Parmi les onze journalistes raflés en septembre 2001, figure Seyoum Tsehaye, ancien guérilléro, photographe et co-fondateur de la télévision érythréenne après l'indépendance. L'intellectuel dénonçait les dérives du régime d'Asmara. Depuis 2009, sa femme et ses deux filles sont réfugiées en France. « J’ai eu l’occasion, d’aller le voir, de passer mon anniversaire là-bas en prison et je garde quelques souvenirs de ça », se souvient Abi, sa fille ainée. La dernière fois qu'elle vu son père, c'était pour ses trois ans. « Lorsqu’il m’a demandé de lui montrer ma main, il y avait des barreaux, et j’ai introduit ma main sous les barreaux, et il me l’a tenue. »
Ce sera le dernier contact entre Abi et son père. En 2011, un ancien geôlier érythréen ayant fui en Ethiopie affirmait que Seyoum Tsehaye était toujours vivant. Il serait détenu dans une prison de haute sécurité, isolée dans les montagnes. Afin de lutter contre l’oubli, sa nièce, Vanessa Berhe, réfugiée en Suède, a créé une association pour militer pour la libération de son oncle : One Day Seyoum.
Une pratique monnaie courante en Erythrée
Une façon, à travers son exemple de porter la lumière sur l’ensemble des disparitions forcées, qui sont une pratique monnaie courante en Erythrée. « À part quelques articles mineurs, cette affaire n’a pas été suffisamment mise en lumière, estime-t-elle. Notre idée était donc de s’assurer que tous ces journalistes ne tombent pas dans l’oubli. On ne parle pas seulement d’eux, mais également de leur travail, des personnes qu’ils protégeaient, des conditions d’arrestation en Erythrée. »
Selon Elza Chyrum, directrice de l'ONG de défense des droits de l'homme Human Rights Concern Erythrée, « ces personnes sont généralement enlevées au milieu de la nuit. Les forces de sécurité arrivent et prennent les gens. Les membres de la famille n’ont aucun droit pour demander où on les emmène. Ils n’ont pas le droit de connaître le lieu exact, car sinon, ils sont à leur tour envoyés en prison. Donc tout cela se déroule dans une totale opacité. »
Mobilisation internationale
Difficile néanmoins d’exercer une pression directe, sur ce pays totalitaire, où l’on estime à plus de 10 000 le nombre de prisonniers politiques. C’est pourquoi les organisations comme One Day Seyoum comptent sur la mobilisation internationale pour porter la voix des disparus érythréens.
« On essaie de faire valoir notre cause auprès des gouvernements étrangers, pour qu’ils nous viennent en aide, poursuit Vanessa Berhe. Le moins que l’on puisse faire, c’est de partager leurs histoires, leurs luttes pour qu’on puisse tous ensemble faire pression sur le gouvernement érythréen, pour obtenir leur libération. Ces gens ont été séparés de leurs familles, ajoute-t-elle.Ces pères, ces mères, frères et sœurs, méritent leur retour. La communauté internationale se doit de faire tout ce qui est en son pouvoir pour y arriver. »