La crise couvait depuis plusieurs semaines entre le président José Mario Vaz (Jomav) et son Premier ministre Domingos Simões Pereira (DSP), arrivés au pouvoir à l’été 2014 et tous deux issus du puissant Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC).
Mais le 6 août, la tension est montée d’un cran lorsque DSP a annoncé lui-même que Jomav avait l’intention de le destituer. Dans les jours qui ont suivi, des tentatives de médiation ont été entreprises. Aux côtés de son homologue guinéen Alpha Condé, le président sénégalais Macky Sall a convié José Mario Vaz à Dakar pour déminer le terrain. Le Conseil d’État bissau-guinéen s’est également efforcé de dénouer la crise.
Cinq jours de tractations qui n’auront finalement rien changé : José Mario Vaz campe sur ses positions malgré la forte opposition interne et internationale.
Pourquoi José Mario Vaz a-t-il destitué le gouvernement ?
Le président Vaz a estimé qu’il ne pouvait plus faire confiance au gouvernement, dénonçant notamment un « manque de transparence dans l’attribution des marchés publics, la corruption, le népotisme, des obstructions à la justice ». Une référence aux démêlés judiciaires de plusieurs ministres, dont celui des Affaires étrangères, soupçonné d’être impliqué dans une affaire de corruption.
Un argumentaire loin de convaincre Agnelo Regalla, désormais ex-ministre de la Communication et président du Rassemblement pour le changement (UM). « Les éléments invoqués par le président ne tiennent pas. Le Premier ministre s’était montré ouvert à un remaniement pour satisfaire aux exigences du président », explique-t-il.
«La vraie raison, c’est que José Mario Vaz est jaloux de son Premier ministre »
Selon plusieurs caciques du PAIGC, la popularité de DSP aurait fait de l’ombre au président. « La vraie raison, c’est que José Mario Vaz est jaloux de son Premier ministre », commente un cadre du parti. « Il voudrait piloter l’action gouvernementale mais la Constitution ne lui offre pas cette prérogative. »
Au-delà des querelles de personnes, le régime semi-présidentiel conduit à intervalles réguliers le président et le Premier ministre à se marcher sur les pieds. « Nos institutions sont conflictuelles, analyse un homme politique aujourd’hui en retrait. Il n’est plus possible de demeurer à mi-chemin entre un régime présidentiel et un régime parlementaire, nous ne devons avoir qu’une seule tête au sommet de l’exécutif. » Ce bicéphalisme n’a pourtant jamais été réformé.
« Le Premier ministre a complètement outrepassé ses prérogatives, estime pour sa part Mamadu Iaia Djalo, conseiller du président Vaz et président du Parti de la nouvelle démocratie (PND). Il ne faut pas qu’il oublie que s’il conduit la politique du gouvernement, il doit aussi répondre de ses actions devant le président. »
Que va-t-il se passer maintenant ?
Le président Vaz doit désormais désigner un nouveau Premier ministre, lequel lui soumettra la composition de son gouvernement. Le successeur de DSP devra ensuite obtenir le vote de confiance de l’Assemblée nationale populaire lors de la présentation de son programme de politique générale.
Un premier problème va se poser à Jomav. Les statuts du PAIGC sont en effet clairs sur le fait qu’en cas de victoire aux législatives, c’est le président du parti qui doit être nommé au poste de Premier ministre. Or, le parti est présidé depuis février 2014 par DSP qui tirait justement sa légitimité de Premier ministre des élections législatives remportées par le PAIGC deux mois plus tard.
« On ne peut pas contourner les statuts sur ce point », estime Luiz Melo, le président de la commission juridique du PAIGC. D’autant que selon plusieurs sources convergentes dans les rangs du principal parti bissau-guinéen, la position de José Mario Vaz y serait « minoritaire ».
Deuxième défi : son futur Premier ministre devra obtenir la majorité des suffrages des députés lors du vote de confiance, alors que les deux poids lourds de l’Assemblée, le PAIGC (57 sièges sur 102) et le Parti de la rénovation sociale (PRS, 41 sièges), désapprouvaient, à la veille de son annonce officielle, le coup de force de Jomav.
Si les députés devaient lui refuser à deux reprises ce vote de confiance, le nouveau Premier ministre se retrouverait contraint de présenter sa démission. Un scénario ouvrant la voie à une dissolution de l’Assemblée par le président de la République.
Existe-t-il un risque de dérapage ?
C’est la principale crainte. Dans un pays où coups d’État et violences politiques se succèdent depuis 35 ans, le clash entre le président et son Premier ministre porte en germes un risque de crise profonde qui renverrait la Guinée-Bissau à ses vieux démons.
Si les tensions entre DSP et Jomav devaient métastaser en conflit entre le président et les députés, se dessinerait en effet le scénario du pire. À savoir, une dissolution de l’Assemblée qui impliquerait l’organisation de nouvelles législatives – théoriquement dans les 3 mois. Une perspective que nul ne souhaite voir se réaliser, un an seulement après les élections à hauts risques de 2014, plusieurs fois reportées.
Le positionnement de l’armée en cas de crise institutionnelle suscite également des inquiétudes. Car en Guinée-Bissau, les militaires ont une fâcheuse tendance à interférer avec la conduite des affaires publiques, comme ils l’ont montré en avril 2012 en interrompant par les armes le processus électoral. « Jusqu’à hier, les casernes étaient calmes, mais depuis ce matin je ne ne peux plus en juger », témoigne Cadi Mane, la ministre de la Défense du gouvernement déchu.