Des membres de la communauté Tidiane ont porté plainte contre le prêcheur Oumar Sall, arrêté depuis le 15 novembre 2023. Ils lui reprochent ce qu’ils considèrent comme des attaques contre leur voie soufie. Qui a tort, qui a raison n’est pas de ma compétence.
Cependant, profitant du renvoi de ce procès, je demande en toute modestie (et tardivement, j’avoue) aux protagonistes de bien mesurer la portée de leur action. A les entendre, des arguments religieux sont le soubassement de cette querelle, tant pour les plaignants que pour l’accusé.
En effet, si on dépasse les déclarations immédiates qui fondent ces plaintes, il est évident que le fond du problème est ailleurs. La discussion sur le Tasawuf dure depuis des siècles. Pendant longtemps, au Sénégal, elle a été limitée dans des cercles très restreints de quelques élites musulmanes et elle n’a pas prospéré du fait de la distribution de l’écrasante majorité des musulmans dans les confréries. Mais elle n’était pas absente et Mame Penda Bâ de l’UGB rappelle la lutte «contre les trois ennemis de la religion, le maraboutisme, le colonialisme et le capitalisme» menée des jeunes Ouestafricains partis étudier, dans les années 50, dans des universités arabes et qui sont revenus nourris par la Salafiya pour «prôner un islam rigoureux, débarrassé́ des innovations confrériques» (Cahiers d’études africaines).
Aujourd’hui, et surtout depuis 1978 avec la création de la Jamatou Ibadou Rahman, on a droit à une discussion ouverte qui se fait dans tout l’espace médiatique, et en particulier dans les réseaux sociaux où le débat se fait violement parfois, mais rarement en face-à-face. De fait, le différend porte moins sur les déclarations du prêcheur, que sur la conformité du Tasawuf ou des tarikha avec le Coran et la Sunah. Les réponses sont radicales et, pour autant que l’ignorant que je suis peut en juger, irréconciliables. Et c’est la raison pour laquelle, il faut savoir raison garder pour ne pas créer une jurisprudence qui peut déstabiliser en profondeur les relations entre des personnes de même religion.
Peu m’importe laquelle. En effet, en quelle capacité un tribunal, émanant d’un Constitution qui pose la laïcité comme socle de nos Institutions, peut-il, valablement trancher un conflit dont l’argumentaire repose essentiellement sur des versets du Coran et des hadiths du Prophète de l’Islam ? Aucun juge catholique, musulman appartenant ou non à une tarikha ne devrait être mis dans une situation de créer une jurisprudence interprétant des textes religieux pour légitimer ou délégitimer une pratique religieuse, comme, ici, les tarikha, car au fond, encore une fois, c’est de cela dont il s’agit. Aucun pays laïc ne considère les livres religieux comme des sources de droit, même si, évidemment, des lois faites par des hommes et des femmes vivant en société, peuvent avoir des connotations culturelles, morales ou religieuses selon les pays (par exemple. le Code de la Famille du Sénégal).
Récemment, des milieux français perçus comme généralement islamophobes, et en particulier, plusieurs chroniqueurs d’une chaîne privée française d’information ont carrément salivé de plaisir en espérant, qu’enfin, un juge français allait créer une jurisprudence en se permettant de mesurer la conformité d’un hadith du Prophète de l’Islam avec la loi française ! En effet, dans l’atmosphère autour du conflit israélien, un juge français a condamné, le 2 novembre dernier, l’imam de la mosquée de Beaucaire pour avoir posté sur sa page Facebook un hadith qui serait des propos du prophète de l’Islam : «Vous combattrez les juifs et aurez le dessus sur eux de sorte que la pierre dira : ô musulman ! Voici un juif caché derrière moi, viens le tuer». Après une comparution immédiate, le tribunal correctionnel de Nîmes l’a condamné à huit mois de prison avec sursis, assorti d’une interdiction d’exercer la fonction d’imam pendant un an. Il a également été inscrit sur le fichier des auteurs d’infractions terroristes et sera inéligible pendant une année. Tout cela pour avoir posté ce texte dont il dira d’ailleurs qu’il n’avait pas compris le sens. Il a fait appel et il ne serait pas étonnant qu’un jour la Cour de Cassation en France ne se penche sur cette question. En établissant que ce hadith n’est pas conforme à la loi française, le tribunal n’a-t-il pas déclarer illégal un texte religieux ?
Et si la spirale continue, il ne faut pas s’étonner que les tenants du «L’islam est incompatible avec la France», n’encourage des ultra islamophobes de demander, au nom de je ne sais quel «droit», à un tribunal de condamner une personne pour lecture ou citation d’un verset du Coran qu’ils jugeront incompatibles avec les lois françaises ! Heureusement, sur cette même terre d’Europe, ce 7 décembre, le Danemark a adopté jeudi une loi interdisant les autodafés de textes religieux, y compris donc la Bible, le Coran et la Thora pour ne citer que ces trois. Est-ce que cette dérive en France est souhaitable pour le Sénégal. A ce titre, l’Eglise sénégalaise a trouvé une parade efficace pour régler, entre frères et sœurs d’une même religion, les différends avec le Tribunal interdiocésain de Thiès.
Cette entité «n’a aucune force contraignante mais peut prononcer des sanctions morales, telles que excommunication, la censure et l’interdiction» après une audiences à huis clos, avec des plaidoiries écrites. A noter que la présence à la barre des parties en conflit n’est pas obligatoire. Ses membres prêtent serment d’accomplir «leurs tâches avec zèle, en suivant et en favorisant la discipline commune de toute l’Église, et en maintenant l’observance de toutes les lois ecclésiastiques, surtout de celles qui sont contenues dans le Code de Droit canonique».
En vérité, et heureusement pour l’Eglise du Sénégal, «l’essentiel de l’activité dudit Tribunal traite le plus souvent des questions liées au mariage», assure le site du Diocèse de Thiès. Evidemment, considérant une telle structure, même mutatis mutandis, ne peut prospérer dans la religion islamique. Encore que si on considère certaines confréries, tout écart par rapport à la doctrine entraine un rappel à l’ordre dans les formes voulues par l’autorité garante de l’orthodoxie de la voie. Bref, est-il trop tard de faire application de l’article 35 du CPP sur la médiation ? Si oui, il serait souhaitable, la loi le permet, que le deux parties s’entendent pour éteindre ce procès et trouver une voie de médiation pour réparer les préjudices, si préjudice il y a.
Au fond quand un musulman se sent offensé par un musulman, «Baal ma book» règle souvent le problème. Même si la personne qui demande pardon peut avoir la conviction qu’elle n’a offensé personne. Épargnez le Juge de s’adonner à ce qui n’est pas son rôle. Sauf à considérer, contre toute évidence me semble-il, que la défense et la partie civile ne sont pas dans une dispute doctrinaire comme l’Islam en a toujours eu, dès le lendemain du décès du son Prophète, quand les musulmans riches se sont immédiatement réunis pour prononcer la caducité de la Zakat comme obligation !
Par Ass Mademba Ndiaye (journaliste)
Cependant, profitant du renvoi de ce procès, je demande en toute modestie (et tardivement, j’avoue) aux protagonistes de bien mesurer la portée de leur action. A les entendre, des arguments religieux sont le soubassement de cette querelle, tant pour les plaignants que pour l’accusé.
En effet, si on dépasse les déclarations immédiates qui fondent ces plaintes, il est évident que le fond du problème est ailleurs. La discussion sur le Tasawuf dure depuis des siècles. Pendant longtemps, au Sénégal, elle a été limitée dans des cercles très restreints de quelques élites musulmanes et elle n’a pas prospéré du fait de la distribution de l’écrasante majorité des musulmans dans les confréries. Mais elle n’était pas absente et Mame Penda Bâ de l’UGB rappelle la lutte «contre les trois ennemis de la religion, le maraboutisme, le colonialisme et le capitalisme» menée des jeunes Ouestafricains partis étudier, dans les années 50, dans des universités arabes et qui sont revenus nourris par la Salafiya pour «prôner un islam rigoureux, débarrassé́ des innovations confrériques» (Cahiers d’études africaines).
Aujourd’hui, et surtout depuis 1978 avec la création de la Jamatou Ibadou Rahman, on a droit à une discussion ouverte qui se fait dans tout l’espace médiatique, et en particulier dans les réseaux sociaux où le débat se fait violement parfois, mais rarement en face-à-face. De fait, le différend porte moins sur les déclarations du prêcheur, que sur la conformité du Tasawuf ou des tarikha avec le Coran et la Sunah. Les réponses sont radicales et, pour autant que l’ignorant que je suis peut en juger, irréconciliables. Et c’est la raison pour laquelle, il faut savoir raison garder pour ne pas créer une jurisprudence qui peut déstabiliser en profondeur les relations entre des personnes de même religion.
Peu m’importe laquelle. En effet, en quelle capacité un tribunal, émanant d’un Constitution qui pose la laïcité comme socle de nos Institutions, peut-il, valablement trancher un conflit dont l’argumentaire repose essentiellement sur des versets du Coran et des hadiths du Prophète de l’Islam ? Aucun juge catholique, musulman appartenant ou non à une tarikha ne devrait être mis dans une situation de créer une jurisprudence interprétant des textes religieux pour légitimer ou délégitimer une pratique religieuse, comme, ici, les tarikha, car au fond, encore une fois, c’est de cela dont il s’agit. Aucun pays laïc ne considère les livres religieux comme des sources de droit, même si, évidemment, des lois faites par des hommes et des femmes vivant en société, peuvent avoir des connotations culturelles, morales ou religieuses selon les pays (par exemple. le Code de la Famille du Sénégal).
Récemment, des milieux français perçus comme généralement islamophobes, et en particulier, plusieurs chroniqueurs d’une chaîne privée française d’information ont carrément salivé de plaisir en espérant, qu’enfin, un juge français allait créer une jurisprudence en se permettant de mesurer la conformité d’un hadith du Prophète de l’Islam avec la loi française ! En effet, dans l’atmosphère autour du conflit israélien, un juge français a condamné, le 2 novembre dernier, l’imam de la mosquée de Beaucaire pour avoir posté sur sa page Facebook un hadith qui serait des propos du prophète de l’Islam : «Vous combattrez les juifs et aurez le dessus sur eux de sorte que la pierre dira : ô musulman ! Voici un juif caché derrière moi, viens le tuer». Après une comparution immédiate, le tribunal correctionnel de Nîmes l’a condamné à huit mois de prison avec sursis, assorti d’une interdiction d’exercer la fonction d’imam pendant un an. Il a également été inscrit sur le fichier des auteurs d’infractions terroristes et sera inéligible pendant une année. Tout cela pour avoir posté ce texte dont il dira d’ailleurs qu’il n’avait pas compris le sens. Il a fait appel et il ne serait pas étonnant qu’un jour la Cour de Cassation en France ne se penche sur cette question. En établissant que ce hadith n’est pas conforme à la loi française, le tribunal n’a-t-il pas déclarer illégal un texte religieux ?
Et si la spirale continue, il ne faut pas s’étonner que les tenants du «L’islam est incompatible avec la France», n’encourage des ultra islamophobes de demander, au nom de je ne sais quel «droit», à un tribunal de condamner une personne pour lecture ou citation d’un verset du Coran qu’ils jugeront incompatibles avec les lois françaises ! Heureusement, sur cette même terre d’Europe, ce 7 décembre, le Danemark a adopté jeudi une loi interdisant les autodafés de textes religieux, y compris donc la Bible, le Coran et la Thora pour ne citer que ces trois. Est-ce que cette dérive en France est souhaitable pour le Sénégal. A ce titre, l’Eglise sénégalaise a trouvé une parade efficace pour régler, entre frères et sœurs d’une même religion, les différends avec le Tribunal interdiocésain de Thiès.
Cette entité «n’a aucune force contraignante mais peut prononcer des sanctions morales, telles que excommunication, la censure et l’interdiction» après une audiences à huis clos, avec des plaidoiries écrites. A noter que la présence à la barre des parties en conflit n’est pas obligatoire. Ses membres prêtent serment d’accomplir «leurs tâches avec zèle, en suivant et en favorisant la discipline commune de toute l’Église, et en maintenant l’observance de toutes les lois ecclésiastiques, surtout de celles qui sont contenues dans le Code de Droit canonique».
En vérité, et heureusement pour l’Eglise du Sénégal, «l’essentiel de l’activité dudit Tribunal traite le plus souvent des questions liées au mariage», assure le site du Diocèse de Thiès. Evidemment, considérant une telle structure, même mutatis mutandis, ne peut prospérer dans la religion islamique. Encore que si on considère certaines confréries, tout écart par rapport à la doctrine entraine un rappel à l’ordre dans les formes voulues par l’autorité garante de l’orthodoxie de la voie. Bref, est-il trop tard de faire application de l’article 35 du CPP sur la médiation ? Si oui, il serait souhaitable, la loi le permet, que le deux parties s’entendent pour éteindre ce procès et trouver une voie de médiation pour réparer les préjudices, si préjudice il y a.
Au fond quand un musulman se sent offensé par un musulman, «Baal ma book» règle souvent le problème. Même si la personne qui demande pardon peut avoir la conviction qu’elle n’a offensé personne. Épargnez le Juge de s’adonner à ce qui n’est pas son rôle. Sauf à considérer, contre toute évidence me semble-il, que la défense et la partie civile ne sont pas dans une dispute doctrinaire comme l’Islam en a toujours eu, dès le lendemain du décès du son Prophète, quand les musulmans riches se sont immédiatement réunis pour prononcer la caducité de la Zakat comme obligation !
Par Ass Mademba Ndiaye (journaliste)
Autres articles
-
Un projet de loi de finances conforme aux objectifs de sécurité et souveraineté alimentaire (PAR DJIBRIL BA )
-
Le Sénégal entre crise de la dette et souveraineté économique (Abdoul Aly Kane)
-
Macron en quête de soutien en Afrique amorce une série de visites sous tension à Djibouti et en Éthiopie
-
Réponse à Papa Malick NDOUR (Par Mady CISSÉ)
-
Lettre au Président Diomaye (Par Samba Diouldé Thiam)