Le ralliement de dix pays arabes derrière la campagne militaire américaine est sans doute un premier succès pour Washington. Il faut maintenant que cette coalition trouve des moyens efficaces pour contrer l'avancée de l'État islamique, estime Karim-Émile Bitar, chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) : « Ce que fait John Kerry est bien évidemment préférable à une action américaine unilatérale. Mais ça ne pourra avoir des résultats concrets que si les États-Unis font preuve d’un peu plus de sévérité envers leurs alliés et qu’ils exigent que ceux-ci stoppent tout financement, même indirect, des mouvements radicaux et arrêtent d’instrumentaliser ces mouvements radicaux pour accomplir des objectifs géopolitiques. »
Par ailleurs, alors que les États-Unis ont besoin de troupes pour combattre l’EI en Syrie – rôle qu’ils se refusent à jouer, n’offrant que des raids aériens –, ils se heurtent à la réticence de pays tels que l’Arabie saoudite ou les émirats du Golfe. Cette réticence à fournir des effectifs terrestres vient du fait qu’ils ont été échaudés par le revirement d’Obama de l’an dernier, nous indique notre correspondant à Washington, Jean-Louis Pourtet. Après avoir annoncé des frappes contre les troupes de Bachar el-Assad, qui avaient utilisé des gaz contre les civils syriens, le président américain était revenu sur sa décision. Il y a un certain doute de la part des alliés arabes sur la détermination d’Obama à vaincre les jihadistes.
Autre problème, la rivalité entre plusieurs pays de la région, qui pourrait, selon Karim-Émile Bitar, empêcher une participation active de certains entre eux à l’intervention militaire américaine. « L’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie sont loin d’être sur la même longueur d’onde et chacun à ses propres obstacles à une intervention », analyse le chercheur.
La Turquie prudente et réservée
Dans le cas de la Turquie, ce sont sans doute ses otages retenus depuis trois mois par les islamistes lors de la prise de Mossoul, qui incitent Ankara à ne pas se montrer trop en pointe dans le plan d'intervention coalisé contre l'État islamique en Irak, et surtout en Syrie. Mais il apparait bien, au terme des entretiens menés par John Kerry ce vendredi dans la capitale turque, qu'elle tiendra sa place et même devrait jouer « un rôle-clé » dans le dispositif qui se met en place. « La Turquie a sa sensibilité, a ainsi commenté John Kerry en quittant Ankara. Son rôle exact sera défini plus tard ». Le secrétaire d’État américain ne semble pas douter que les deux « importants partenaires » que sont Washington et Ankara vont étroitement coopérer.
Officiellement, la Turquie se montre prudente et réservée, nous rapporte notre correspondant à Istanbul, Jérôme Bastion. Son aide portera sur le partage de renseignements, sur une lutte antiterroriste renforcée, sur une assistance humanitaire et sur un soutien logistique à l’opposition syrienne. Le Premier ministre Ahmet Davutoglu a d’ailleurs longuement exprimé, à la télévision dans la soirée, les inquiétudes et les priorités de la Turquie pour la stabilité à long terme de la région, comme pour montrer qu’elle ne se laissait pas embarquer dans une aventure mal préparée par les États-Unis.
Mais à Washington, on ne doute pas que la Turquie ait une place de premier plan dans la coalition, même si ce n’est pas en fournissant des troupes combattantes. Le Pentagone évoque un « devoir en tant que partenaire de l’Otan » en raison « de sa position géographique », ce qui semble une allusion aux bases aériennes du sud-est de la Turquie, toutes proches du théâtre des opérations. Les dirigeants turcs expliqueront le moment venu le rôle qu’ils veulent jouer, dit-on de manière sibylline côté américain.
Détruire l’EI, un objectif « irréalisable »
On l’aura compris, c'est donc une alliance de circonstance qui est en train de se former. Les États-Unis s'appuient sur leurs alliés locaux pour ne pas donner l'impression qu’ils mènent une opération unilatérale. Et les pays du Golfe, se sentant eux-mêmes menacés par l'État islamique, ont tout intérêt à soutenir Washington dans sa campagne contre les jihadistes.
Cependant, selon Romain Caillet, chercheur et consultant des questions islamistes, cet objectif de « détruire » l'EI est irréalisable. « À l’époque contemporaine, aucun groupe islamiste n’a pu être éradiqué. Israël n’est pas parvenu à éradiquer le Hamas à Gaza ou le Hezbollah au Liban. Les États-Unis, depuis 13 ans, ne sont pas parvenus à éradiquer al-Qaïda », rappelle le chercheur. D’après lui, les discours des autorités américaines sont largement motivés par une logique politicienne et les élections à venir dans deux ans. « Ils ne peuvent pas dire que ce n’est pas possible d’éliminer l’État islamique. Il y a possibilité de ralentir son avancée et de le contenir. Pour les Américains, cela passe par la nécessité de trouver des partenaires sunnites crédibles en Irak et en Syrie », analyse Romain Caillet.