Défense russe: Bélooussov prend de l’espace, l’étoile de Choïgou pâlit de plus en plus

C'est une première pour le nouveau titulaire du portefeuille nommé par surprise par Vladimir Poutine ce printemps. Andreï Belooussov a été montré dans les médias russes mercredi 11 septembre en uniforme dans une vidéo qui le présente comme « dans la zone de l'opération spéciale ». Des images étonnantes pour un économiste de formation dont il avait été dit jusqu'ici que son rôle n'aurait rien à voir avec le domaine militaire, et qui apparaît au moment où son prédécesseur est de plus en plus affaibli.



Une vidéo qui apparaît sans annonce préalable, quelques minutes dont certaines totalement sans son dans lesquelles le ministre de la Défense est montré, recevant des rapports sur l’état des forces dans la zone de combat. Ces images du service communication du ministère sont une figure éprouvée sur le petit écran russe depuis le début de la guerre. Sauf que ce mercredi, il s’agissait du tout nouveau titulaire du poste, à la rencontre, toujours selon les sources officielles russes, du groupe armé « ouest », soit celui présent dans les terres ukrainiennes de Louhansk et Kharkiv. Andreï Belooussov - qui partage totalement la vision du monde de Vladimir Poutine - n’a jamais été militaire, est un économiste de formation, mais on le devine sur ces images, fier de remettre des médailles aux soldats russes.
 
Pour prendre la mesure de l’étape importante que représentent ces images, il faut avoir en tête que depuis sa nomination surprise le 12 mai dernier, on a vu Andreï Belooussov une seule fois revêtu du kaki caractéristique de l'armée russe : trois semaines environ après sa nomination, lors d'une réunion du conseil de sécurité télévisée et présidée par Vladimir Poutine.
 
Était-ce trop tôt ?  En tout cas, cette apparition en tenue militaire avait alors donné lieu à une forme de rétropédalage de communication. Elle avait ainsi été décrite avec étonnement dans les médias russes. Surtout que Belooussov présentait alors les attributs d'un très haut gradé.
 
L'agence Tass avait très vite donné cette précision : « Belooussov n'a pas été promu général. Le nouveau chef du ministère de la Défense conserve son grade civil ». Seconde précision de l'agence d'état qui n'a évidemment rien d'un détail : « Son prédécesseur à ce poste, Sergueï Choïgou, a lui au contraire le grade militaire de général d'armée. Il l'a obtenu lorsqu'il était à la tête du ministère des Situations d'urgence, le 7 mai 2003, soit exactement trois ans après sa première investiture par Vladimir Poutine ».
 
Cité par le média Lenta.ru, l'expert militaire et politologue Alexei Zhivov, avait lui enfoncé le clou : « Il y a clairement une distinction entre le ministre de la Défense et le chef d'état-major. Autrement dit, le ministre de la Défense est la personne chargée de fournir à l'armée des équipements et des moyens scientifiques. Il visite des usines, passe des contrats et surveiller l'introduction de nouvelles technologies dans l'armée. Il s’agit d’un domaine plus technique, scientifique, industriel que militaire. C'est précisément là que Belooussov est très fort en tant que responsable technique expérimenté. Il sera impliqué dans le réarmement de l'armée et la lutte contre la bureaucratie, et le chef d'état-major sera entièrement responsable de la composante militaire ».
 
Pourquoi ce changement de pied ? Difficile à dire, mais cet affichage de montée en puissance s’accompagne en tout cas en parallèle d’un affaiblissement continu des réseaux de son prédécesseur au sein du ministère de la Défense russe. C’est du jamais vu, depuis mi-avril, soit en à peine cinq mois, une dizaine de généraux et responsables du ministère de la Défense ont été poursuivis dans des affaires de fraude et de corruption ou directement placés en détention. Ces décisions émanent toutes du Comité d’enquête, un organe puissant dépendant directement du Kremlin. Il n’y a donc aucune place pour le doute : la totalité de ses décisions est prise avec l'aval ou sous l'impulsion directe du sommet du pouvoir.
 
Aux yeux de toute la Russie, Sergueï Choïgou est donc désormais devenu l'homme qui ne peut même plus défendre les siens contre ce qui a pris des allures de purges.
 
Longtemps visiblement très proche de Vladimir Poutine - leurs photos communes torse nu en vacances dans l’Altaï ont fait le tour du monde -, Sergueï Choïgou avait déjà disparu des images du cercle proche du chef de l’État russe depuis le printemps 2022, quand il est devenu évident que « l’opération spéciale » ne prenait pas du tout le tour que le sommet du pouvoir avait anticipé en lançant ses soldats à l’assaut de l’Ukraine. Comme s’il fallait bien afficher un responsable aux yeux du public russe.
 
Les signes de distance n’ont d’ailleurs jamais cessé.  Le dernier date du lundi 2 septembre. Pour ce jour de rentrée des classes où il se rend toujours dans une école pour la leçon inaugurale, Vladimir Poutine avait choisi Touva, le fief de Sergueï Choïgou. Mais le chef de l’État russe s’y est rendu sans lui. Le geste n’est évidemment pas passé inaperçu.
 
Le président russe est connu pour répugner à se séparer de ses proches, et pour l’instant Sergueï Choïgou est épargné par les purges. Il occupe même le poste prestigieux de secrétaire du Conseil de sécurité. Ce mardi, c’est à ce titre qu’il a donné une rare interview à la télévision, y révélant notamment aux yeux du public russe l’existence de pourparlers au Qatar pour un cessez-le-feu afin de mettre fin aux frappes sur les infrastructures énergétiques et électriques des deux côtés, des pourparlers interrompus par l’incursion ukrainienne dans la région de Koursk. Il s’est dans la foulée fait étriller par les blogueurs Z, dont beaucoup ont crié à la « trahison », souvent dans des termes très durs. Comme à l’époque où, déjà impuissant, il devait subir les diatribes de plus en plus violentes d’Evgéni Prigojine.

RFI

Jeudi 12 Septembre 2024 10:46


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