Entretien avec Alioune Dramé : Le Directeur de la communication égrène les critères de répartition de l’aide à la presse

Le premier Président Directeur Général du quotidien national «Le Soleil», Alioune Dramé aujourd’hui Directeur de la communication se lâche. Dans une interview accordée au quotidien «l’Enquête», il revient sur son cursus, les grands chantiers du ministère par rapport à la publicité, à la réorganisation de la profession de journalisme mais surtout au fonds d’aide à la presse. Alioune Dramé a donné les critères qui ont prévalu à la distribution des 700 millions tout en évoquant le cas des deux organes qui ont rendu leur chèque.



Parlez-nous de votre cursus
Je suis un journaliste de profession. J'ai effectué mes études primaires à Nioro du Rip et à Koungheul dans la région naturelle du Saloum. J’ai ensuite fait le Prytanée militaire avant d’être admis à la faculté de Droit, à l’Université de Dakar, puis au Centre d’Etudes des Sciences et Techniques de l’Information (CESTI). J'ai travaillé essentiellement dans la presse écrite, notamment, au quotidien national Le Soleil que j’ai intégré à la fin des années 1970. Etant donné que je faisais partie de la jeune génération de journalistes diplômés, à l’époque,  j'ai très vite gravi les échelons en étant d’abord chef de service puis  rédacteur en chef et enfin Président-Directeur général (PDG). J’avais à peine 30 ans quand j’étais nommé à ce poste de décision que j’ai occupé pendant une dizaine d’années, à partir du milieu des années 1980. C'est cela que les gens retiennent.
 
Mais aussi parce que vous êtes le dernier PDG du quotidien national que vous avez quitté pour d’autres stations
 
Oui, c'est vrai parce qu'il y a eu une réforme qui a fait du Président-Directeur général, un Directeur général. Après l’étape du Soleil, j’ai rejoins, en tant que conseiller, le ministère de la Communication où j’ai accompagné plusieurs ministres.  Avec l'alternance politique, en 2000, j'ai été sollicité pour mettre en place la Direction de la Communication de l'Assemblée nationale. En 2004, j’ai été nommé directeur de cabinet du ministre des Sports, pendant deux ans, avant de retourner à l'Assemblée nationale pour occuper les fonctions de directeur des Relations interparlementaires et du Protocole. C'est après la seconde alternance, en 2012, que le Président de la République, Son Excellence Monsieur Macky Sall, a bien voulu me faire revenir dans ma famille naturelle, comme Directeur de la Communication.
 
En quoi consiste votre rôle de Directeur de la Communication ?
 
La Direction de la Communication est un démembrement du ministère de la Communication, des Télécommunications et de l'Economie numérique. Elle conseille le Ministre sur toutes les questions en rapport avec la presse. Nous sommes  également sollicités par le gouvernement  chaque fois qu'il a une action de communication transversale à mener, nous sommes représentés pour intervenir sur ce volet. En dehors de cela, la Direction de la Communication  a un rôle essentiellement institutionnel et administratif. Elle assure notamment le suivi des dossiers relatifs à l’information et à la presse, les questions liées aux demandes de fréquences, aux demandes d’autorisation de tournage des télévisions étrangères. Elle est aussi chargée de l’accréditation des correspondants permanents et représentants des médias étrangers et délivre la carte nationale de presse.
 
En tant que tutelle des médias publics comment expliquez-vous le fait que ces derniers, malgré la subvention de l’État, s'accaparent de la plus grande part du marché de la publicité ?
 
Il est vrai que le secteur de la publicité doit être régulé. La question a été évoquée lors d’une rencontre récente avec le Président de la République. C’est pour vous dire que la publicité est une préoccupation majeure à tous les niveaux. Et le ministère en est conscient.  C’est pourquoi cette question est au centre des projets prioritaires du département. Nous avions décidé de créer un comité scientifique impliquant tous les acteurs pour mener les réformes qui s’imposent.  Cependant on ne peut pas imposer des supports médiatiques aux annonceurs, soucieux avant tout de rentabilité et d’efficacité. Il faut, dans ce domaine aussi, respecter les règles économiques. Nous avons tout de même décidé de réguler le secteur au profit de la presse privée. D'autres sources de financement seront trouvées pour les médias du service public. Par ailleurs, il faut préciser aussi que la loi régissant la publicité, au Sénégal, date de 1983. Cette loi est aujourd'hui de loin dépassée face à l'évolution fulgurante des technologies de l'information et de la communication et la multiplication des supports. Vous voyez combien il est urgent d’avoir une loi adaptée pour ce secteur sensible et vital pour la presse.
 
Est ce que le nouveau code de la presse prend en charge cette question?
 
Evidemment, toute une section est réservée à cette question dans le nouveau code. Le texte propose des dispositions pertinentes allant du contenu des messages à la diffusion, en passant par la protection des consommateurs et des mineurs mais aussi l’organisation du secteur.
 
Restons avec les médias publics pour évoquer le  cas de l’Agence de presse sénégalaise (APS). Où en êtes-vous dans la résolution des difficultés que traverse cette structure?
 
Le gouvernement a pris le problème de l’APS à bras le corps en l’appuyant sur le plan financier. D’autres mesures sont prévues pour la soutenir de manière structurelle. Parce que nous sommes conscients du rôle central  que joue cette agence dans le paysage médiatique sénégalais et sous régional. A ce propos, un comité de réflexion a été installé par le Premier Ministre pour faire des propositions fortes sur le financement des médias du service public. Nous nous réunissons périodiquement au ministère de l’Economie et des Finances pour trouver des solutions structurelles et pérennes.
 
Quel est le montant que l’Etat a mis à la  disposition à l’APS puisque vous parlez d'un soutien financier ?
 
Je n’ai pas les chiffres en tête, mais la subvention est assez importante. Et elle devrait prendre en charge les questions de salaires jusqu'en décembre. Les besoins primaires sont aussi réglés. Ils restent les problèmes d'investissement.
 
L'idée de loger les services de l’APS dans la maison de la presse est agitée. Où en êtes-vous ?
 
Ce relogement à la Maison de la Presse ne sera que provisoire en attendant qu'on trouve un siège. L’APS mérite bien cela car elle est une icône, un patrimoine national.
 
Mais l'immeuble n'a ni électricité ni eau comment vont-ils faire ?
 
C'est vrai. Il faut dire que l’immeuble n’est pas encore réceptionné. Or, c’est une exigence dans l’administration.    C’est cette formalité administrative ajoutée aux conditions d’accueil encore embryonnaires qui motivent la position du Ministre quand il a demandé au personnel de l’APS, qui a déjà commencé à déménager, de patienter ne serait ce que le temps de sacrifier à cette tradition. Mais, je puis vous assurer qu’il n’y a pas plus préoccupé que le ministre Cheikh Mamadou Abiboulaye Dieye quant au sort de cette agence.
 
Pour parler de la subvention à la presse, des organes ont retourné leurs chèques après la distribution. Comment jugez-vous cela ?
 
Il n'ya que deux organes qui ont retourné leurs chèques, un site en ligne et le groupe Sanossy, c'est-à-dire Siweul. Pour ce groupe il s'agit juste d'un malentendu, parce que dans notre répertoire, à la Direction de la Communication, nous n'avions que la radio Siweul FM et le quotidien Siweul qui a cessé de paraître et c’est sur cette base que la subvention a été octroyée. Or, le groupe s'est agrandi entre temps avec d'autres supports en ligne. Cette évolution n'était pas portée à notre connaissance. Et là, les responsabilités sont partagées. D’une part, la plupart des acteurs de la presse en ligne diffusent sans aucune notification au ministère. D’autre part, cette lacune est due aussi à un vide juridique congénital à la loi 96-04 relative aux organes de la communication sociale et aux professions de journaliste et technicien. Ce texte étant  antérieur à l'avènement de la presse en ligne, il n’existe pas, à ce jour, de dispositions législatives organisant ce secteur. En conséquence  les sites d'information poussent comme des champignons. Le Sénégal étant un pays où la liberté de presse est consacrée, la situation est tolérée. Mais, en attendant le vote par l'Assemblée nationale du nouveau code de la presse qui mettra fin à cela, nous travaillons depuis quelques temps sur l'élaboration d'un répertoire des médias au Sénégal pour corriger ces insuffisances et disposer d’informations fiables et complètes sur le secteur.  Pour revenir à la subvention à la presse, je crois que, de mémoire de Sénégalais, c'est la première fois que la distribution s'est faite sans contestation majeure. Les années précédentes, ce n'était pas seulement un ou deux organes qui contestaient mais une multitude. Nous avons réussi à  minimiser cela cette année, notamment, en élargissant l'assiette des bénéficiaires et en veillant à ce que le montant alloué en 2013 soit, pour chaque organe, supérieur ou égal à celui reçu en 2012. C’est ce qui fait qu’un groupe comme D-Media est passé de 5 à 12 millions.
 
Pourtant D-média dit aussi avoir retourné son chèque. Il juge dérisoire le montant qui lui est alloué alors que, estime-t-il, un autre groupe qui ne dispose que d'une seule publication a reçu  16 millions, un montant supérieur à celui qu’il a reçu. Qu'en est-il exactement?
 
La subvention à la presse est une décision de l’Etat portée par la loi 96-04 qui définie les critères d’éligibilité. Mais, la presse sénégalaise, ce n’est plus un secret pour personne, baigne dans d’énormes difficultés, ce qui fait que la quasi-totalité peine à respecter ces dispositions. C’est pourquoi, pour éviter que tous ces organes parfois de qualité, en soient privés, un consensus, qui met en avant d’autres critères aussi pertinents, s’est imposé, depuis plusieurs années au sein du comité consultatif de la subvention à la presse. Il s’est agit, pour cette année, de l’ancienneté qui concerne des groupes parmi les pionniers du pluralisme médiatique que sont Sud Communication, Walfadjri ou Le Témoin, des groupe auxquels la démocratie sénégalaise doit une fière chandelle pour le combat qu’ils ont mené, au moment où c’était encore plus difficile pour les médias. A côté de ce critère majeur qu’est l’ancienneté, nous avons aussi mis en avant la régularité, le contenu, l’étendu de la zone de couverture et les charges. Pour ce qui est de D-Media, je ne comprends pas son attitude. Ce groupe s’est d’abord signalé au moment même de l’établissement de la liste des bénéficiaires en refusant de donner son numéro de compte bancaire comme tous les autres organes  l’ont fait. Ensuite, quand il a été informé du montant qui lui a été alloué et qu’il a trouvé modeste, au lieu de faire un recours par voie administrative, il n’a pas trouvé mieux que d’utiliser ses supports médiatiques pour insulter et dénigrer les gens à longueur de journée. Je ne pense pas que ce soit une attitude responsable et une bonne pratique pour un groupe  qui se dit professionnelle.
 
 
Les groupes que vous venez d’évoquer n’ont pas retiré leurs chèques. Quelle sera la destination des montants qui leur sont alloués?
 
Là, il y a deux options possibles. Soit l’argent retourne au Trésor public ou il est réattribué à d'autres organes qui ont été omis et qui ont fait des recours. Nous attendons la fin du processus pour en  décider.
 
L'échéance c'est jusqu'à quand ?
 
C'est selon les procédures du Trésor public.
 
Vous avez dit que c'est la première fois que la distribution se fait sans tapage. N'est-ce pas le contexte de crise dans lequel baignent les entreprises de presse qui l'exige et non pas parce que les patrons de presse sont d'accord avec la répartition ?
 
On ne demande pas aux gens de créer des entreprises pour que le gouvernement paie les salaires et les dépenses à leur place. Si vous créez  une entreprise de presse c'est parce que vous avez un business plan. L'aide à la presse comme son nom l'indique ne vient qu'en appoint. Et je crois que s'il n'y a pas de contestation majeure cette année c'est parce que cette fois-ci, le ministère a fait un bon travail, un travail  apprécié d’ailleurs positivement par l’écrasante majorité des acteurs concernés, d’où les nombreux témoignages que nous avons reçus dans ce sens.

Jean Louis DJIBA

Mardi 6 Aout 2013 05:00


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