20 janvier à Ndjamena, à l’occasion de la présentation de ses vœux au corps diplomatique, le président du Tchad est revenu sur les raisons de l'engagement de son pays aux côtés du Cameroun et du Nigeria :
« Le Tchad vit difficilement les crises violentes qui l’entourent. Celle qui sévit au Nigeria en particulier, et qui s’est propagée au Cameroun, nous préoccupe au plus haut point. En vérité, les membres de Boko Haram ne sont pas des musulmans. Je dirais même qu’ils sont les plus grands ennemis de l’islam. Les massacres innombrables perpétrés contre les populations de la localité nigérienne de Bagakawa en sont la preuve la plus effroyable. Le Tchad ne saurait rester indifférent devant cette escalade de la terreur menée par une horde d’illuminés et de drogués. »