Quelle est la genèse de WhatsApp ?
- J'ai quitté Yahoo! en 2007 et j'en ai profité pour beaucoup voyager. Mais je ne voulais plus entendre parler d'un "vrai" boulot. J'avais envie de construire quelque chose de vraiment cool, qui puisse être utilisé par tous mes amis.
Le premier iPhone venait de sortir et j'ai eu envie d'apprendre la programmation sur iPhone. Avec Brian [Brian Acton, l'autre cofondateur, NDLR], nous avons vite compris qu'il y aurait bientôt des smartphones dans toutes les poches et que tout le monde serait connecté tout le temps à internet. On a donc pensé à un moyen de s'envoyer des messages gratuitement. Et puis, "PDG d'une appli pour téléphone" ça ne semblait pas trop sérieux.
D'où vient ce nom, "WhatsApp" ?
- En anglais, il est très commun de commencer ses messages par "hey, what's up" ["hey, quoi de neuf ?", NDLR]. Nous avons donc pensé à une sorte de jeu de mots avec appli.
WhatsApp fait désormais face à une forte concurrence (WeChat, Line, Skype, Viber, BBM). Quels sont ses points forts ?
- Notre force réside surtout dans notre base d'utilisateurs. Ils adorent le produit et l'utilisent tous les jours. Et la valeur de notre réseau tient à ses évolutions et innovations que nous introduisons régulièrement. Les utilisateurs le savent, et c'est ce qui rend WhatsApp aussi puissant. Dans les prochains mois, nous allons par exemple ajouter les appels vocaux.
Le PDG de Facebook, Mark Zuckerberg, évoque toujours WhatsApp comme une application avec un potentiel d'un milliard d'utilisateurs. Comment allez-vous les atteindre ?
- En restant concentré. Sur l'innovation de notre produit, et sur des choses aussi basiques que la stabilité de l'application, pour qu'elle ne plante pas, et la vitesse de transmission des messages.
Est-ce pour cela que vous resterez indépendant de Facebook, malgré le rachat ?
- Absolument. Il s'agit d'une condition de notre accord. WhatsApp reste complètement indépendant, et conserve ses propres locaux à Mountain View et ne déménage pas à Menlo Park [où siège de Facebook, en Californie, Etats-Unis, NDLR].
Combien de temps ont duré les négociations pour le rachat ?
- J'ai rencontré Mark pour la première fois en février 2009, et nous sommes vite venus à parler de ça. Je ne me souviens plus combien de temps nous avons passé à en discuter, mais la plupart du temps nous parlions de comment structurer ce partenariat, de comment WhatsApp resterait indépendant et fonctionnerait en tant qu'entreprise complètement séparée. Nous nous sommes mis d'accord tous les deux sur le fait qu'il n'y aurait pas de publicité pour monétiser l'appli. Mark m'a aussi demandé d'intégrer le conseil d'administration de Facebook.
Que ferez-vous le jour où Facebook vous demandera d'insérer des publicités dans l'appli ?
- Notre accord prévoit que je conserve un contrôle complet sur comment évoluera WhatsApp. Et ils n'ont aucune ambition d'ajouter de la publicité. Nous l'avons dit et répété de nombreuses fois. Clairement : il n'y aura pas de pub dans WhatsApp.
Comment êtes-vous arrivés à la somme de 19 milliards de dollars ?
- Le montant de la transaction n'était qu'une petite partie de toute la conversation, et pas vraiment la partie la plus intéressante... Nous avons surtout beaucoup parlé de notre vision du monde. Nous avons beaucoup discuté de son initiative internet.org et de comment nous pouvions travailler ensemble pour apporter des communications à ceux qui n'y ont pas accès. Il y a des parties du monde qui n'ont pas accès à l'eau, à l'électricité ou à internet. Pourtant, il faut réfléchir à comment leur apporter des moyens de communiquer.
L'accès aux télécommunications est, pour moi comme pour Mark, un droit humain fondamental. Cela permet d'accéder et d'échanger l'information. Rester en contact et pouvoir s'envoyer des messages sans dépenser beaucoup d'argent devrait être accessible à tous, en permanence. Je rejoins Mark sur cette vision d'un monde plus ouvert parce que plus connecté. C'est de ces discussions sur nos visions du monde et du futur qu'est né notre partenariat.
Vous êtes tout de même devenu milliardaire du jour au lendemain.
- Je ne pense pas vraiment à ça. J'ai du travail et une entreprise à gérer. Je ne passe pas mes journées à réfléchir à ce que je vais acheter...
Mark Zuckerberg a dit que "peut-être WhatsApp valait plus que 19 milliards de dollars". Auriez-vous finalement mal négocié ?
- Plus que d'aspects financiers, il s'agit pour nous deux d'être partenaires et de travailler ensemble à réaliser notre vision commune d'un monde plus connecté. C'est pourquoi nous ne pouvions être racheté que par Facebook.
D'autres entreprises vous ont-elles approché pour racheter WhatsApp ?
- Je laisse la parole des autres entreprises aux autres entreprises. Allez leur demander... Yahoo a reconnu [sur Clubic avoir fait une offre pour racheter WhatsApp, "comme tout le monde", NDLR].
Comment voyez-vous l'avenir du mobile ?
- Pour nous, c'est vraiment excitant. Dans les prochaines années, des milliards de personnes vont acheter un smartphone et se connecter pour la première fois au réseau. La face du monde va changer. Nous allons vers une société plus connectée et plus ouverte.
Vous intéressez-vous aux objets connectés ?
- Non, pas vraiment. Je suis surtout concentré sur les mobiles.
En tant qu'Ukrainien, quel regard portez-vous sur la situation en Ukraine ?
- C'est vraiment triste, surtout parce qu'en Ukraine les politiciens corrompus n'ont toujours été remplacés que par des politiciens corrompus. Le système est vraiment pourri. Là-bas, dès que quelqu'un a un peu de pouvoir, il cherche à en tirer profit financièrement. Les politiciens s'intéressent plus à eux-mêmes qu'à l'avenir du pays. Jusqu'à maintenant, il n'y avait pas non plus de forte opposition qui montrait qu'elle voulait combattre la corruption et améliorer la situation. Et, en l'absence de leader clair, il est difficile d'entrevoir un bel avenir pour l'Ukraine.
Quelques personnes peuvent toutefois redresser le pays. [Vitali] Klitschko, l'ancien boxeur qui est candidat à la présidentielle, en fait partie. Il a vécu en Allemagne et en Californie [Etats-Unis] et comprend ce que c'est que de vivre dans une société sans corruption. Mais, fondamentalement, je reste inquiet pour l'Ukraine, où les dictateurs ont toujours été remplacés par d'autres dictateurs.