Chronique: La dinde, le dindon et le farceur



Dans l’entre deux tours de la présidentielle 2000, Me Wade, face au refus d’Abdou Diouf de débattre avec lui à la télévision nationale, ne s’est pas privé de se présenter dans les locaux de la Rts, pour prendre à témoin l’opinion que son adversaire s’est débiné. Nous étions en campagne électorale, et Wade a pu marquer les esprits des électeurs, par ce grand coup médiatique.

Aspirant à être le parfait héritier de son père, Karim Wade a sans nul doute pensé rééditer le coup médiatique de Me Wade. Sauf que les circonstances et les contextes ne sont pas les mêmes. Et puis, à vrai dire l’approche du leader de la Génération du Concret relève plus de la tactique du lutteur que de la stratégie politique. En effet dimanche dernier, le paysage politique sénégalais a encore plus mérité son surnom d’arène politique. Et si dans la lutte, n’importe qui peut défier tout le monde, ce n’est pas tout le monde qui accepte de lutter avec n’importe qui. C’est peut-être le message qu’Ousmane Tanor Dieng a voulu envoyer à Karim Wade en n’accordant aucun intérêt à son invitation à débattre sur la gestion des deux sommets de l’Oci en 1991, organisé par les socialistes et 2008, géré par Karim Wade lui-même. Comme un lutteur, il a tenu à ce que son défi soit entendu et vu par le plus de personnes possibles. Donc, une télévision, qui plus est considérée comme la plus regardée des Dakarois (d’après le dernier sondage Adesr) fait l’affaire. Remercier Sidy Lamine Niasse pour le soutien qu’il lui a apporté lors du décès de son épouse, n’était en fait qu’un faux prétexte pour Karim Wade de venir lancer son défi à Ousmane Tanor Dieng devant les caméras de Walf Tv. Face à l’effet buzz, à l’ampleur inattendue, de sa déclaration, Karim Wade, pris à son propre jeu ne pouvait que relever tout seul le défi qu’il a lancé à Ousmane Tanor Dieng.

Ainsi comme un lutteur, il s’est présenté dimanche dans les locaux de Walf Tv, entouré de son staff (on aurait pu dire son écurie), il a fait sa démonstration (bakk), et il est reparti sous les hourras de ses supporters, fêtant une victoire que leur champion a remportée sans avoir combattu. C’est qu’il ne devait même pas y avoir de combat puisque l’un des combattants n’a même pas eu l’opportunité de discuter du principe même de ce duel. Seulement, il a fallu que des journalistes de la télévision « la plus suivie » de Dakar acceptent d’être les dindons d’une farce au goût douteux, pour nous servir un spectacle où il était difficile de faire la différence entre le burlesque et le ridicule. Et l’ironie du sort a voulu que ce soit un journaliste sportif et une autre connue pour ses émissions plus folkloriques qu’informatives (Ataya, Sortie) qui furent choisis pour animer ce qui devait être un grand débat, dans lequel devaient s’affronter, quand même, deux ministres d’Etat. C’est dire que Walf Tv avait fait le choix de servir un show et non un débat serein (si par extraordinaire le patron des verts était venu) à ses téléspectateurs. Au fond, Ousmane Tanor Dieng n’a pas eu tort d’avoir méprisé le défi de Karim Wade. Quand on associe un enfant gâté, à qui son père passe tous ses caprices et qui prend le pays pour un gigantesque parc d’attraction ou une grande cour de récréation, et des personnages qui prennent la télévision pour un miroir à grimace, le résultat ne peut qu’être affligeant. Dimanche dernier, les téléspectateurs de Walf Tv ont eu leur gag de l’été. Mais le problème avec les gags, c’est que quand on les rate, cela exaspère.

En fait, ce qui intéressait surtout Karim Wade ce jour là, c’était de marquer un grand coup médiatique, face aux attaques multiples dont il fait l’objet et devant le retour d’Idrissa Seck au devant de la scène médiatique. En effet depuis quelques jours, la presse n’en a que pour Idrissa Seck, avec les pourparlers pour la finalisation de son retour au Pds, mais surtout le rôle important qu’on lui prête dans la mise en place du futur grand parti présidentiel. Karim Wade n’avait donc pas d’autres choix que de tenter un coup d’éclat pour attirer à nouveau l’attention sur sa personne. En se donnant en spectacle le dimanche, il espérait faire la Une de tous les journaux lundi matin. Mais son seul mérite a été de ravir, quelque peu, la vedette à Papa Sow et Bathie Séras qui, eux, luttaient pour de vrai le même jour au Stade Demba Diop. L’autre obsession de Karim Wade, c’est faire taire tous ceux qui lui reprochent de ne pas avoir l’étoffe d’un homme politique. Et à ses yeux, s’attaquer à Ousmane Tanor Dieng, qui incarne presque le rôle de l’opposant le plus significatif, étant le chef du plus grand parti politique du pays, lui donnerait d’office la carrure d’un acteur politique de premier plan. D’où cette bravade habillée du manteau de la témérité de celui qui sait que la personne qu’il défie n’accordera aucune attention à sa provocation.

Maintenant la grande question c’est de savoir si un média sérieux peut se permettre d’annuler son plus grand rendez-vous d’information, tout en étant sûr que l’émission programmée à sa place, aussi spéciale soit elle, n’aura jamais lieu ? En effet, aussi bien Karim Wade que les journalistes de Walf Tv savaient qu’Ousmane Tanor Dieng ne viendrait pas à ce débat. Karim Wade le savait parce qu’il était le seul à prendre au sérieux son défi, les journalistes de Walf Tv le savaient aussi parce qu’ils n’ont pas réussi à entrer en contact avec Ousmane Tanor Dieng pour « l’inviter » au débat imposé par Karim Wade.

Ministre d’Etat, ministre de la coopération internationale, de l’aménagement du territoire, des transports aériens et des infrastructures. En principe, avec un tel intitulé, cela fait beaucoup de travail. Apparemment pas, puisque Karim Wade trouve le temps de s’amuser. En voulant marquer un grand coup politico-médiatique, il est tout simplement passé pour un plaisantin.

Samba Jalimpa Badji

Jeudi 23 Juillet 2009 15:56


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