La Tanzanie a fait preuve d’une stabilité exemplaire depuis son indépendance en 1964. C’est l’un des très rares pays africains qui n’a jamais connu de coup d’Etat. Les élections se sont tenues aux échéances prévues. Aucun des présidents qui ont succédé au fondateur de la nation Julius Nyerere n’a cherché à changer la Constitution pour prolonger ou multiplier les mandats. Aujourd’hui, le président sortant Jakaya Kikwete termine son deuxième et dernier mandat de cinq ans.
En dépit de ce parcours sans faute, la Tanzanie n’a cependant jamais expérimenté l’alternance. Le parti au pouvoir a toujours gagné facilement. Or pour ce dimanche, ce n’est pas aussi sûr.
C'est la toute première fois que les Tanzaniens ne savent pas d’avance qui va gagner les élections. Même après l'instauration du multipartisme en 1992, c'était invariablement un héritier du « Mwalimu » Julius Nyerere, le père de la nation, qui l'emportait à chaque scrutin grâce à la machine bien huilée de l'omniprésent parti au pouvoir, le Chama Cha Mapinduzi (CCM). Mais cette machine a déraillé au mois de juillet 2015 lors de la bataille pour l'investiture du candidat à la présidentielle.
Après une longue lutte interne, les délégués du parti, sous la conduite du président sortant Jakaya Kikwete, ont désigné le ministre des Travaux publics John Magufuli - 58 ans - au détriment de l'ancien Premier ministre Edward Lowassa - 62 ans - un poids lourd du CCM. Et là l'impensable s'est produit : Edward Lowassa a quitté le CCM pour rejoindre la coalition adverse Ukawa, et il a réussi le tour de force d'être investi comme candidat de l’opposition.
Une couleuvre difficile à avaler
Le spectaculaire revirement d'Edward Lowasa trouve son origine au début du premier mandat du président Jakaya Kikwete entre 2005 et 2010. A l’époque, Kikwete fraichement élu, choisit Lowassa comme Premier ministre. Ils sont proches amis, tout le monde voit Edward Lowassa comme le dauphin. Mais la lune de miel sera de courte durée. Deux ans après sa nomination, Lowassa , accusé de corruption, est forcé de quitter le gouvernement.
Certains disent que le président Kikwete aurait en réalité écarté son Premier ministre car ce dernier aurait voulu lui ravir sa place au plus vite, après un seul mandat de cinq ans. Mis à l’écart, Edward Lowassa aurait donc rongé son frein pendant toutes ces années. Il aurait attendu patiemment la fin du deuxième mandat de Kikwete en 2015 pour pouvoir se présenter. Comme il n’a pas été choisi, il a basculé dans l’opposition.
La désignation d’Edward Lowassa comme candidat de l’opposition par le parti Chadema, principale composante de la coalition Ukawa ne s’est pas non plus faite sans dégâts collatéraux. Ce même parti qui hier accusait l’ancien Premier ministre d’être un homme corrompu, le choisit aujourd’hui comme son porte-drapeau. La couleuvre a été trop difficile à avaler pour certains : l’opposant « historique » Wilbrod Slaa, plusieurs fois candidat du Chadema, a préféré jeter l’éponge et partir à la retraite aux Etats-Unis.
Exercice physique en plein meeting
Entre le transfuge Lowassa et l’opposition, ce n’est pas un mariage d’amour. C’est un choix pragmatique. Lowassa est un homme d’influence qui garde des réseaux très étendus au sein du CCM. Sa défection est un coup dur pour le parti au pouvoir. Sa candidature a aussi un autre attrait pour l’opposition : Edward Lowassa est un homme riche. Sa famille proche a la réputation de brasser une multitude d’affaires en Tanzanie et à l’étranger. A l’abri du besoin, il a pu financer une campagne coûteuse.
Reste une inconnue : sa santé. Edward Lowassa semble souffrir des séquelles d’un AVC. Il montre des difficultés à se mouvoir, à lever les bras, ou monter un escalier.
Personne ne se fait de cadeau dans cette lutte, et les arguments ne volent pas toujours très haut. Le candidat du parti au pouvoir, John Magufuli, a démontré - non sans cruauté - sa meilleure santé physique. Lors d’un meeting, il a fait des pompes sur la tribune. Il a ainsi déclenché un fou rire général, et a surtout semé un doute sur la capacité de son adversaire à gouverner sur le long terme.
John Magufuli est une découverte pour les Tanzaniens. Cet ancien professeur de chimie et de mathématiques, devenu député puis ministre des Travaux publics, n’avait rien d’un tribun. Il avait la réputation d’un technocrate compétent, montrant plus d’intérêt pour la construction des ponts que pour l’accession au pouvoir.
Sa désignation comme candidat du CCM a surpris, et la campagne l’a transfiguré. Il harangue maintenant les foules d’une voix de stentor. Ses discours sont longs, toujours plus d’une heure, et ses arguments sont souvent surprenants : il dénonce avec force la gabegie, la corruption. Il ne défend pas le bilan du CCM, au contraire, il préfère surfer la vague de mécontentement de la population sur une multitude de sujets : l’accès à l’eau, l’électricité, la santé, l’éducation, l’emploi, les salaires. Son discours ressemble à s’y méprendre à celui d’un opposant. John Magufuli veut incarner le changement.
L‘électorat tanzanien se retrouve donc avec ce choix bizarre entre un candidat de l’opposition issu du parti au pouvoir, et un candidat du pouvoir qui tient des discours d’opposant.
Il est impossible de faire des pronostics. Des sondages douteux circulent. L’ambiance est fébrile. L’opposition accuse le pouvoir de se préparer à truquer les résultats, le pouvoir accuse l’opposition de vouloir fomenter des troubles. Certains commerçants d’origine indienne du centre-ville de Dar es-Salaam ont pris le large avec leurs familles à l’étranger, d’autres font des réserves d’eau et de nourriture « au cas où ». Il y a tellement de craintes que la police a averti les électeurs qu’ils devront rentrer chez eux dimanche immédiatement après avoir voté, aucun rassemblement ne sera toléré et les forces de l’ordre interdiront à quiconque de se tenir à moins de deux cents mètres d’un bureau de vote.
►L’économie tanzanienne, entre croissance et grande pauvreté
La Tanzanie est la deuxième économie d’Afrique de l’Est, et la deuxième du continent. Elle peut se targuer d’une croissance dépassant les 7% et dont les perspectives de maintien à moyen terme sont favorables : à l’instar de la Côte d'Ivoire, de l'Éthiopie, du Mozambique et du Rwanda, elle devrait se poursuivre au moins durant les deux prochaines années, selon les dernières données de la Banque mondiale. Elle pourrait même atteindre les 9% selon certaines prévisions.
L‘agriculture demeure le pilier central de l’économie tanzanienne. Elle représente entre 25 et 30% du produit intérieur brut (PIB) et emploie près de 80% de la population active. De son côté, le secteur des services a enregistré une croissance rapide ces dernières années pour représenter aujourd’hui environ 47% du PIB. Ces deux secteurs vont garder leur poids prédominant dans le PIB à court terme.
Le secteur industriel est plus contrasté et fluctuant. Ainsi, les mines ne comptent que pour une faible part du PIB (2,3%). Mais les récentes découvertes de réserves gazières attirent tout de même les investisseurs. Le secteur manufacturier et le bâtiment sont également porteurs. Enfin, les secteurs du tourisme et des transports sont dynamiques.
Corruption endémique
Pourtant, ces chiffres flatteurs et rassurants masquent une réalité plus sombre. A commencer par la pauvreté. Malgré son dynamisme, le pays se classe 159e sur 187 en termes d’indice de développement humain. Il appartient à la catégorie des pays les moins avancés (PMA). 70% de la population vit aujourd’hui avec moins de un dollar par jour. Le manque d’investissements publics dans les infrastructures ralentit par exemple la productivité du secteur agricole.
La Tanzanie vit sous perfusion bancaire internationale. Elle est ainsi le septième récipiendaire d’aide publique au développement dans le monde, et le deuxième en Afrique subsaharienne. En 2014, elle a reçu 3,43 milliards de dollars d’aide nette. L’aide extérieure représente 25% du budget national et 10% du PIB.
Autre point noir : la corruption qui freine l’économie et ternit le climat des affaires. Ce mal est cité par les entreprises locales et étrangères comme étant la principale raison du coût élevé des investissements. La Banque mondiale a annoncé, le 25 juin dernier, qu’elle allait accorder au pays un prêt de 100 millions de dollars destiné à améliorer la gouvernance.
Source : RFI.fr