TÉMOIGNAGES - Les chercheurs sous-estimaient alors ce virus, appelé parfois le "syndrome gay".
Triste anniversaire. Le 20 mai 1983, il y a 30 ans jour pour jour, paraissait dans la revue américaine Science le tout premier article décrivant le virus du Sida, signé par une équipe de chercheurs français qui n'imaginaient pas, à l'époque, que le combat serait si long.
Isolé d'un ganglion. Ce jour là, ils sont en effet douze trentenaires à signer l'article, emmenés par le professeur Montagnier. Ils y décrivent pour la première fois le fonctionnement d'un virus baptisé "LAC" (Lymphadenopathy Associated Virus), isolé après plusieurs semaines de recherche sur le ganglion d'un patient. À l'époque, ces travaux sont totalement marginaux, car les services de maladies infectieuses ne comptent en France que quelques dizaines de cas de Sida. Françoise Barré-Sinoussi, co-découvreuse du virus, raconte au micro d'Europe1 qu'elle ne s'imaginait "absolument pas" que le virus deviendrait le fléau qu'il est aujourd'hui. "Il y avait une cinquantaine de cas. On n'avait pas encore la notion de ce qu'il se passait en Afrique et de l'ampleur que ça allait prendre".
Un sujet tabou. "À l'époque, on l'appelait le syndrome gay, ou la maladie des 4 H (homosexuels, héroïnomanes, hémophiles et Haïtiens)", se souvient Françoise Barré-Sinoussi, Prix Nobel de médecine 2008. "Le grand public parlait, à tort, de cancer gay. Et le sujet était tellement tabou qu'aucun message de prévention n'était diffusé", se rappelle également Gilles Pialou, chef de service à l'hôpital Tenon de Paris, interrogé par Europe1. "Pourtant, on savait déjà qu'il s'agissait d'une maladie sexuellement transmissible. Il y avait une peur telle de la stigmatisation qu'on ne parlait pas du préservatif, sauf dans des revues très spécialisées", raconte encore le médecin.
L'espoir d'un vaccin. À l'époque également, les chercheurs estimaient qu'un vaccin allait émerger rapidement, le délai de deux ans étant même souvent évoqué. Mais 30 ans après, on attend toujours cette solution miracle. "On n'en est pas au point mort", estime toutefois Françoise Barré-Sinoussi. "Il y a beaucoup d'échecs. Mais des échecs, on apprend. Il existe des anticorps très puissants. Les stratégies du future consistent à faire en sorte de provoquer ces anticorps. À l'échelle de la science, 30 ans, c'est très court", détaille-t-elle.
Le "début de la fin" de l'épidémie" ? Aujourd'hui, certains chercheurs "parlent de début de la fin de l'épidémie", souligne même la scientifique. Mais elle n'est pas aussi optimiste. "Sur le principe, si tout les patients étaient sous traitement, on devrait pouvoir y arriver. Dans la réalité, on est loin de ça. Tous ceux qui ont besoin d'être traités ne le sont pas. Certains ne le savent même pas et peuvent transmettre le virus", estime-t-elle. Selon Françoise Barré-Sinoussi toutefois, on peut aujourd'hui "vivre de façon quasi normale avec le Sida". "Ceux qui en meurent aujourd'hui, dans les pays développés en tout cas, sont ceux qui sont diagnostiqués très très tard", affirmé-t-elle, insistant donc sur le rôle crucial des politiques de prévention.