Un moment de grâce. À l’occasion du festival des Francophonies, Les Zébrures d’automne, à Limoges, en France, Felwine Sarr a présenté avec le comédien burkinabè Étienne Minoungou et le musicien burkinabè Simon Winsé un spectacle sur la force politique de la poésie et la poésie d’une pensée politique pour faire le monde « autrement ».
RFI : Vous avez intitulé ce spectacle Habiter le monde poétiquement. La poésie, quelle place occupe-t-elle dans votre vie ?
Felwine Sarr : La poésie est fondamentale. Elle m’a nourri quand j’étais jeune adolescent. J’ai beaucoup fréquenté les textes qu’on a interprétés aujourd’hui [la poésie de René Char et Aimé Césaire, NDLR]. Ils m’ont aidé à grandir. Ils ont construit ma sensibilité. Et je suis venu à l’économie et aux autres disciplines bien plus tard, à travers l’université. Je trouve que les poèmes sont des clés et des compagnons de route qui vous accompagnent dans vos pérégrinations et, à un moment donné, vous décillent les yeux, vous ouvre le regard sur la réalité et vous font toucher des dimensions profondes et existentielles.
J’ai toujours trouvé les réponses dans les textes de poésie. J’y ai toujours trouvé des éclaircissements. C’est une quête qui - à travers de l’espace du langage – cherche à toucher quelque chose qui est fondamental, qui est parfois difficilement dicible, mais qui nous constitue. J’ai grandi en fréquentant ces textes et énormément d’auteurs. Là, c’était un dialogue entre René Char et Aimé Césaire, deux de mes grands maîtres, mais j’en ai plusieurs, comme Djalâl ad-DînRûmi [grand poète mystique persan du XIIIe siècle, NDLR], avec qui j’ai dialogué dans un temps diachronique toutes ces dernières années.
Vous êtes connu pour votre essai Afrotopia, une utopie africaine essayant à repositionner l’Afrique. Quel est le rôle de la francophonie dans ce repositionnement ? Est-ce plutôt un outil de domination culturelle ou un atelier de la pensée pour vous ?
La langue devrait être un espace de dialogue, d’échange et de féconde mutualité. On est actuellement plus de 200 millions de locuteurs du français dans le monde, avec une majorité d'Africains. C’est une langue qui est arrivée avec l’histoire coloniale et la violence de l’histoire coloniale. Mais, je me dis, un siècle et demi après, on devrait se l’approprier comme une de nos langues. Elle doit devenir une des langues d'Afrique, ce n’est pas une langue africaine d’origine. Et comme le dit Aimé Césaire, les langues et les mots sont des armes miraculeuses. Plus on en a, plus on a de mondes et d’univers.
Le reproche que je ferais à une certaine idée de la francophonie, c’est cette idée de centre et de périphérie, cette idée de domination culturelle. Qu’on conçoit la langue comme un lieu de conquête et un instrument d’hégémonie culturelle. Alors qu’on pourrait en faire justement un instrument d’horizontalité et un espace de rencontres. Et c’est peut-être cet imaginaire-là qu’il faut quitter. Un imaginaire de la conquête et de subjugation vers un imaginaire d’horizontalité et la rencontre dans l’espace de la langue.
Le rapport sur la restitution des œuvres africaines que vous avez écrit avec Bénédicte Savoy et remis, il y a un an, au président français Macron, a suscité beaucoup de réactions. Quel est pour vous, jusqu’à aujourd’hui, l’élément le plus important parmi ces répercussions ?
Il y en avait plusieurs et c’était intéressant. Certains étaient pour. Et j’ai remarqué qu’ils étaient jeunes. Qu’il y avait probablement un clivage générationnel. Beaucoup de jeunes étaient progressistes sur la question. Ils ont compris qu’il fallait faire « monde » autrement. Et cet « autrement » était d’articuler une autre éthique relationnelle. On peut hériter une manière de faire - des objets étaient spoliés pour la plupart - mais on peut décider soi-même de construire une histoire différente au présent. Dire : « Voilà, j’entre dans un rapport de partage de cet héritage-là qui était le vôtre, que nous avons pris par la violence et la force, mais nous, on peut décider d’articuler une autre économie de l’échange. » Ça, je l’ai trouvé chez énormément de jeunes.
J’ai trouvé aussi des gens qui étaient complètement contre et chez qui j’ai lu un rejet d’interroger une histoire, une histoire coloniale. Un refus de sortir d’un inconscient qui a été forgé par une relation asymétrique. Je me suis rendu compte que le travail pour décoloniser les mentalités et les imaginaires restaient encore à faire chez certains. Cette histoire de restitution a soulevé un certain nombre de… C’est comme si l’on soulevait une chape de plomb et les présupposés sont là, de manière consciente ou inconsciente. J’ai entendu des choses ahurissantes, qui relevaient de ces présupposés qui fondaient le regard qu’on avait sur les autres. Il y avait là un espace à soigner et à traiter, au vrai sens clinique du terme.
Le rapport a été lu dans plusieurs géographies du monde. Et j’ai le sentiment qu’il y a quelque chose qui se mettait en marche et qui appelait à une réarticulation de la relation, à redéfinir les rapports, à aller vers plus d’équité, vers plus de réciprocité, à faire circuler ces objets dans d’autres géographies, à reconsidérer leur histoire et à faire acte de justice et de rééquilibrage.
Avec Bénédicte Savoy, on était dans plusieurs lieux. C’est ce sentiment-là qui domine. En Afrique, bien évidemment, ils étaient très heureux que l’on entame un tel processus. Même s’ils savent que les choses seront longues et difficiles.
RFI : Vous avez intitulé ce spectacle Habiter le monde poétiquement. La poésie, quelle place occupe-t-elle dans votre vie ?
Felwine Sarr : La poésie est fondamentale. Elle m’a nourri quand j’étais jeune adolescent. J’ai beaucoup fréquenté les textes qu’on a interprétés aujourd’hui [la poésie de René Char et Aimé Césaire, NDLR]. Ils m’ont aidé à grandir. Ils ont construit ma sensibilité. Et je suis venu à l’économie et aux autres disciplines bien plus tard, à travers l’université. Je trouve que les poèmes sont des clés et des compagnons de route qui vous accompagnent dans vos pérégrinations et, à un moment donné, vous décillent les yeux, vous ouvre le regard sur la réalité et vous font toucher des dimensions profondes et existentielles.
J’ai toujours trouvé les réponses dans les textes de poésie. J’y ai toujours trouvé des éclaircissements. C’est une quête qui - à travers de l’espace du langage – cherche à toucher quelque chose qui est fondamental, qui est parfois difficilement dicible, mais qui nous constitue. J’ai grandi en fréquentant ces textes et énormément d’auteurs. Là, c’était un dialogue entre René Char et Aimé Césaire, deux de mes grands maîtres, mais j’en ai plusieurs, comme Djalâl ad-DînRûmi [grand poète mystique persan du XIIIe siècle, NDLR], avec qui j’ai dialogué dans un temps diachronique toutes ces dernières années.
Vous êtes connu pour votre essai Afrotopia, une utopie africaine essayant à repositionner l’Afrique. Quel est le rôle de la francophonie dans ce repositionnement ? Est-ce plutôt un outil de domination culturelle ou un atelier de la pensée pour vous ?
La langue devrait être un espace de dialogue, d’échange et de féconde mutualité. On est actuellement plus de 200 millions de locuteurs du français dans le monde, avec une majorité d'Africains. C’est une langue qui est arrivée avec l’histoire coloniale et la violence de l’histoire coloniale. Mais, je me dis, un siècle et demi après, on devrait se l’approprier comme une de nos langues. Elle doit devenir une des langues d'Afrique, ce n’est pas une langue africaine d’origine. Et comme le dit Aimé Césaire, les langues et les mots sont des armes miraculeuses. Plus on en a, plus on a de mondes et d’univers.
Le reproche que je ferais à une certaine idée de la francophonie, c’est cette idée de centre et de périphérie, cette idée de domination culturelle. Qu’on conçoit la langue comme un lieu de conquête et un instrument d’hégémonie culturelle. Alors qu’on pourrait en faire justement un instrument d’horizontalité et un espace de rencontres. Et c’est peut-être cet imaginaire-là qu’il faut quitter. Un imaginaire de la conquête et de subjugation vers un imaginaire d’horizontalité et la rencontre dans l’espace de la langue.
Le rapport sur la restitution des œuvres africaines que vous avez écrit avec Bénédicte Savoy et remis, il y a un an, au président français Macron, a suscité beaucoup de réactions. Quel est pour vous, jusqu’à aujourd’hui, l’élément le plus important parmi ces répercussions ?
Il y en avait plusieurs et c’était intéressant. Certains étaient pour. Et j’ai remarqué qu’ils étaient jeunes. Qu’il y avait probablement un clivage générationnel. Beaucoup de jeunes étaient progressistes sur la question. Ils ont compris qu’il fallait faire « monde » autrement. Et cet « autrement » était d’articuler une autre éthique relationnelle. On peut hériter une manière de faire - des objets étaient spoliés pour la plupart - mais on peut décider soi-même de construire une histoire différente au présent. Dire : « Voilà, j’entre dans un rapport de partage de cet héritage-là qui était le vôtre, que nous avons pris par la violence et la force, mais nous, on peut décider d’articuler une autre économie de l’échange. » Ça, je l’ai trouvé chez énormément de jeunes.
J’ai trouvé aussi des gens qui étaient complètement contre et chez qui j’ai lu un rejet d’interroger une histoire, une histoire coloniale. Un refus de sortir d’un inconscient qui a été forgé par une relation asymétrique. Je me suis rendu compte que le travail pour décoloniser les mentalités et les imaginaires restaient encore à faire chez certains. Cette histoire de restitution a soulevé un certain nombre de… C’est comme si l’on soulevait une chape de plomb et les présupposés sont là, de manière consciente ou inconsciente. J’ai entendu des choses ahurissantes, qui relevaient de ces présupposés qui fondaient le regard qu’on avait sur les autres. Il y avait là un espace à soigner et à traiter, au vrai sens clinique du terme.
Le rapport a été lu dans plusieurs géographies du monde. Et j’ai le sentiment qu’il y a quelque chose qui se mettait en marche et qui appelait à une réarticulation de la relation, à redéfinir les rapports, à aller vers plus d’équité, vers plus de réciprocité, à faire circuler ces objets dans d’autres géographies, à reconsidérer leur histoire et à faire acte de justice et de rééquilibrage.
Avec Bénédicte Savoy, on était dans plusieurs lieux. C’est ce sentiment-là qui domine. En Afrique, bien évidemment, ils étaient très heureux que l’on entame un tel processus. Même s’ils savent que les choses seront longues et difficiles.