Chronique: L’objet chouchouté et les sujets orphelins



Le Sénégal est vraiment un cas spécial. C’est comme s’il n’y avait pas suffisamment de dossiers importants qui méritent ce florilège d’énergies dépensées pour alimenter la polémique stérile sur le monument de la renaissance africaine. Pas un seul jour sans qu’une nouvelle déclaration ne vienne s’ajouter au « débat » national sur la statue géante du président Wade.

Politiques, religieux, société civile et médias ont fini d’en faire leurs choux gras au détriment des nombreuses urgences sociales et économiques qui mériteraient plus d’attention. La plus grosse part de responsabilité dans cette diversion est cependant imputable au Chef de l’Etat qui a réussi à installer cette grosse controverse à l’honneur du monument.

D’abord, en procédant de manière unilatérale et «sans débat» à sa construction. Ce qui aurait pu nous épargner cette discussion sur le tard quasiment sans effet. Il a mis presque tout le monde devant le fait accompli. Non content de cela, il a trouvé nécessaire de s’attaquer ensuite à l’intelligence de certains imams coupables d’avoir critiqué son bijou artistique.

Il récidivera en convoquant maladroitement Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké, El Hadji Maodo Malick Sy et Jésus Christ pour justifier la fameuse statue. Les premières cités par Wade pour n’avoir «jamais» rien dit à l’époque sur le monument à l’effigie du gouverneur Faidherbe tandis que le dernier est, note-il, adoré par les catholiques dans les églises alors qu’il n’est pas Dieu. Cette dissertation politico-théologique a eu le don de déclencher une levée de bouclier monstre du clergé et de la chefferie confrérique après celle des imams.

Quelle opportunité y avait-il ; pour un chef d’Etat, à discourir sur la divinité ou non de Jésus et sur les prétendus comportements de Maodo et Bamba à l’égard de la sculpture représentant un colon. Depuis lors, et bien avant même, le pays ne bruit que de ce monument. Des torrents de salive et d’encre se déversent quotidiennement sur la «sculpture des mamelles» sans qu’il y ait une once de lucidité pour dire : ça suffit, on a mieux à faire !

Au moment où le Sénégal dépasse plus de 14 milliards de FCFA pour ériger une statue pompeusement dédiée à la renaissance africaine, le monument de l’obélisque de Colobane, signe de notre indépendance, se meurt. Il est mal entretenu et le jardin qui le jouxte a perdu une bonne partie de sa clôture depuis plusieurs mois sous une totale indifférence. Avant de clamer la renaissance africaine, bien solitaire et sénégalaise, il vaudrait mieux accorder plus de respect au monument de l’indépendance qui ne fait l’objet d’attention qu’à l’approche du défilé du 4 avril.

Du côté des contempteurs de Wade et de son monument également, les priorités ne manquent pas. Après avoir suffisamment dénoncé son érection, ne vaudrait-il pas mieux pour eux de s’intéresser davantage à d’autres sujets sur lesquels leur responsabilité n’est pas moins engagée ? par exemple, la lutte contre la mendicité, la pauvreté, le proxénétisme, l’alcoolisme, la pédophilie, les gains usuriers, l’analphabétisme, l’obscurantisme, la morbidité, la criminalité. La liste est longue de maux qui sollicitent désespérément leurs mots et actes autant que ceux de l’Etat.

Décréter la trêve des futilités est une sur priorité pour se retrousser les manches au moment où le taux de croissance économique fond comme du beurre au soleil. S’il y a quelque chose qui mérite qu’on érige un monument à sa gloire, c’est bien le culte du travail et de la responsabilité qui ont décidément très peu d’adeptes et de militants chez nous.


Abdoulaye SYLLA

Mercredi 6 Janvier 2010 10:07


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