Côte d‘Ivoire : bras de fer inédit pour le pouvoir entre Ouattara et Gbagbo

Les autorités ivoiriennes n’ont pas du tout apprécié la déclaration du représentant du secrétaire général des Nations unies, Youn-jin Choi, annonçant la victoire d’Alassane Ouattara. Le 3 décembre au soir, Alcide Djédjé, conseiller à la présidence ivoirienne, a affirmé qu’il était « très grave qu’un haut-fonctionnaire de l’ONU veuille désigner le président de la Côte d’Ivoire », et a même menacé d’expulsion le représentant onusien à Abidjan. Tandis que ce samedi 4 décembre 2010, s'exprimant depuis l'Inde, Nicolas Sarkozy a qualifié Alassane Ouattara de «président élu».



Pour Laurent Gbagbo, tout procède de la loi ivoirienne. En Côte d’Ivoire, le Conseil constitutionnel est juge en dernier ressort. Il est le seul à pouvoir donner les résultats définitifs de l’élection présidentielle. Si Youn-jin Choi se croit au-dessus de ce Conseil, il agit en violation de la Charte des Nations unies qui stipule que chaque pays est souverain. Bref, l’ONU n’est pas là pour s’immiscer dans les affaires ivoiriennes, mais pour accompagner le processus.
Pour Youn-jin Choi, tout procède des accords politiques de sortie de crise conclus en dehors de tout vote à l’Assemblée nationale. En avril 2005, à Pretoria, Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié – qui se méfiaient les uns des autres – ont créé la fonction de Haut représentant des élections (HRE). Ce haut fonctionnaire de l’ONU était chargé de certifier 1 – la paix, 2 – l’inclusion (Qui peut voter ? Qui peut être candidat ?), 3 – les medias d’Etat, 4 – la liste électorale, 5 – les résultats des élections.

Aujourd’hui, Youn-jin Choi n’a plus le même titre, mais affirme garder les mêmes prérogatives. Il s’estime donc tout à fait compétent pour certifier le vote du 28 novembre dernier et annoncer le nom du vainqueur de la présidentielle.
Dans cette polémique, le conseiller à la Présidence, Alcide Djédjé, dénonce une discrimination : « Les pays africains sont les seuls où les hauts fonctionnaires se comportent de la sorte ». « C’est faux », réplique un membre de l’entourage de Youn-jin Choi. « Au Timor oriental, au Népal ou en Bosnie, l’ONU a certifié aussi les scrutins. Mieux, elle les a organisés ».

Il est vrai que la Côte d’Ivoire est l’un des premiers pays où l’ONU engage un bras de fer avec un chef d’Etat qui veut rester au pouvoir. Un bras de fer qui ne fait sans doute que commencer.

Un pays, deux présidents
La Côte d’Ivoire s’est, en tous cas, endormie dans la soirée du 3 décembre avec deux présidents. Un président élu dans les urnes selon la Commission électorale indépendante et le représentant du Secrétaire général des Nations unies sur place et un président élu selon le Conseil constitutionnel, l’instance juridique suprême du pays.
Dans cette bataille de légitimité, Alassane Ouattara gagne haut la main si une victoire se mesure au nombre de soutiens intérieurs et extérieurs.
Sur le plan international, outre le patron de l’ONUCI qui a certifié son élection, Alassane Ouattara a notamment reçu les félicitations du secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, du président américain Barack Obama, du chef de l’Etat français Nicolas Sarkozy et de la chef de la diplomatie de l’Union européenne, Catherine Ashton.

Sur le plan local, le candidat du RHDP a reçu le soutien notamment des Forces Nouvelles et du Premier ministre, Guillaume Soro, qui s’est indigné de l’annulation des votes dans plusieurs départements du nord et du centre du pays.
Laurent Gbagbo, lui a revêtu son costume favori, celui du défenseur de la nation assiégée et des lois ivoiriennes. La télévision nationale l’a, d’ailleurs, montré en compagnie des chefs de l’armée, de la gendarmerie et de la police, venus le féliciter pour sa réélection. Vendredi soir, en revanche, personne à l’extérieur des frontières n’avait salué son maintien au pouvoir validé par la décision du Conseil constitutionnel.

Selon plusieurs sources diplomatiques, les appels à une sortie en beauté ne fonctionnent pas. Laurent Gbagbo pourrait pourtant se prévaloir du titre de chef d’Etat africain ayant le plus cédé à son opposition. Mais vendredi soir, il n’était manifestement pas prêt à céder le pouvoir à son plus farouche opposant, d’autant que la télévision nationale a annoncé la cérémonie de l'investiture pour ce samedi matin 4 décembreau palais présidentiel d’Abidjan.
Réactions internationales

Alors que le climat est tendu en Côte d'Ivoire, la communauté internationale a très vite réagi pour reconnaître la victoire d'Alassane Ouattara, à quelques exceptions près toutefois.

Dès le 3 décembre, l'ONU avait pris les devants pour reconnaître la victoire d'Alassane Ouattara. Dans la soirée, coup de théâtre à New York : le Conseil de sécurité n'est pas parvenu à s'entendre sur une déclaration commune reconnaissant Alassane Ouattara comme nouveau président ivoirien.

C'est la Russie qui a soulevé des objections, Moscou refusant que le Conseil de sécurité n’apporte son soutien à l'un des candidats. Quelques heures plus tôt cependant, Ban Ki-moon, le Secrétaire général de l'ONU, avait félicité Alassane Ouattara et avait demandé au président sortant, Laurent Gbagbo, de coopérer à une transition politique sans heurts dans le pays.

Des messages identiques de félicitations à Alassane Ouattara et d'appel au sens des responsabilités du président sortant, Laurent Gbagbo, se sont succédés dans la soirée, dont ceux de Catherine Ashton pour l'Union européenne, de Nicolas Sarkozy à Paris, et de Barack Obama.

Selon le président américain, « la communauté internationale mettra devant leurs responsabilités ceux qui essaient de faire échouer le processus démocratique et la volonté des électeurs ». Dans la sous-région, le président nigérian Goodluck Jonathan, au nom de la Cédeao, a exhorté toutes les parties, y compris le Conseil constitutionnel ivoirien, à respecter le verdict du peuple tel qu'il a été annoncé par la Commission électorale.

« L’établissement durable de la réconciliation, de la paix et de la stabilité »

Enfin, samedi 4 décembre 2010, Nicolas Sarkozy en voyage officiel en Inde, a une nouvelle fois appelé au « respect de la volonté du peuple ivoirien » :

« La France, respectueuse de l’indépendance de la Côte d’Ivoire, qui est l’amie de tous les Ivoiriens, la France qui n’a soutenu aucun candidat, souhaite que cette élection permette l’établissement durable de la réconciliation, de la paix et de la stabilité dont la Côte d’Ivoire a besoin.

Je lance donc un appel à tous les dirigeants et responsables civils et militaires pour qu’ils respectent la volonté du peuple et s’abstiennent de toute initiative de nature à provoquer la violence. Je me suis entretenu cette nuit longuement au téléphone avec le secrétaire général des Nations unies, avec le président Gbagbo, et avec le président élu Alassane Ouattara. J’aurai aujourd’hui un nouvel entretien avec le président Gbagbo.

Un président est élu en Côte d’Ivoire. L’ensemble de la communauté internationale et les Nations unies l’ont reconnu. Ce président, c’est monsieur Alassane Ouattara. »

Par RFI

Samedi 4 Décembre 2010 11:16


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