Un récent sondage réalisé en Angleterre révèle qu’un adulte de moins de 35 ans sur sept a de la sympathie pour l’« État islamique ». Et ce taux augmente à mesure que les personnes sondées sont jeunes. Chez les 20-25 ans, il atteint des sommets effarants. La cause : un fort sentiment de rejet des hommes politiques et du gouvernement et une grande défiance à l’égard des médias1.
L’organisation terroriste n’aurait donc, en soi, aucun attrait significatif, sinon comme défouloir fantasmatique de colères et d’impatiences. Et la soi-disant « sympathie » dont il est question ici ne serait alors qu’une façon de parler, par trop excessive, propre aux jeunes. L’enquête ne le dit pas en ces termes, mais c’est tout comme. Tout ça est sans doute rassurant, mais il y a un mais…
S’agissant de l’organisme qui a réalisé le sondage, on a là un bel exemple de porte-voix officieux des « intellectuels de service », comme les appelle François Cusset, historien des idées. Ces intellectuels développent, selon lui, par le biais des médias notamment, une « rhétorique du fait accompli ». Ce faisant, dit-il, ils jouent « un rôle politique, celui d'annuler les contradictions et de réduire toute alternative au silence. »2
Et c’est exactement le cas de ce sondage. Partant d’une réalité tangible, ô combien – le ras-le-bol désespéré des jeunes –, l’enquête laisse entendre, précisément, que les citoyens n’ont d’autre alternative, s’ils ne veulent pas être trop déçus, que de s’impliquer dans la vie politique et de bien choisir leurs dirigeants. Comme quoi, en dehors du système point de salut ! Or, c’est là que le bât blesse.
En effet, tout n’est pas qu’une simple question de « savoir choisir ou non » ses dirigeants. Qu’ils soient de gauche ou de droite, ceux-ci, à mesure que les années passent, semblent de plus en plus interchangeables, c’est-à-dire mécaniquement remplaçables les uns par les autres, sans réel progrès pour la société.
Certes, on ne peut pas avoir à chaque tournant de décennie quelque chose d’aussi radicalement neuf que le Front populaire, ni des Trente glorieuses en veux-tu en voilà. Sauf que, de ce point de vue, ça va de mal en pis.
Ce n’est pas un hasard si, pour ce qui est de la France par exemple, les thèses de François Cusset se réfèrent à l’ère mitterrandiste. Avec le recul, le Programme commun semble n’avoir existé que le temps de policer quelques ultimes velléités révolutionnaires de la pensée et de mettre au pas les soixante-huitards attardés.
Question renoncements, au Royaume-Uni on n’est pas en reste. Le blairisme, dès 1997, a vite fait d’effacer, dans les statuts du Labour Party, les derniers vestiges de l’idéal socialiste à l’anglaise. Et en 2003, les travaillistes n’ont pas hésité, non plus, à enfoncer leur pays jusqu’au cou dans la guerre d’Irak pour, au final, amener la région là où elle en est aujourd’hui. Tout ça sur la base d’un mensonge…. Et qu’est devenu M. Tony Blair entre-temps ? Il passe son temps à gagner des millions en donnant des conférences à des dirigeants de tout acabit qui continuent de le croire…
Mais encore, outre-Atlantique, un Obama à la Maison blanche, tout démocrate qu’il est, n’a rien changé à la situation au Moyen-Orient, ni fait avancer d’un iota le règlement du problème palestinien, malgré son discours du Caire et son prix Nobel de la paix. Et malgré son « Yes we can », il n’a pas même empêché que les States s’embrasent comme dans les années 60, pour à peu près les mêmes raisons.
Quant au hollandisme, no comment…
L’alternance a donc beau jouer au sommet des États, c’est tout le système de la démocratie occidentale qui se décrédibilise. Et le creusement continu des disparités sociales3et les scandales de tous ordres, qui se répètent à une fréquence grandissante, font le reste. C’est-à-dire soit la désaffection à l’égard de la politique, soit l’attirance des extrêmes.
Et pour ce qui est des extrêmes, on sait au moins que les nationalismes étroits et la petitesse des idées qu’ils charrient ne sont fondamentalement pas la tasse de thé des jeunes. Il est même possible et plus naturel que les jeunes, dans leur écrasante majorité, considèrent la xénophobie et sa banalisation comme une raison de plus de désespérer de leurs sociétés. Voire de leur époque.
Et si, à l’ère de l’Internet et des réseaux sociaux, l’on pense que la jeunesse du monde n’est pas sensible à de tels désastres matériels et, surtout, moraux, c’est que, de deux choses l’une : ou bien l’on n’a plus foi en rien du tout, ou bien l’on n’a, soi-même, jamais été jeune…
Le « djihadisme » dans tout ça ?... On n’en est pas loin. C’est, ni plus ni moins, le slogan commercial d’une entreprise purement criminelle, qui a choisi de faire son bizness sur les ruines de toutes les illusions perdues. Et cette comparaison n’est pas qu’une façon de parler.
Il existe bien des gouvernements de soi-disant États, avec Constitution, armée, siège à l’ONU, et tutti quanti, fonctionnant comme d’authentiques bandes de délinquants.En Afrique par exemple, la corruption représente 25% du PIB du continent. Imagine-t-on seulement ce que cela représente comme richesse détournée ?... Boko Haram, Aqmi, des pourritures d’idéologie et de violence ?... Certes, et c’est même normal puisque générées par des tas d’ordures préexistants. Et au Moyen-Orient, la situation, de ce point de vue-là, n’est guère différente sinon en apparence seulement, par la grâce d’une certaine bigoterie qui ne trompe que ceux qui le veulent bien.
Somme toute, à côté de telles entreprises, dont les membres rapinent dans le confort tranquille de la légalité, « Daech », avec ses quelques tanks et lance-roquettes, fait quand même figure d’une PME minuscule bravant plus grands que soi et leurs lois scélérates. Bref, question malfaisance, il faut reconnaître à ses initiateurs un génie exceptionnel. Ils ont d’emblée, dans l’imaginaire de leur public, une aura de héros vengeurs.
C’est que leur public n’est pas le tout-venant. Et tous les jeunes susceptibles de tomber dans leur piège ne sont pas des malades. Il en est aussi qui se considèrent en rupture avec le système, mais n’ayant aucune culture de l’Islam, voire, dans beaucoup de cas, aucune culture tout court.
Ce rapport logique entre la nature (maffieuse) de l’entreprise et ses méthodes de recrutement (trompeuses d’abord, brutales ensuite) est bien expliqué par l’historien Jean-Pierre Filiu dans une interview accordée au journal Le Monde4. À la question de savoir pourquoi il existe, parmi les « djihadistes », une forte proportion de jeunes convertis, il répond : « C’est que ça n’a rien à voir avec l’Islam ! On continue de regarder comme un phénomène religieux ce qui n’est qu’un phénomène politique. ‘‘Daesh’’ est une secte. Elle frappe d’autres musulmans. Son discours totalitaire ne peut prendre que chez ceux qui n’ont aucune culture musulmane. »
Changez ici, dans les propos très policés de M. Filiu, « phénomène politique » par « affaires sonnantes et trébuchantes », et « secte » par « Camorra » ou « Cosa Nostra » et tout deviend limpide. Suite.....