Des fissures dans le modèle suisse

es années 2000 se terminent dans une sorte de panique : nous prenons conscience que nous ne pourrons plus prolonger le statu quo parce qu'il nous laisse sans alliés et sans moyens d'action, mais nous ne savons pas quelle autre direction prendre." Fin juillet, Joëlle Kuntz, historienne et éditorialiste au journal Le Temps, dressait ainsi le constat d'une Suisse qui se sentait isolée, qui avait raté le train de l'Union européenne (UE), et se retrouvait dépourvue d'amis.



Votation anti-minarets, affaire Polanski, levée partielle du secret bancaire : la Suisse, le pays qu'on disait un paradis, est en proie aux doutes. (Photo: AP)
La votation contre la construction de minarets, dimanche 29 novembre, ne devrait pas arranger les choses. Depuis quelques jours, le petit pays de 7,7 millions d'habitants est propulsé à la "une" des médias internationaux, relançant le débat sur le radicalisme islamique en Europe. Les droites populistes applaudissent, mais les critiques fusent. Certaines visent l'essence même de la Suisse, la démocratie directe. L'eurodéputé Vert Daniel Cohn-Bendit a ainsi invité tout simplement les Suisses à revoter, alors que le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, les exhorte à "faire marche arrière dans les plus brefs délais, sur cette erreur".

Une fois encore, la Suisse a le sentiment de se retrouver seule contre tous. Aujourd'hui, c'est son système politique qui est en cause. Il y a quelques mois, c'était son système fiscal. Après avoir refusé, durant des décennies, de collaborer avec les pays étrangers en matière d'évasion d'impôts (sous prétexte que cette infraction n'est pas pénale en droit helvétique), le gouvernement a accepté en mars de se plier à l'échange d'informations sur demande. En une semaine, un pan entier du secret bancaire est tombé, sous la pression des pays du G20, ce nouveau club international auquel la Suisse n'est pas conviée, malgré le dynamisme de son économie. Quelques mois auparavant, le scandale fiscal déclenché par les pratiques jugées frauduleuses de la première banque du pays, UBS, avait déjà créé les conditions de ce qui a été perçu comme une attaque en règle contre la place financière helvétique.

En matière de politique étrangère, la Suisse est également apparue tétanisée face au clan Kadhafi, qui, depuis l'été 2008, cherche à laver l'honneur de la famille, bafoué après l'interpellation à Genève du fils du colonel, Hannibal, inculpé pour avoir infligé des lésions corporelles graves sur ses domestiques. Mardi 1er décembre, les deux Suisses retenus depuis plus d'un an à Tripoli en guise de représailles ont été condamnés à seize mois de prison pour violation des règles de visas. Et ce malgré les excuses présentées à Tripoli cet été par le président de la Confédération helvétique, Hans-Rudolf Merz. Le pays s'est senti isolé, alors que le dirigeant libyen, Mouammar Kadhafi, qui a demandé à plusieurs reprises "le démantèlement" de la Suisse, réintègre peu à peu la communauté internationale.

Enfin, dans un tout autre genre, Berne se serait sans doute bien passée de l'arrestation de Roman Polanski, le 26 septembre, à Zurich. Alors que le cinéaste franco-polonais était invité à un festival de cinéma, un fonctionnaire helvétique a signalé aux autorités américaines son arrivée prochaine sur le territoire suisse, déclenchant la procédure d'arrestation. Un geste isolé, qui avait conforté la caricature d'une Suisse zélée et délatrice.
Source: Le Monde

Le Monde

Mercredi 2 Décembre 2009 18:03


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