Encore une fois, notre homme a horreur de déléguer. C’est plus fort que lui ! Il avait nommé des Premiers ministres mais dès qu’ils ont commencé à prendre de la bouteille, dès qu’il a entendu parler d’eux dans les médias, dès qu’il a vu deux ou trois fois leur tronche à la Télé — surtout sa Télé brejnévienne de la RTS —, il les a virés à tour de rôle. Puis, ce supplice de l’existence d’un Premier ministre lui étant insupportable, eh bien il a fini tout simplement par supprimer la fonction ! Résultat : au nom d’un illusoire « fast-track » et d’une accélération du traitement des dossiers, il s’est attribué les prérogatives du Premier ministre.
En plus de celles, redoutables et tentaculaires, qui étaient déjà les siennes. Bien entendu, c’est tout le contraire qui s’est produit, à savoir un goulot d’étranglement à la présidence de la République où les dossiers s’accumulent, où les procédures s’enlisent, où les décisions se font attendre. De « fast-track », on est passé depuis longtemps à un « slow-track » plus lent encore que le caméléon. Car en plus de vouloir tout décider, tout faire, trop embrasser, et donc, en définitive, ne rien faire du tout car étreignant mal au niveau de l’Etat, notre bon Président est aussi le Chef du parti !
Et là également, il lui faut s’occuper de tout y compris décider de qui doit être investi à quelle position sur les listes de la plus importante de nos communes, celle de Dakar, à la plus isolée au diable Vauvert là-bas. Puis voir comment consoler les recalés de ces listes, gérer les mécontents, leur trouver des sucettes de consolation, voire menacer ceux d’entre eux qui seraient tentés d’aller voir ailleurs.
Tout cela, évidemment, demande beaucoup de temps et d’efforts de la part d’un seul homme qui n’est pas un démiurge quand même ! Un homme qui, surtout, ne travaille pas 24/24 heures et doit forcément dormir. Sans compter que notre homme est un grand voyageur… Pour dire que le traitement des dossiers en souffre forcément.
Ah, on oubliait, au niveau de son parti également, notre homme ne délègue pas. C’est bien simple d’ailleurs : ce parti, depuis qu’il a été créé, n’a jamais été structuré. Il n’y a qu’un seul Chef, notre homme. Ne lui parlez surtout pas de numéros deux ou trois voire quatre. Il n’y a qu’un numéro 1, un Général, et puis des soldats qui obéissent sans hésitation ni murmure. Et qui s’exécutent au quart de tour. Quand il y a des élections locales ou législatives, non seulement les militants du Parti mais aussi ceux des formations alliées lui donnent carte blanche pour décider. On vous disait que ce n’est plus un parti, espace de débats démocratiques par excellence, mais une caserne !
Au lendemain de la présidentielle de 2019 — au cours de laquelle il avait été à la fois son propre directeur de campagne et son propre trésorier —, il avait convié la Nomenklatura et la haute hiérarchie des partis qui l’avaient soutenu au siège de l’APR, son parti, et tenu un long discours au terme duquel notre homme avait tourné les talons sans donner la parole à qui que ce soit. Devant les critiques, il s’était résolu à transférer les réunions de son parti à son siège mais les vieilles habitudes ont vite repris le dessus : depuis quelques mois, c’est au palais de la République qu’il reçoit les transhumants venus faire allégeance…
On pourrait multiplier les exemples de concentration des pouvoirs — ou de fausses délégations — à l’envi. Ainsi, c’est un secret de Polichinelle que, depuis 2012, le véritable ministre de l’Intérieur, c’est le président de la République lui-même. Lui qui siège par procuration Place Washington et qui télécommande là-bas. Il a été ministre de l’Intérieur et pense en connaître plus que n’importe quel Tartempion qu’il nommerait au poste de premier flic. C’est bien simple d’ailleurs : il y envoie en général des clones.
C’est aussi bien connu que le véritable ministre des Finances, c’est lui. Il arbitre les paiements aux fournisseurs, décide de qui doit être payé en priorité, de qui devra attendre, de qui devra faire son deuil de son argent. De toutes façons, l’actuel titulaire du poste, c’est sa réplique jusqu’à la caricature. Ministre de Forces armées et ministre des Affaires étrangères, Macky Sall l’est aussi mais là, c’est normal puisque, dans beaucoup de démocraties, ces deux secteurs relèvent du domaine réservé du président de la République.
Gageons que même si tel n’était pas le cas, Macky n’aurait pas partagé ces prérogatives-là aussi. Plus généralement, d’ailleurs, ses ministres ne sont que des meubles : le Président s’adresse à leurs directeurs par-dessus leur tête ! En tout cas, il n’y a qu’une seule personne qui prend les décisions importantes dans le Gouvernement : lui.
Ah, on allait aussi oublier de dire que l’actuel président de la République concurrence aussi son propre chef de cabinet puisque, même pour aller présenter des condoléances, il refuse de déléguer. C’est lui-même qui y va de peur qu’à force d’envoyer son chef de cabinet porter des « diakhals », il ne finisse par lui faire de l’ombre ! « Voyez-vous, M. Ndiaye, je suis très structuré : les gens pensent que j’ai donné tous les pouvoirs à Tanor mais ce n’est qu’une apparence. En réalité, je lui ai effectivement délégué mes pouvoirs au sein du parti dont il est le Premier secrétaire. Au niveau de l’Etat, j’ai délégué mes pouvoirs au Premier ministre Habib Thiam. Si vous voyez d’ailleurs, j’ai structuré le parti sur le modèle du Gouvernement avec des secrétaires correspondant à peu près à des ministères. Et moi, je supervise tout… » me confiait un jour le président Abdou Diouf.
Il devrait en souffler mot à son disciple Macky Sall, qui, lui, accapare tout et gère directement aussi bien le Parti que l’Etat. Encore heureux qu’il ne soit pas, en plus, le Commandeur des croyants comme le roi du Maroc. Qui lui au moins, il est vrai, a la délicatesse de maintenir une fiction de Premier ministre et des illusions de partis politiques même si on sait que là-bas, c’est le Makhzen qui décide de tout. Et possède tout…
Par Mamadou Oumar Ndiaye
En plus de celles, redoutables et tentaculaires, qui étaient déjà les siennes. Bien entendu, c’est tout le contraire qui s’est produit, à savoir un goulot d’étranglement à la présidence de la République où les dossiers s’accumulent, où les procédures s’enlisent, où les décisions se font attendre. De « fast-track », on est passé depuis longtemps à un « slow-track » plus lent encore que le caméléon. Car en plus de vouloir tout décider, tout faire, trop embrasser, et donc, en définitive, ne rien faire du tout car étreignant mal au niveau de l’Etat, notre bon Président est aussi le Chef du parti !
Et là également, il lui faut s’occuper de tout y compris décider de qui doit être investi à quelle position sur les listes de la plus importante de nos communes, celle de Dakar, à la plus isolée au diable Vauvert là-bas. Puis voir comment consoler les recalés de ces listes, gérer les mécontents, leur trouver des sucettes de consolation, voire menacer ceux d’entre eux qui seraient tentés d’aller voir ailleurs.
Tout cela, évidemment, demande beaucoup de temps et d’efforts de la part d’un seul homme qui n’est pas un démiurge quand même ! Un homme qui, surtout, ne travaille pas 24/24 heures et doit forcément dormir. Sans compter que notre homme est un grand voyageur… Pour dire que le traitement des dossiers en souffre forcément.
Ah, on oubliait, au niveau de son parti également, notre homme ne délègue pas. C’est bien simple d’ailleurs : ce parti, depuis qu’il a été créé, n’a jamais été structuré. Il n’y a qu’un seul Chef, notre homme. Ne lui parlez surtout pas de numéros deux ou trois voire quatre. Il n’y a qu’un numéro 1, un Général, et puis des soldats qui obéissent sans hésitation ni murmure. Et qui s’exécutent au quart de tour. Quand il y a des élections locales ou législatives, non seulement les militants du Parti mais aussi ceux des formations alliées lui donnent carte blanche pour décider. On vous disait que ce n’est plus un parti, espace de débats démocratiques par excellence, mais une caserne !
Au lendemain de la présidentielle de 2019 — au cours de laquelle il avait été à la fois son propre directeur de campagne et son propre trésorier —, il avait convié la Nomenklatura et la haute hiérarchie des partis qui l’avaient soutenu au siège de l’APR, son parti, et tenu un long discours au terme duquel notre homme avait tourné les talons sans donner la parole à qui que ce soit. Devant les critiques, il s’était résolu à transférer les réunions de son parti à son siège mais les vieilles habitudes ont vite repris le dessus : depuis quelques mois, c’est au palais de la République qu’il reçoit les transhumants venus faire allégeance…
On pourrait multiplier les exemples de concentration des pouvoirs — ou de fausses délégations — à l’envi. Ainsi, c’est un secret de Polichinelle que, depuis 2012, le véritable ministre de l’Intérieur, c’est le président de la République lui-même. Lui qui siège par procuration Place Washington et qui télécommande là-bas. Il a été ministre de l’Intérieur et pense en connaître plus que n’importe quel Tartempion qu’il nommerait au poste de premier flic. C’est bien simple d’ailleurs : il y envoie en général des clones.
C’est aussi bien connu que le véritable ministre des Finances, c’est lui. Il arbitre les paiements aux fournisseurs, décide de qui doit être payé en priorité, de qui devra attendre, de qui devra faire son deuil de son argent. De toutes façons, l’actuel titulaire du poste, c’est sa réplique jusqu’à la caricature. Ministre de Forces armées et ministre des Affaires étrangères, Macky Sall l’est aussi mais là, c’est normal puisque, dans beaucoup de démocraties, ces deux secteurs relèvent du domaine réservé du président de la République.
Gageons que même si tel n’était pas le cas, Macky n’aurait pas partagé ces prérogatives-là aussi. Plus généralement, d’ailleurs, ses ministres ne sont que des meubles : le Président s’adresse à leurs directeurs par-dessus leur tête ! En tout cas, il n’y a qu’une seule personne qui prend les décisions importantes dans le Gouvernement : lui.
Ah, on allait aussi oublier de dire que l’actuel président de la République concurrence aussi son propre chef de cabinet puisque, même pour aller présenter des condoléances, il refuse de déléguer. C’est lui-même qui y va de peur qu’à force d’envoyer son chef de cabinet porter des « diakhals », il ne finisse par lui faire de l’ombre ! « Voyez-vous, M. Ndiaye, je suis très structuré : les gens pensent que j’ai donné tous les pouvoirs à Tanor mais ce n’est qu’une apparence. En réalité, je lui ai effectivement délégué mes pouvoirs au sein du parti dont il est le Premier secrétaire. Au niveau de l’Etat, j’ai délégué mes pouvoirs au Premier ministre Habib Thiam. Si vous voyez d’ailleurs, j’ai structuré le parti sur le modèle du Gouvernement avec des secrétaires correspondant à peu près à des ministères. Et moi, je supervise tout… » me confiait un jour le président Abdou Diouf.
Il devrait en souffler mot à son disciple Macky Sall, qui, lui, accapare tout et gère directement aussi bien le Parti que l’Etat. Encore heureux qu’il ne soit pas, en plus, le Commandeur des croyants comme le roi du Maroc. Qui lui au moins, il est vrai, a la délicatesse de maintenir une fiction de Premier ministre et des illusions de partis politiques même si on sait que là-bas, c’est le Makhzen qui décide de tout. Et possède tout…
Par Mamadou Oumar Ndiaye