Spécialiste de la Côte d’Ivoire, ex-rédacteur en chef de La lettre du continent (revue de référence sur l’information africaine) et auteur de nombreux ouvrages sur l’Afrique, Antoine Glaser estime qu’Alassane Ouattara pourrait être tenté par la stratégie suivante: laisser la Cour pénale internationale (CPI) instruire le procès du couple Gbagbo et du général Blé Goudé, tandis que les tribunaux ivoiriens jugeraient la nomenklatura de l’ancien régime.
Les autorités ivoiriennes veulent juger Laurent Gbagbo. Est-ce vraiment une décision judicieuse?
Cette décision est plus politique que «judicieuse». Elle vise surtout à confirmer que Laurent Gbagbo était bien «hors-la-loi» depuis l'élection du 30 novembre 2010.
Le fait de juger des dirigeants africains ne les incitent-il pas à rester coûte que coûte au pouvoir? Charles Taylor s’était vu promettre l’immunité afin de l’inciter à quitter le pouvoir; un an plus tard, il était traduit devant le Tribunal pénal international. Cette «jurisprudence Taylor» n’a-t-elle pas poussé Gbagbo à s’accrocher jusqu’au bout au pouvoir?
Non, je ne crois pas. Historien, qui a perdu le sens de l'histoire démocratique, Laurent Gbagbo a surtout péché par orgueil, n'imaginant pas une seconde qu'Alassane Ouattara pouvait le battre dans les urnes dans une alliance houphouëtiste [au second tour de la présidentielle de novembre 2011, Henri Konan Bédié, successeur de Félix Houphouët-Boigny, avait appelé à voter pour Alassane Ouattara. Ces deux hommes se réclament de l’héritage politique d’Houphouët-Boigny, au pouvoir de 1960 à 1993, ndlr].
La «jurisprudence Taylor» n'a pas joué pour lui car à aucun moment Gbagbo n'a songé à quitter le pouvoir autrement que par la force. Ce ne sont pas les propositions de négociations qui ont manqué.
Faut-il également juger l’entourage de Gbagbo?
A ma connaissance, seuls Laurent Gbagbo, Simone Gbagbo et le «Général» Blé Goudé (s'il est toujours vivant) seront soumis aux enquêtes de la CPI. Les autres membres de l'entourage de l'ancien chef de l'Etat seront poursuivis par des tribunaux nationaux pour détournements de fonds publics.
Quels sont les réseaux de Laurent Gbagbo? Existent-ils encore? Pourront-ils lui venir en aide?
Il faut rappeler que 46% des électeurs ivoiriens ont choisi Gbagbo au deuxième tour et qu'il avait obtenu la majorité des voix à Abidjan, la capitale économique. Le courant politique qui l'a soutenu va sans aucun doute imploser entre d'anciens barons réfugiés à l'étranger et des «obligés» du Premier ministre, Guillaume Soro. L'argent, nerf de la guerre, va être déterminant, d'où le lancement de procédures judiciaires à l'étranger, comme en Suisse pour récupérer des avoirs placés par le régime Gbagbo.
Faut-il confier le procès à la justice internationale ou aux tribunaux ivoiriens?
La stratégie de Ouattara serait la suivante: laisser la CPI instruire le procès du couple Gbagbo et de Blé Goudé (ministre de la Jeunesse de Gbagbo et chef des «jeunes patriotes») pour crimes contre l'humanité et crimes de guerre, et confier aux tribunaux ivoiriens des procès contre la nomenklatura de l'ancien régime pour détournements de fonds publics.
C'est pour mettre en œuvre cette stratégie qu'outre l'avocat Jean-Paul Benoît, un très vieil ami d'Alassane Ouattara, ont été activés par le nouveau régime Jean-Pierre Mignard, spécialiste de droit international en matière pénal (DEA de Sciences criminelles à l'Université Paris I Sorbonne) et Jean-Michel Darrois (proche autant de Nicolas Sarkozy que de Laurent Fabius), spécialiste du droit financier —pour le volet blanchiment. Ces avocats ont été choisis par le président Alassane Ouattara.
De son côté, le ministre de la Justice Jeannot Ahoussou-Kouadio a saisi l'avocat Mario Stasi qui œuvre déjà en Suisse avec Bruno de Preux sur les avoirs de l'ancien régime en Suisse. Certains de ces avocats seront également chargés d'examiner les concessions signées par Laurent Gbagbo avec des groupes étrangers —lire français.
Une commission vérité et réconciliation a-t-elle une chance de voir le jour en Côte d’Ivoire?
Contrairement à ce qui s'est fait dans l'Afrique du Sud postapartheid, la Commission pour le dialogue, la vérité et la réconciliation est, en Côte d'Ivoire, un habillage politique. Président de cette commission ivoirienne, Charles Konan Banny n'est pas Desmond Tutu, Prix Nobel de Paix en 1984 et président de la commission sud-africaine. Et Alassane Ouattara n'est pas plus Nelson Mandela… On est dans la fantasmagorie de la réconciliation. La Côte d'Ivoire a davantage besoin de régler des problèmes d'«ivoirité» et de foncier, très éloignés de l'exorcisme de l'aveu et du pardon de la période postapartheid.
L’appel à la justice internationale ne va-t-il pas permettre à Ouattara de se débarrasser de certains de ses rivaux au sein des ex-Forces nouvelles, ceux qui ont le plus de sang sur les mains?
Afin de ne pas gêner le Premier ministre Guillaume Soro —qui l'a fait roi accompagné des hélicoptères français— le président Alassane Ouattara ne va pas lancer d'enquêtes ou de procédures judiciaires avant l'élection du 30 novembre 2011. Seules les exactions postélectorales des Forces républicaines de Côte d'Ivoire (en majorité des ex-rebelles, proches de Guillaume Soro), dénoncées par des organisations des droits de l'homme, pourraient être poursuivies.
Le dernier acte emblématique a été l'élimination d'Ibrahim «IB» Coulibaly par les lieutenants de Guillaume Soro et les condoléances de Ouattara à la famille d'IB qui a, par le passé, été le garde du corps de ses propres enfants. Cornélien.
Entre quatre yeux, Alassane Ouattara aurait promis à Guillaume Soro qu'il serait son dauphin à condition qu'il lui garantisse un (ou deux?) mandats sereins. Selon la célèbre formule que l'on prête à Charles Pasqua: «Les promesses n'engagent que ceux qui les écoutent.»
La réconciliation est-elle possible en Côte d’Ivoire?
Oui, si elle passe par des actes d'équité, de lutte contre l'impunité et de protection des communautés qui se sentent les plus menacées par le changement de régime. Hard job pour Ouattara, l'ancien directeur général adjoint du Fonds monétaire international et de son futur Premier ministre, qui sera choisi par son «allié» l'ancien président Henri Konan Bédié.
Les autorités ivoiriennes veulent juger Laurent Gbagbo. Est-ce vraiment une décision judicieuse?
Cette décision est plus politique que «judicieuse». Elle vise surtout à confirmer que Laurent Gbagbo était bien «hors-la-loi» depuis l'élection du 30 novembre 2010.
Le fait de juger des dirigeants africains ne les incitent-il pas à rester coûte que coûte au pouvoir? Charles Taylor s’était vu promettre l’immunité afin de l’inciter à quitter le pouvoir; un an plus tard, il était traduit devant le Tribunal pénal international. Cette «jurisprudence Taylor» n’a-t-elle pas poussé Gbagbo à s’accrocher jusqu’au bout au pouvoir?
Non, je ne crois pas. Historien, qui a perdu le sens de l'histoire démocratique, Laurent Gbagbo a surtout péché par orgueil, n'imaginant pas une seconde qu'Alassane Ouattara pouvait le battre dans les urnes dans une alliance houphouëtiste [au second tour de la présidentielle de novembre 2011, Henri Konan Bédié, successeur de Félix Houphouët-Boigny, avait appelé à voter pour Alassane Ouattara. Ces deux hommes se réclament de l’héritage politique d’Houphouët-Boigny, au pouvoir de 1960 à 1993, ndlr].
La «jurisprudence Taylor» n'a pas joué pour lui car à aucun moment Gbagbo n'a songé à quitter le pouvoir autrement que par la force. Ce ne sont pas les propositions de négociations qui ont manqué.
Faut-il également juger l’entourage de Gbagbo?
A ma connaissance, seuls Laurent Gbagbo, Simone Gbagbo et le «Général» Blé Goudé (s'il est toujours vivant) seront soumis aux enquêtes de la CPI. Les autres membres de l'entourage de l'ancien chef de l'Etat seront poursuivis par des tribunaux nationaux pour détournements de fonds publics.
Quels sont les réseaux de Laurent Gbagbo? Existent-ils encore? Pourront-ils lui venir en aide?
Il faut rappeler que 46% des électeurs ivoiriens ont choisi Gbagbo au deuxième tour et qu'il avait obtenu la majorité des voix à Abidjan, la capitale économique. Le courant politique qui l'a soutenu va sans aucun doute imploser entre d'anciens barons réfugiés à l'étranger et des «obligés» du Premier ministre, Guillaume Soro. L'argent, nerf de la guerre, va être déterminant, d'où le lancement de procédures judiciaires à l'étranger, comme en Suisse pour récupérer des avoirs placés par le régime Gbagbo.
Faut-il confier le procès à la justice internationale ou aux tribunaux ivoiriens?
La stratégie de Ouattara serait la suivante: laisser la CPI instruire le procès du couple Gbagbo et de Blé Goudé (ministre de la Jeunesse de Gbagbo et chef des «jeunes patriotes») pour crimes contre l'humanité et crimes de guerre, et confier aux tribunaux ivoiriens des procès contre la nomenklatura de l'ancien régime pour détournements de fonds publics.
C'est pour mettre en œuvre cette stratégie qu'outre l'avocat Jean-Paul Benoît, un très vieil ami d'Alassane Ouattara, ont été activés par le nouveau régime Jean-Pierre Mignard, spécialiste de droit international en matière pénal (DEA de Sciences criminelles à l'Université Paris I Sorbonne) et Jean-Michel Darrois (proche autant de Nicolas Sarkozy que de Laurent Fabius), spécialiste du droit financier —pour le volet blanchiment. Ces avocats ont été choisis par le président Alassane Ouattara.
De son côté, le ministre de la Justice Jeannot Ahoussou-Kouadio a saisi l'avocat Mario Stasi qui œuvre déjà en Suisse avec Bruno de Preux sur les avoirs de l'ancien régime en Suisse. Certains de ces avocats seront également chargés d'examiner les concessions signées par Laurent Gbagbo avec des groupes étrangers —lire français.
Une commission vérité et réconciliation a-t-elle une chance de voir le jour en Côte d’Ivoire?
Contrairement à ce qui s'est fait dans l'Afrique du Sud postapartheid, la Commission pour le dialogue, la vérité et la réconciliation est, en Côte d'Ivoire, un habillage politique. Président de cette commission ivoirienne, Charles Konan Banny n'est pas Desmond Tutu, Prix Nobel de Paix en 1984 et président de la commission sud-africaine. Et Alassane Ouattara n'est pas plus Nelson Mandela… On est dans la fantasmagorie de la réconciliation. La Côte d'Ivoire a davantage besoin de régler des problèmes d'«ivoirité» et de foncier, très éloignés de l'exorcisme de l'aveu et du pardon de la période postapartheid.
L’appel à la justice internationale ne va-t-il pas permettre à Ouattara de se débarrasser de certains de ses rivaux au sein des ex-Forces nouvelles, ceux qui ont le plus de sang sur les mains?
Afin de ne pas gêner le Premier ministre Guillaume Soro —qui l'a fait roi accompagné des hélicoptères français— le président Alassane Ouattara ne va pas lancer d'enquêtes ou de procédures judiciaires avant l'élection du 30 novembre 2011. Seules les exactions postélectorales des Forces républicaines de Côte d'Ivoire (en majorité des ex-rebelles, proches de Guillaume Soro), dénoncées par des organisations des droits de l'homme, pourraient être poursuivies.
Le dernier acte emblématique a été l'élimination d'Ibrahim «IB» Coulibaly par les lieutenants de Guillaume Soro et les condoléances de Ouattara à la famille d'IB qui a, par le passé, été le garde du corps de ses propres enfants. Cornélien.
Entre quatre yeux, Alassane Ouattara aurait promis à Guillaume Soro qu'il serait son dauphin à condition qu'il lui garantisse un (ou deux?) mandats sereins. Selon la célèbre formule que l'on prête à Charles Pasqua: «Les promesses n'engagent que ceux qui les écoutent.»
La réconciliation est-elle possible en Côte d’Ivoire?
Oui, si elle passe par des actes d'équité, de lutte contre l'impunité et de protection des communautés qui se sentent les plus menacées par le changement de régime. Hard job pour Ouattara, l'ancien directeur général adjoint du Fonds monétaire international et de son futur Premier ministre, qui sera choisi par son «allié» l'ancien président Henri Konan Bédié.