Assise dans un café parisien, Cynthia, 26 ans, est souriante. Cela fait huit mois qu’elle est en France, elle se sent désormais en sécurité et a entamé les démarches pour solliciter l’asile. Fin juin 2013, c’est pour sauver sa vie qu’elle a sauté dans un avion dès après avoir obtenu un visa pour la France. Cynthia est lesbienne, et l’Ouganda, où l’homosexualité est déjà sévèrement punie par la loi, prévoit désormais des peines de prison à vie pour « homosexualité aggravée » et des peines de prison à l’encontre de militants des droits LGBT (Lesbiennes, Gays, Bi et Transsexuels), pour « promotion », en vertu d’une nouvelle loi récemment signée le 24 février 2014 par le président Yoweri Museveni en personne.
La persécution au quotidien, le tabou familial
L’homosexualité de Cynthia se révèle lorsqu’elle est au collège. Une aventure amoureuse avec une autre collégienne provoque son renvoi. Sa mère apprenant son orientation sexuelle a une crise cardiaque. Elle meurt peu après. Sa famille fait porter la responsabilité de sa mort sur Cynthia : elle est renvoyée au village, il faut lui trouver un mari. Violée par son oncle qui veut « lui montrer ce qu’est être femme », elle s’échappe et rejoint une association pour les droits des LGBT.
Lors d’un spectacle destiné à montrer que les homosexuels sont des gens comme les autres, et victimes de persécutions en Ouganda, la police fait une descente. Plusieurs militants sont arrêtés. Des photos et des listes de noms dont certains avec leurs adresses sont publiées dans la presse. Une véritable chasse aux sorcières est lancée, en toute impunité. A plusieurs reprises, Cynthia et sa compagne sont violées, puis leur domicile incendié. Réfugiée chez un ami, Joël, lui aussi homosexuel et pourchassé, elle décide de quitter son pays avec lui et Diana, une autre amie lesbienne.
« La liberté de me confier sur les viols que j’ai subis »
Arrivés à Paris, c’est grâce au réseau d’amis et d’associations LGBT, que Cynthia et ses compagnons d’exil trouvent un logement. Cynthia réalise alors qu’elle est enceinte, résultat des nombreux viols qu’elle a subis. « Je me sentais faible, j’ai dû faire un test, positif. On m’a demandé si je voulais garder l’enfant, mais ce n’était pas possible ! J’adore les enfants, mais c’était le fruit d’un viol. Ça me ramenait en arrière, à de douloureux souvenirs, car ce que j’ai vécu a été la pire expérience de ma vie. Je me sentais très mal. J’ai dit : " non, je ne peux pas avoir cet enfant ". Je me suis fait avorter. J’ai aussi fait tous les tests du sida, l’Hépatite B. Et tout va bien. »
« Là-bas on se tait, ici on apprend à parler librement »
Les premières semaines en France sont éprouvantes. « Au début c’était très dur. Mon pays me manquait, ici la langue était un problème, le climat, je me sentais totalement étrangère même si j’étais avec deux amis très proches, Joel et Diana. Je leur demandais : " Est-ce qu’on va y arriver ? Est-ce que ça va aller ? Comment faire confiance à des gens ici en France qu’on ne connaît pas ? " Et Joel me répondait toujours : " On va essayer, ne t’inquiète pas. " Mais au fond de moi, je n’étais pas rassurée. »
« Finalement, aujourd’hui, je n’ai plus peur du regard des autres. Alors qu’en Ouganda, il faut toujours avoir l’air d’aller bien. On ne révèle rien de nous-mêmes, tout est secret. C’est très difficile de pouvoir se confier à quelqu’un, de dire des choses très personnelles. Je n’ai pas osé dire à notre contact en France que j’étais enceinte, c’est mon ami Joel qui le lui a dit. C’est très difficile de dire à quelqu’un que vous connaissez à peine que vous avez été violée. En Ouganda, et dans d’autres pays d’Afrique, beaucoup de femmes sont violées, mais on ne dit rien. C’est quelque chose de honteux. C’est comme si on vous avait tout pris de votre être. Donc les femmes se taisent. Ça reste notre problème, on ne peut en parler à personne. Certains pourraient même nous dire qu’on l’a bien cherché. Ici, j’apprends à parler de tout cela, et cela devient moins douloureux que lorsqu’ on doit tout garder pour soi ».
« l’Ouganda me manque, mais ici je me sens en sécurité »
« Mes sentiments n’ont jamais changé : je suis Cynthia, je suis attirée par les femmes, cela n’a jamais changé. La seule chose qui a changé, c’est que je me sens en sécurité, et en confiance. Alors que dans mon pays, c’était mon secret. Je ne pouvais en parler à personne, même pas à ma propre sœur, pas même à une amie, jusqu’à ce que je rencontre Joel. Je me sens très bien maintenant en le disant, en l’affirmant ici en France. Là-bas en Ouganda, je n’en avais jamais parlé. Avant je me posais la question : " est-ce que quelqu’un pourrait remarquer que je suis lesbienne ? " Je me sentais très mal à l’aise ».
Les nouvelles de son pays ne sont pas bonnes. Le corps en France et l’esprit avec les siens, Cynthia s’inquiète de l’aggravation de ce que doivent endurer ses amis restés en Ouganda. « Je suis heureuse d’être en France, car la situation dans mon pays est catastrophique. Mais je me sens très mal pour mes amis qui sont là-bas en Ouganda, des gens comme moi, des homosexuels. Après l’adoption de la loi en Ouganda, c’est devenu très difficile pour les personnes LGBT dans leurs propres communautés. Tous les jours, des noms sont publiés dans les journaux, certains avec des photos. Cette semaine, une liste de 100 noms, la semaine dernière, 200 noms…, des militants, mais pas seulement. Si des gens remarquent le moindre détail qui peut laisser penser que vous êtes gay, ils vous battent, ils n’attendent pas de faire une déposition. Le peuple a le pouvoir maintenant avec cette loi, en toute impunité ».
« Vivre au jour le jour et apprendre le français »
« Je ne sais pas ce qui va se passer maintenant. J’essaye juste de me détendre. Je suis en sécurité, j’ai un endroit où dormir, l’association Lesbiennes sans frontières nous a beaucoup aidés. Elle nous donne des vêtements, des tickets de transport, des cours de français, elle nous met à disposition des personnes à qui on peut parler, se confier, et nous accompagner dans les démarches administratives et auprès de l’OFPRA [Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides, NDLR], pour notre demande d’asile. Ici, je me sens libre. Je vis au jour le jour, en attendant ma convocation à l’OFPRA. Mon projet maintenant c’est surtout d’apprendre le français. Ensuite, je pourrai continuer à avancer. En Ouganda, je suivais des cours de gestion hôtelière. J’adore cuisiner. Je voudrais suivre une formation dans ce domaine de l’hôtellerie. J’apprends vite, alors j’espère que je pourrais démarrer l’année prochaine, j’espère. »
Source : Rfi.fr
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