Il est environ 13 H, au tribunal de Dakar, une atmosphère lourde et angoissante imprègnent les parents des jeunes arrêtés lors des récentes manifestations qui se sont étendues sur trois jours à Dakar. Leurs mines tristes et désemparées reflètent leur inquiétude quant au sort réservé à leurs enfants. Sous le chaud soleil, des centaines de parents se rassemblent, créant une ambiance électrique teintée d'attente insoutenable.
Les escaliers menant à la cave du tribunal sont encombrés de personnes assises, témoignant de l'afflux de familles anxieuses. Parmi elles, une mère est présente depuis tôt ce matin, vers 7 heures, espérant voir son fils. Ce dernier, âgé de 19 ans, est détenu depuis vendredi à la police de Jaxaay et a été amené mardi soir à la cave du tribunal de Dakar où il a passé la nuit. Résidant à Rufisque, il est un élève qui devrait normalement se rendre à l'école. La mère, désorientée, est assise par terre, ses chaussures enlevées. Tenant une pochette bleue, vêtue d'un ensemble multicolore de taille basse et d'un foulard noir, elle tient un chapelet entre ses mains, priant pour la liberté de son fils. Elle appelle ses proches au téléphone pour leur demander de veiller sur sa famille laissée à Rufisque depuis ce matin.
La dame qui n’a pas voulu donner son nom, est accompagnée par son mari qui tente de faire passer de la nourriture à leur fils qui se trouve dans la cave du tribunal. Vêtu d’un caftan beige et d'un bonnet bleu à rayures vert foncé, il s’approche des ASP en leur demandant d’apporter le sachet de nourriture à son fils de 19 ans. Très inquiet, le père de famille a laissé tomber toutes ses activités pour venir au tribunal. « Je suis au tribunal de Dakar et j’attends, on ne sait pas ce qui se passe, on s’arme de patience. Mon fils s'appelle Boubacar, si son ami dont tu me parlais peut l’aider, je suis vraiment inquiet », confie l’homme âgé d’une cinquantaine d'années qui passe un appel à un proche pour avoir de l’aide.
« Les jeunes n’ont pas de vergogne.. »
À moins d’un mètre, un groupe de cinq (5) jeunes échange sur la situation des jeunes qui sont dans la cave. Assis par terre, ils se plaignent de fatigue à cause des va-et-vient incessants entre les commissariats. « En ce moment, j’ai mal partout à cause des nombreux déplacements que j’ai effectués depuis l’arrestation de mon frère », déclare l’un d’eux en se massant le dos. « En ce moment, c'est seulement le procureur qui peut les faire sortir », lui réplique un autre. « Le problème, c’est que les jeunes n’ont pas de vergogne après tout ce qu'ils ont enduré. Je suis sûr qu'ils risquent de récidiver à leur sortie », lance le troisième tandis que les deux autres, les jambes croisées, le regard tourné vers les allées du tribunal, guettent tout ce qui bouge.
Parmi les parents présents, certains échangent sur la situation difficile. L'un d'eux exprime son inquiétude concernant ses trois fils, dont l'un participe aux manifestations, l'autre est maltraité par les forces de l'ordre et le dernier agit à sa guise. Il confie se « sentir dépasser par cette situation délicate et ne savent plus où donner de la tête ».
L’inquiétude au summum
Dans l'attente angoissante, une femme attire plus l’attention. Sira, est couchée par terre, les pieds nus, tenant un gros sachet à ses côtés tandis que sa fille tète tranquillement. Vêtue d'une robe marron et arborant des boucles d'oreilles évoquant son appartenance à la communauté peulh, elle est la mère d'un adolescent de 15 ans arrêté lors des protestations à Rufisque. « En ce moment, je ne fais que prier pour que mon fils retrouve sa liberté. Je suis venue ici ce matin, mais je n'ai pas encore réussi à le voir. Je ne sais pas dans quelles conditions il se trouve. Heureusement, j'ai pu lui faire parvenir des vêtements et de la nourriture. Maintenant, j'attends », confie-t-elle avec une pointe d'anxiété dans la voix.
Parmi les quelque 500 arrestations recensées, une vingtaine de personnes ont été libérées hier mardi, offrant un mince espoir au sein de cette atmosphère tendue. Cependant, ce qui préoccupe les parents, c'est l'endroit où leurs enfants passent leurs nuits, car chaque soir, ils sont déplacés pour dormir ailleurs, la cave du tribunal ne pouvant accueillir tous les détenus. « Ce qui m'inquiète, c'est l'endroit où ils dorment, car chaque soir, ils sont emmenés ailleurs pour passer la nuit, car ils ne peuvent pas tous dormir dans la cave. Leur libération est primordiale. Parmi ceux qui ont été arrêtés, la plupart sont des curieux ou des travailleurs qui passaient par là. Je suis venu voir deux personnes arrêtées depuis mercredi, alors qu'il n'y avait pas de manifestation. J'ai peur qu'ils soient en train de calculer le fait que s'ils les relâchent, ils reprendront les manifestations », déclare un parent dont deux neveux ont été arrêtés à Rufisque. Selon ses dires, ils rentraient du travail lors de leur arrestation.
De son côté, la nommée Fatou Boye, venue de Keur Mbaye Fall, est présente devant l'entrée de la cave du tribunal depuis 8H. Son fils âgé de 16 ans est parmi les détenus, et son inquiétude ne fait que croître à mesure que le temps s'écoule. Devant cette même entrée, un défilé incessant d'avocats est observé. Certains entrent pour rejoindre les détenus, tandis que d'autres en sortent. Ces derniers sont immédiatement approchés et interrogés par les proches des prisonniers, qui les supplient de prendre en charge les dossiers de leurs proches dans l'espoir de leur obtenir une issue favorable.
Dans ce rassemblement, un père de famille, visiblement préoccupé, avoue que son fils de 17 ans s'est rendu à Jaxaay jeudi dernier et depuis lors, il n'a plus aucune nouvelle de lui. Malgré ses démarches effectuées dans deux commissariats différents (central et Jaxaay), il reste sans nouvelles. Le jeune garçon en question répond au nom de M. Faye. Son père attend devant la cave du tribunal de Dakar dans l’espoir de trouver son enfant perdu de vue depuis plusieurs jours.
« Les jeunes doivent rester tranquilles… »
Une autre mère, venue de Gueule-Tapée, dont le fils a 20 ans a été arrêté, fustige le comportement des jeunes et soutient que les jeunes doivent revoir leurs comportements. « Les jeunes qui seront libérés doivent rester tranquilles. Si mon fils pense ne serait-ce qu'à sortir lorsqu'il y aura des manifestations, je vais l'attacher. En ce qui me concerne, je vais manifester en allant voter pour la personne que je soutiens. Quant à aller dans la rue, je ne le ferai pas, car la situation au Sénégal est vraiment compliquée. »
Continuant, elle explique que « plusieurs jeunes n'ont pas d'avocats pour le moment ». Face à cela, une psychose s'est installée chez les parents. À rappeler que la majorité des jeunes sont âgés entre 15 et 25 ans.