Le 20 mars 2022, le journal français L’Express mettait en ligne un article portant sur un entretien que lui a accordé le président de la République, M. Macky Sall. Le journaliste qui lui posait diverses questions rappelait au président de la République que ce dernier avait écrit dans son « autobiographie publiée avant la présidentielle de 2019, Le Sénégal au cœur » qu’il briguait alors son deuxième et dernier mandat.
Le président de la République lui répondit sous deux angles.
D’une part, le président affirma que, lorsqu’il soutenait, en 2019, qu’il se représentait pour la deuxième et dernière fois, il donnait alors une opinion qui correspondait à sa conviction du moment, laquelle a pu évoluer, et les circonstances ont pu l’amener à changer de position.
D’autre part, au plan juridique, le président de la République expliqua avoir été élu, en 2012, sur la base d’une Constitution qui prévoyait que le mandat du président est de sept ans.
En 2016, il a demandé au Conseil constitutionnel s’il était possible de prévoir dans le projet de nouvelle Constitution une réduction du mandat à cinq ans, laquelle serait applicable au mandat alors en cours. Selon le président, le Conseil constitutionnel a alors répondu que le « premier mandat était intangible et donc qu’il était hors de portée de la réforme ». D’après lui, cette réponse règle la question juridique et lui permet de se représenter aux élections présidentielles de 2024.
Avec tout le respect dû au président de la République, sa réponse est erronée, moralement et juridiquement.
Au plan moral, il est pour le moins surprenant qu’un chef d’État, gardien de la Constitution de son pays et du fonctionnement régulier des institutions (art. 42 de la Constitution), se prononce sur une question régie par cette loi fondamentale sur la base de son « opinion » ou de sa « conviction du moment ». De plus, il est moralement plus que douteux que ce chef d’État, qui détermine la politique de la Nation (art. 42 de la Constitution), affirme, à la face du monde, que ses convictions sont changeantes et qu’elles dépendent des circonstances. Cela signifie que sa vérité d’aujourd’hui n’est pas forcément celle de demain.
Au plan juridique, les six points qui suivent démontrent les erreurs manifestes qui se dégagent de la position exprimée par le président Macky Sall et qui constituent autant de vices rédhibitoires à toute possibilité de justification d’une tentative de violation de la loi fondamentale.
Premièrement, dans la décision du 12 février 2016 (n° 1/C/2016) invoquée par le président Macky Sall, le Conseil constitutionnel ne s’est pas prononcée sur le nombre de mandats tel que prévu par l’art. 27 de la Constitution. Ce sont les paragraphes 19 à 32 de cette décision qui ont porté sur l’analyse relative à l’art. 27. Or, cette partie de la décision, qui en constitue le point 2.2, est intitulée La durée du mandat du Président de la République. Le débat était donc clairement circonscrit à la question de la durée du mandat; il ne portait absolument pas sur le nombre de celui-ci. Cette décision du Conseil constitutionnel n’est donc d’aucun secours pour valider une troisième.
candidature à la présidence de la République.
Deuxièmement, dans sa réponse à la question du journaliste, invoquant toujours la décision du 12 février 2016, le président Macky Sall mentionne que le Conseil constitutionnel avait alors décidé que son « premier mandat était intangible et donc qu’il était hors de portée de la réforme ».
Bien que cette phrase reprenne un passage de la fin du paragraphe 30 de cette décision, il s’agit d’une dénaturation sans équivoque des propos du Conseil constitutionnel. La phrase exacte est ainsi articulée : « […] le mandat en cours au moment de l’entrée en vigueur de la loi de révision, par essence intangible, est hors de portée de la loi nouvelle ».
Le conseil constitutionnel prenait ainsi acte du fait qu’il y aurait une loi de révision, une loi nouvelle, donc une disposition différente de celle antérieure. Or, la mouture de l’art. 27 introduite par la Loi constitutionnelle n° 2016-10 du 05 avril 2016 portant révision de la Constitution ne diffère de la version précédente qu’en ce qui a trait à la durée du mandat (laquelle est réduite) mais n’en diffère aucunement quant au nombre de mandats.
En d’autres termes, depuis la Loi n° 2001-03 du 22 janvier 2001 portant Constitution, le nombre de mandats est resté inchangé, et ce, malgré les révisions constitutionnelles de 2008 (Loi constitutionnelle n° 2008-66 du 21 octobre 2008 modifiant la première phrase de l'alinéa premier de l'article 27 de la Constitution) et de 2016 qui ont modifié l’art. 27. Par conséquent, il n’y a pas de loi nouvelle, de loi de révision au regard du nombre de mandats qui aurait pu être concernée par la décision du Conseil constitutionnel. Le paragraphe 30 de cette décision n’est, à nouveau, d’aucun secours juridique pour le président de la République.
Troisièmement, sans égard à la décision du Conseil constitutionnel de 2016, le président Macky Sall a été élu sur la base d’une Constitution qui limitait ses mandats à deux et il a exercé ses deux mandats sur la base d’une Constitution qui les limite aussi à deux. Il ne peut donc invoquer aucun argument lié à la non-rétroactivité de la loi constitutionnelle puisque la disposition relative au nombre de mandats est restée inchangée.
Quatrièmement, plus que ses versions précédentes issues des réformes de 2001 et de 2008, la version actuelle de l’art. 27, qui est issue de la révision de 2016, distingue, d’une façon encore plus non équivoque, la durée du mandat et sa limitation. En effet, ces deux questions sont maintenant régies par des alinéas différents alors qu’elles étaient antérieurement amalgamées dans un même alinéa de l’art. 27. Ainsi, la disposition sur la durée du mandat est complètement autonome par rapport à celle portant sur sa durée et vice-versa. C’est d’ailleurs pourquoi, les deux mandats prévus s’exercent sans égard à leur durée cumulative.
Cinquièmement, lorsqu’elle entend édicter qu’une nouvelle disposition relative à l’art. 27 ne s’applique pas au mandat alors en cours, la Constitution l’exprime clairement. Par exemple, la révision de 2008, qui rallongeait le mandat présidentiel de 5 à 7 ans, avait expressément prévu que cette modification ne s’appliquait pas au mandat de 5 ans alors exercé par le président Abdoulaye Wade. Par conséquent, à l’instar du précédent de 2008, si la révision de 2016 entendait remettre les compteurs à zéro, elle l’aurait clairement exprimé.
Ceci est d’autant plus vrai que, dans l’exposé de ses motifs, la Loi constitutionnelle de 2016 mentionne les innovations qu’elle introduit. Parmi celles-ci figure clairement, au point 6, « la restauration du quinquennat pour le mandat présidentiel ». Aucune mention n’est faite quant au nombre de mandats parmi les nouveautés introduites. Cette Loi constitutionnelle s’est donc exprimée, de façon non équivoque, quant au fait qu’elle ne concerne pas le nombre de mandats du président de la République, lequel est réglé, sans discontinuité, par la version de l’art. 27 issue de la réforme constitutionnelle de 2001 et maintenue par les révisions de 2008 et de 2016.
Finalement, la lecture que le président de la République tente de promouvoir quant à la révision de 2016 repose sur une fiction juridique qui, pleinement exploitée, invaliderait toutes les décisions et toutes les actions qu’il a prises entre 2012 et 2019, et donc, par ricochet, son mandat actuel. En effet, si le premier mandat du président Macky Sall n’est pas comptabilisé malgré les termes clairs de l’art. 27 avant et après la révision de 2016, cela signifie que son premier mandat n’a jamais existé. Si tel est le cas, alors toutes les décisions et actions prises au courant de cette période, y compris les décrets concernant l’organisation des élections de 2019 et celui concernant la révision de 2016 sur laquelle il tente de se fonder pour se représenter en 2024, l’ont été sans aucun fondement juridique. Les conséquences d’une telle lecture sont donc considérablement négatives autant pour le Sénégal que pour lui-même.
Il revient maintenant au président de la République de respecter et de faire respecter la Constitution, de ne pas tenter de se représenter aux élections présidentielles de 2024.
[L’auteur est un citoyen sénégalais, juriste exerçant à l’étranger. Son anonymat est dû à sa volonté de ne pas causer d’incident diplomatique. Il s’exprime à titre personnel.]
Le président de la République lui répondit sous deux angles.
D’une part, le président affirma que, lorsqu’il soutenait, en 2019, qu’il se représentait pour la deuxième et dernière fois, il donnait alors une opinion qui correspondait à sa conviction du moment, laquelle a pu évoluer, et les circonstances ont pu l’amener à changer de position.
D’autre part, au plan juridique, le président de la République expliqua avoir été élu, en 2012, sur la base d’une Constitution qui prévoyait que le mandat du président est de sept ans.
En 2016, il a demandé au Conseil constitutionnel s’il était possible de prévoir dans le projet de nouvelle Constitution une réduction du mandat à cinq ans, laquelle serait applicable au mandat alors en cours. Selon le président, le Conseil constitutionnel a alors répondu que le « premier mandat était intangible et donc qu’il était hors de portée de la réforme ». D’après lui, cette réponse règle la question juridique et lui permet de se représenter aux élections présidentielles de 2024.
Avec tout le respect dû au président de la République, sa réponse est erronée, moralement et juridiquement.
Au plan moral, il est pour le moins surprenant qu’un chef d’État, gardien de la Constitution de son pays et du fonctionnement régulier des institutions (art. 42 de la Constitution), se prononce sur une question régie par cette loi fondamentale sur la base de son « opinion » ou de sa « conviction du moment ». De plus, il est moralement plus que douteux que ce chef d’État, qui détermine la politique de la Nation (art. 42 de la Constitution), affirme, à la face du monde, que ses convictions sont changeantes et qu’elles dépendent des circonstances. Cela signifie que sa vérité d’aujourd’hui n’est pas forcément celle de demain.
Au plan juridique, les six points qui suivent démontrent les erreurs manifestes qui se dégagent de la position exprimée par le président Macky Sall et qui constituent autant de vices rédhibitoires à toute possibilité de justification d’une tentative de violation de la loi fondamentale.
Premièrement, dans la décision du 12 février 2016 (n° 1/C/2016) invoquée par le président Macky Sall, le Conseil constitutionnel ne s’est pas prononcée sur le nombre de mandats tel que prévu par l’art. 27 de la Constitution. Ce sont les paragraphes 19 à 32 de cette décision qui ont porté sur l’analyse relative à l’art. 27. Or, cette partie de la décision, qui en constitue le point 2.2, est intitulée La durée du mandat du Président de la République. Le débat était donc clairement circonscrit à la question de la durée du mandat; il ne portait absolument pas sur le nombre de celui-ci. Cette décision du Conseil constitutionnel n’est donc d’aucun secours pour valider une troisième.
candidature à la présidence de la République.
Deuxièmement, dans sa réponse à la question du journaliste, invoquant toujours la décision du 12 février 2016, le président Macky Sall mentionne que le Conseil constitutionnel avait alors décidé que son « premier mandat était intangible et donc qu’il était hors de portée de la réforme ».
Bien que cette phrase reprenne un passage de la fin du paragraphe 30 de cette décision, il s’agit d’une dénaturation sans équivoque des propos du Conseil constitutionnel. La phrase exacte est ainsi articulée : « […] le mandat en cours au moment de l’entrée en vigueur de la loi de révision, par essence intangible, est hors de portée de la loi nouvelle ».
Le conseil constitutionnel prenait ainsi acte du fait qu’il y aurait une loi de révision, une loi nouvelle, donc une disposition différente de celle antérieure. Or, la mouture de l’art. 27 introduite par la Loi constitutionnelle n° 2016-10 du 05 avril 2016 portant révision de la Constitution ne diffère de la version précédente qu’en ce qui a trait à la durée du mandat (laquelle est réduite) mais n’en diffère aucunement quant au nombre de mandats.
En d’autres termes, depuis la Loi n° 2001-03 du 22 janvier 2001 portant Constitution, le nombre de mandats est resté inchangé, et ce, malgré les révisions constitutionnelles de 2008 (Loi constitutionnelle n° 2008-66 du 21 octobre 2008 modifiant la première phrase de l'alinéa premier de l'article 27 de la Constitution) et de 2016 qui ont modifié l’art. 27. Par conséquent, il n’y a pas de loi nouvelle, de loi de révision au regard du nombre de mandats qui aurait pu être concernée par la décision du Conseil constitutionnel. Le paragraphe 30 de cette décision n’est, à nouveau, d’aucun secours juridique pour le président de la République.
Troisièmement, sans égard à la décision du Conseil constitutionnel de 2016, le président Macky Sall a été élu sur la base d’une Constitution qui limitait ses mandats à deux et il a exercé ses deux mandats sur la base d’une Constitution qui les limite aussi à deux. Il ne peut donc invoquer aucun argument lié à la non-rétroactivité de la loi constitutionnelle puisque la disposition relative au nombre de mandats est restée inchangée.
Quatrièmement, plus que ses versions précédentes issues des réformes de 2001 et de 2008, la version actuelle de l’art. 27, qui est issue de la révision de 2016, distingue, d’une façon encore plus non équivoque, la durée du mandat et sa limitation. En effet, ces deux questions sont maintenant régies par des alinéas différents alors qu’elles étaient antérieurement amalgamées dans un même alinéa de l’art. 27. Ainsi, la disposition sur la durée du mandat est complètement autonome par rapport à celle portant sur sa durée et vice-versa. C’est d’ailleurs pourquoi, les deux mandats prévus s’exercent sans égard à leur durée cumulative.
Cinquièmement, lorsqu’elle entend édicter qu’une nouvelle disposition relative à l’art. 27 ne s’applique pas au mandat alors en cours, la Constitution l’exprime clairement. Par exemple, la révision de 2008, qui rallongeait le mandat présidentiel de 5 à 7 ans, avait expressément prévu que cette modification ne s’appliquait pas au mandat de 5 ans alors exercé par le président Abdoulaye Wade. Par conséquent, à l’instar du précédent de 2008, si la révision de 2016 entendait remettre les compteurs à zéro, elle l’aurait clairement exprimé.
Ceci est d’autant plus vrai que, dans l’exposé de ses motifs, la Loi constitutionnelle de 2016 mentionne les innovations qu’elle introduit. Parmi celles-ci figure clairement, au point 6, « la restauration du quinquennat pour le mandat présidentiel ». Aucune mention n’est faite quant au nombre de mandats parmi les nouveautés introduites. Cette Loi constitutionnelle s’est donc exprimée, de façon non équivoque, quant au fait qu’elle ne concerne pas le nombre de mandats du président de la République, lequel est réglé, sans discontinuité, par la version de l’art. 27 issue de la réforme constitutionnelle de 2001 et maintenue par les révisions de 2008 et de 2016.
Finalement, la lecture que le président de la République tente de promouvoir quant à la révision de 2016 repose sur une fiction juridique qui, pleinement exploitée, invaliderait toutes les décisions et toutes les actions qu’il a prises entre 2012 et 2019, et donc, par ricochet, son mandat actuel. En effet, si le premier mandat du président Macky Sall n’est pas comptabilisé malgré les termes clairs de l’art. 27 avant et après la révision de 2016, cela signifie que son premier mandat n’a jamais existé. Si tel est le cas, alors toutes les décisions et actions prises au courant de cette période, y compris les décrets concernant l’organisation des élections de 2019 et celui concernant la révision de 2016 sur laquelle il tente de se fonder pour se représenter en 2024, l’ont été sans aucun fondement juridique. Les conséquences d’une telle lecture sont donc considérablement négatives autant pour le Sénégal que pour lui-même.
Il revient maintenant au président de la République de respecter et de faire respecter la Constitution, de ne pas tenter de se représenter aux élections présidentielles de 2024.
[L’auteur est un citoyen sénégalais, juriste exerçant à l’étranger. Son anonymat est dû à sa volonté de ne pas causer d’incident diplomatique. Il s’exprime à titre personnel.]