Données ouvertes au Sénégal : produire de la valeur en termes de bonne gouvernance et renforcer la confiance publique

Au Sénégal, la lutte contre la corruption n’avance pas selon l’index publié en janvier 2022 par l’ONG Transparency International. Avec un score de 43 sur 100, le pays est, depuis quatre (4) années successives, classé dans la zone rouge. Ce qui signifie que le pays est gangréné par la corruption. Alors que l’ouverture des données vise à réduire la corruption et améliorer la qualité des services publics. Comment aller vers un État plateforme afin de produire de la valeur en termes de bonne gouvernance et renforcer la confiance publique ? Réponse dans cet article.



Mi-décembre 2023. La capitale Sénégalaise est bercée par une petite fraîcheur. Ce froid qui s’annonce arrive dans une atmosphère très tendue marquée par l’affaire Sonko mais surtout un scandale lié à la corruption. Dakar bruit de l’affaire Me Moussa Diop. Il s’agit d’un candidat déclaré à la Présidentielle de 2024 qui accuse le président de la République, Macky Sall, l’ancien ministre de l’Énergie, Aly Ngouille Ndiaye, le capitaine d’industrie Jean Claude Mimran et l’homme d’affaire Mamadou Ndiagna Ndiaye d’avoir signé un contrat portant l’exploration et l’exploitation de diamant au nord du Sénégal. Lors d’une conférence de presse tenue le 10 décembre dernier, l’avocat et ancien Directeur général de Dakar Dem Dikk a brandi des documents certainement tirés d’une liasse de dossiers. Il a ainsi lu et cité des courriers datant de décembre 2016 à février 2018. De graves révélations qui sont suivies de répliques et de dénégations de la part de l’ancien ministre des Mines, Aly Ngouille Ndiaye, l’ancien Directeur général des Mines, Ousmane Cissé, le Groupe Mimran ainsi que d’autres experts. Moussa Diop, avocat et lanceur d’alerte» a été convoqué le lundi 11 et placé en garde à vue.


L’affaire dite “scandale de diamant” pose avec acuité la problématique des données ouvertes. Il en est de même pour l’affaire Prodac. En 2018, une bonne partie de la presse sénégalaise a fait échos d’un “carnage financier” exécuté au cœur du Programme national des domaines agricoles (PRODAC), portant sur plus de 29 milliards FCfa. Le programme était dirigé à l’époque par Mame Mbaye Niang, ministre de la Jeunesse. Un supposé rapport de l’Inspection générale des finances (Igf) mettant en cause la gestion du Prodac aurait atterri sur internet et avait fait réagir plus d’un. C’est partant de ce constat que l’opposant Ousmane Sonko s’est engouffré pour dire que le ministre a été épinglé par un rapport. Ce que Mame Mbaye Niang a nié en portant plainte contre M. Sonko pour diffamation. S’en est suivi une condamnation de l’opposant.  Celui-ci pour sa défense dira aux enquêteurs avoir commis… un lapsus : il détiendrait un rapport, non pas de l’IGE, mais de l’Inspection générale des finances (IGF) qu’il aurait trouvé… « sur Internet» (sic). Et qu’il ne remettra pas qu’au juge.


Les données ouvertes sont un outil indispensable pour prévenir pareille «forfaiture» dans un état démocratique. Mais quand la reddition n’est pas une urgence chez les gouvernants de pareilles révélations ne permettent pas au peuple d’avoir des vues claires sur la gestion des ressources. « C’est parce qu’aujourd’hui tout est nébuleux et confidentiel », assène amer un responsable du Data center de Diamniadio. Ce qui pouvait être évité « avec l’utilisation des données ouvertes pour régler tous ces problèmes de diffamations et ou de mensonges ». Les affaires Me Moussa Diop et du Prodac représentent des cas de données ouvertes du Sénégal. Est-ce que le Gouvernement du Sénégal a envie d’aller à ce niveau de transparence ? Mais c’est quoi les données ouvertes qui pourraient régler ce problème de non transparence des pouvoirs publics ?


Selon la définition la plus répandue, les données ouvertes en anglais (open data) sont des données numériques dont l'accès et l'usage sont laissés libres aux usagers, qui peuvent être d'origine privée, mais surtout publique, produites notamment par une collectivité ou un établissement public. Elles sont diffusées de manière structurée selon une méthode et une licence ouverte garantissant leur libre accès et leur réutilisation par tous, sans restriction technique, juridique ou financière.


Cet accès aux données vise d'une part à « permettre aux citoyens de mieux contrôler l'administration », d'autre part « d'exploiter ces données, ce qui implique que ce droit d'accès s'accompagne d'un droit à la réutilisation des données », précise un responsable du Data Center de Diamniadio. 

 


Le Sénégal à l’heure des Infrastructures publiques numériques…

 
Le Sénégal semble régler son horloge à l’heure des Infrastructures publiques numériques. Puisqu’avec le Data center de Diamniadio, il y a un an, un projet sur l’utilisation des données ouvertes a été initié. Le responsable du Data Center de Diamniadio avec qui PressfArik a pris langue confirme et énumère les causes de son non-effectivité. « Dans ce centre nous sommes à 40 % des transferts des données. Mais si on avait finalisé ça, la prochaine étape serait de rendre ses données ouvertes. Avec ça on prévoit d’utiliser datagouvsn. Ce qui permettra à l’utilisateur d’avoir accès à une plateforme des bases de données. » Une information mise sur la place publique. Mais c'est difficile de matérialiser tout ça. L’expert en données numériques donne des pistes. « Il faudra une infrastructure publique numérique puissante pour le faire. Parce que si on n'en dispose pas : le risque ? c’est le piratage des services de l’Etat et de ses données. Mais au Sénégal y a des algorithmes qui sont déjà prêts pour ça.»

  

Il nous faut des IPN puissantes pour garantir la sécurité des données ouvertes 

 

Et pour ce qui est des Infrastructures publiques numériques (IPN) le Sénégal a fait fort en ne disposant que deux. Il s’agit du Data center national de Diamniadio et le Parc technologique numérique (PTN) qui est en cours de finalisation. Et seuls ces deux data center pourront permettre d’ouvrir les données aux citoyens de manière transparente. Mais la question qui mérite d’être posée est la suivante : Est-ce qu’au Sénégal on a assez d’espace pour héberger ces données ? La réponse coule de source pour le responsable du Data Center de Diamniadio. « Ces données dont nous parlons ça existe et c’est stocké dans des serveurs il faudra rendre accessible. Ici on a hérité d’un système purement colonial on a une grande centralité de l’administration. Cette culture de démocratie participative, on ne l’a pas assez ?  C’est pourquoi lorsqu’un citoyen peut se lever un bon jour pour demander le budget de la commune on lui demande: Tu es qui ?»

 

Alexandre Guibert Lette, consultant sur les questions d’OPEN DATA et Civitech s’avance pour apporter des précisions au débat. « C’est le manque d’une législation a porté général sur l’accès à l’information qui constitue une entrave réelle à l’expression démocratique. Après quand on parle du Sénégal et de son manque d’arsenal numérique qui ne garantit pas l’accès à l’information, l’Etat rétorque certes, ils n’ont pas des lois à portée générale mais des lois à portée sectorielles. Ça c’est juste, une parade que l’Etat met en place pour se défendre. Ce qui ne tient pas la route pour les défenseurs des données à caractère public.» Mais cela ne suffit pas. Selon le spécialiste des Open Data, il faut que le Sénégal se dote d’un Plan d’action national. A son avis, c’est une liste de recommandations que l’Etat partage avec la société civile. Et dans ce PAN, il est noté que le Sénégal allait adopter la loi d’accès à l’information avec la 13 e législature. Très à la page, il trace ce qui devait être la feuille de route des dossiers liés aux données ouvertes.
 

Est-ce que le fait de dire données ouvertes suppose l’accessibilité à tout va de l’information et la protection des données à caractère personnel ? Tidiane Seck, ancien Dg de l’ADIE, pour lui le prétexte de la protection des données à caractère personnel évoqué par les autorités n’est qu’une sorte de « paravent » « un faux prétexte ». Et comment ? M. Seck explique que dans la plupart des cas, on n'a pas besoin de connaître les personnes qui sont derrière les données. Et même quand il y a des données dites personnelles on peut faire de l’anonymisation. Cela n'enlèvera en rien la qualité des données. »
 

La morale de l’histoire pour lui : « Il faut savoir que disposer de ces données fiables et précises et vraies, pas trafiquées permet de faire des prévisions justes comme le font les pays avancés ».
 

Mais déjà, les résultats de l’Open Data Census montrent que le Sénégal collecte déjà un grand nombre d’informations publiques au format numérique, dont 8 des 10 jeux de données définis. Néanmoins plusieurs de ces jeux de données ne sont pas accessibles en ligne (résultats des élections, registre des entreprises), et aucun n’est disponible dans un format lisible par un programme informatique, tel que le CSV. Ainsi, les données de l’ANSD, l’Agence nationale de statistiques du Sénégal, sont bien accessibles sur leur site, mais disponibles uniquement au format PDF. Il n’existe pas non plus de licence spécifiant les conditions d’utilisation pour les jeux de données accessibles. Enfin des incertitudes demeurent sur la complétude et l’exhaustivité des données. Tous les textes de loi ne sont pas accessibles et le projet Openstreetmap Sénégal a démontré la faible qualité des cartographies officielles.

 


Comment l’ouverture des données pourrait assurer la bonne gouvernance et renforcer la confiance publique ?

Le responsable de Data center de Diamniadio s’avance à cœur joie. Il donne l’exemple du fichier électoral pour dire « si ces données sont ouvertes, un citoyen peut vérifier sur la plateforme s’il est électeur ou s’il ne l’est pas ».
 

Même chose pour les partis politiques qui ne cessent de réclamer à moins de trois mois de la présidentielle le fichier.  « S’il y avait l’ouverture des données ils peuvent même s’avoir s’il existe de faux électeurs ou pas et les signaler à qui de droit. Ce qui permet maintenant de garantir la sécurité des données, ça on ne peut pas le laisser dans les mains des privés. Il faut des infrastructures publiques numériques et c’est à l’Etat de garantir ça ».  
 

Il en rajoute l’exemple des permis de conduite. Pour lui : « un policier au poste de contrôle avec vos identifiant peut vérifier sur place avec son téléphone si votre accès est valable ou pas. Vous n’avez plus besoin de retourner au poste pour faire la vérification. Ce qui vous permettra de gagner du temps ».
 

M. Lette, de son côté, rappelle que les données ouvertes existent déjà au Sénégal mais de manière partielle. Si on prend l’exemple de l'Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE), des contrats sont publiés régulièrement sur leur plateforme.  « C’est parce que cette organisation n’est pas une initiative nationale. C’est pourquoi il est avec son lot d’obligations, et là, la transparence est requise. A l’Etat d’en de même pour les autres domaines pour renforcer la confiance publiques », suggére-t -il.

 *Ce reportage à été produit dans le cadre de la bourse de journalisme sur les IPN organisée par la fondation des médias pour l’Afrique de l’ouest et Co-Develop.*


Fana CiSSE

Vendredi 15 Décembre 2023 15:39


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