Contradiction du droit et de l’être
Karl Marx décelait, dans 18 Brumaire de Louis Bonaparte, une contradiction entre la stratification des classes sociales de la France médiévale (la noblesse, le clergé, et le bas peuple) comme un état de droit, et leur homogénéisation comme un état de fait. En termes clairs, les classes sociales étaient juridiquement stratifiées selon les origines sociales des individus, mais la mobilité sociale était un fait réel. Elle concernait davantage les Bourgeois.
Cette contradiction peut être décelée dans la pratique de la mendicité par les taalibe. En effet, le code pénal sénégalais interdit, dans son article 245, la mendicité en la considérant comme un comportement criminel, et prévoit, pour son auteur, une peine d’emprisonnement de 3 à 6 mois.
Mais, les Ong ayant constaté que le code pénal sénégalais ne protégeait pas assez les enfants-mendiants, ont exigé de l’État du Sénégal une harmonisation de la législation nationale sénégalaise avec le Protocole sur la Traite des Personnes. Satisfaisant à ces exigences, l’État du Sénégal fait voter, le 10 mai 2005, à l’Assemblée Nationale la loi 2005-06 qui criminalise officiellement la mendicité des enfants d’un emprisonnement de 5 à 10 ans et d’une amende de 5 à 20 millions de francs. Ce qui implique que juridiquement la mendicité des enfants-taalibe est interdite.
Paradoxalement, malgré l’existence d’une telle loi, il est possible d’apercevoir quotidiennement à Dakar et dans toutes les grandes villes sénégalaises, les enfants-mendiants, que l’on appelle à tort ou à raison taalibe, quémander, en pleine journée, dans les espaces publics, aussi bien dans les marchés, dans les cimetières, au niveau des mosquées, dans les gares routières et ferroviaires, au niveau des stations de service, sur les trottoirs des grandes artères, dans les établissements scolaires, au niveau des feux rouges, au niveau des entrées des banques, au niveau des centres commerciaux, qu’au niveau des grands restaurants.
Il se pose alors la dialectique du droit et de l’être, c'est-à-dire la dialectique de la mendicité des enfant-taalibe qui est juridiquement interdite, mais qui dans les faits existe et semble être tolérée par les Sénégalais qui donnent de l’aumône aux mendiants. Dès lors, il devient impératif de dépasser cette contradiction. Mais, de quelle manière l’État procède pour résoudre la problématique de la mendicité des enfants-taalibe ?
Répression des seriñ-daara
L’État du Sénégal semble ne pas avoir trouvé la bonne solution quant à l’éradication de la mendicité. La méthode qu’il semble privilégier est celle répressive, et ce depuis 2010. Et c’est suite aux pressions des bailleurs de fonds occidentaux, particulièrement des États-Unis d’Amérique et du Royaume des Pays-Bas, que l’État, a décidé d’user de la méthode répressive. Par conséquent, il a décidé le 25 Août 2010, lors d’un conseil interministériel tenu au Méridien Président, de procéder à l’arrestation de tout seriñ-daara qui fait mendier son taalibe.
Mais, le président Abdoulaye Wade, étant conscient de l’impopularité d’une telle mesure, a été obligé d’ordonner, au cours d’un conseil des ministres tenu le jeudi 7 octobre 2010, sa levée. L’actuel premier ministre Abdoul Mbaye, au lieu de s’inspirer de cette volte-face avant de prendre une quelconque mesure sur la mendicité des taalibe décrète, à nouveau, le 6 mars 2013, de l’arrestation des seriñ-daara qui font mendier leurs taalibe. Une semaine plus tard, plus précisément le jeudi 14 mars 2013, le président Macky Sall révoque la décision de son premier ministre au cours d’une audience accordée à la Fédération des associations d’écoles coraniques du Sénégal.
Mais, nous défendons et avons soutenu, à plusieurs reprises, que les méthodes répressives ne peuvent pas avoir les résultats escomptés. Durant l’époque coloniale, les autorités françaises s’en étaient servi dans l’optique de réformer les daara ou de combattre la mendicité, mais les résultats ont été plus que décevants. Ce fut, d’abord, Louis Faidherbe qui, à travers l’arrêté n° 96 du 22 juin 1857, se souciant, selon ses dires, de l’éducation des enfants, a signé cet arrêté afin de fermer les daara qui ne sont pas ouvertes sans une autorisation, au préalable, du gouverneur du Sénégal. Ensuite, le gouverneur du Sénégal a signé des arrêtés dont celui du 18 octobre 1892 qui, dans son article 55, interdit aux daara de recevoir des apprenants durant les heures de cours des écoles françaises. Cet arrêté est suivi par celui n° 123 du 9 mai 1896 qui réaffirme que personne ne peut tenir une daara sans être munie d’une autorisation venant du gouverneur et interdit la mendicité des taalibe.
Les autorités coloniales, en signant de tels arrêtés, disposaient d’une puissance militaire leur permettant d’incendier la daara du Seriñ Pire Boubacar Penda Yéri Fall en 1869, ou d’exiler Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké au Gabon en 1895, sans pour autant être inquiétées. Mais, ces répressions ont plutôt rehaussé l’image de Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké et de la daara de Pire. Pareillement, l’arrestation des seriñ-daara pour cause d’incitation à la mendicité fait d’eux des martyrs aux yeux des Sénégalais et aiguise leur sentiment d’identité religieuse.
D’ailleurs, Paul Marty était conscient que les méthodes répressives n’étaient pas appropriées, car « Les réglementations trop sévères vont à l’encontre des buts qu’elles visent. Dans la pratique, l’autorité chargée de l’application du texte hésite dans son exécution, et finalement toutes les dispositions mêmes les plus utiles sont négligées ». Cette remarque de Paul Maul est très pertinente et reste de nos jours valable puisque de nombreux Musulmans continuent à croire qu’arrêter des seriñ-daara, pour cause d’incitation des taalibe à la mendicité, équivaut à s’attaquer ni plus ni moins à l’Islam. L’écoute des émissions interactives peut en attester la preuve. Ignorer cela expose à l’échec des programmes de lutte contre la mendicité des taalibe.
Obstacle à la lutte contre la mendicité
La loi d’interdiction de la mendicité trouve des contradictions en son sein puisque l’État déclare s’en prendre à la mendicité et non à l’aumône. Or, la mendicité n’est rien d’autre que l’acte de demander ou de recevoir de l’aumône. La raison trouve paradoxal qu’un phénomène soit autorisé et que sa manière de faire soit interdite.
Aussi, la lutte contre la mendicité des enfants-taalibe est confrontée à de nombreux obstacles dont les plus importants sont : la manière dont elle est menée par les Ong, la multiplicité et la diversité des structures de l’État qui s’occupent des enfants-taalibe, l’absence de coordination des Ong et des structures de l’État, la non-implication des marabouts-confrériques qui s’intéressent réellement à l’enseignement coranique, la non-implication des véritables seriñ-daara dans les programmes de lutte contre la mendicité, et enfin les réalités socioculturelles sénégalaises qui favorisent l’entraide et encouragent l’aumône.
Les structures de l’État qui s’occupent des enfants-taalibe sont nombreuses et ne coordonnent pas leurs activités. De nombreux ministères et directions s’en occupent parmi lesquels le ministère de la Famille, le ministère de l’Intérieur, le ministère de la Justice, le ministère de l’Éducation, la direction de la Protection civile, etc. L’Inspection des daara ne s’intéresse qu’au volet pédagogique des daara.
Quant aux Ong, elles travaillent d’une manière solitaire, sans coordination entre elles et parfois en développant une rude concurrence entre elles. Chacune travaille de son coté, sans s’occuper des activités des autres. Cette rivalité est due au fait qu’elles dépendent des financements des bailleurs de fonds qui prennent en charge les frais de leurs études et projets et assurent leurs budgets de fonctionnement. Chacune d’elles souhaite récupérer à son propre compte les financements octroyés par ces structures. Aussi les Ong privilégient le plaidoyer, attirant l’attention des institutions internationales et des bailleurs de fonds occidentaux et les exhortant à faire pression sur l’État du Sénégal pour qu’il mette un terme à la mendicité des taalibe. Or, nous pensons que le problème de la mendicité des taalibe ne peut pas être réglé par les institutions internationales, mais par les Sénégalais eux-mêmes. Le problème de la mendicité ne peut même pas être résolu par le gouvernement sans une réelle collaboration des marabouts-confrériques qui sont intéressés par l’enseignement coranique et des véritables seriñ-daara.
Convention des acteurs des daara
Pour dépasser la contradiction du droit et l’être relative à la mendicité des enfants taalibe, nous pensons qu’il est plus pratique d’appliquer la méthode dialectique, c'est-à-dire l’art des raisonnements, ou comme le conçoit Socrate l’art du dialogue, de la discussion, et de la concertation. Nous pensons qu’il est plus pratique d’appliquer la voie d’une convention entre les différents acteurs de l’enseignement coranique, c'est-à-dire entre l’État, les véritable seriñ-daara, les marabouts-confrériques qui s’occupent réellement de l’enseignement coranique, les parents des taalibe, les Ong crédibles, la société civile, etc.
Nous précisons avoir utilisé le terme « seriñ-daara » et non pas ceux « arabisant », « islamologue », « Imam », puisque les seriñ-daara connaissent leurs conditions de vie plus de tout le monde. Et la plupart des Imams et islamologues que nous entendons ces temps-ci se prononcer sur la mendicité des taalibe et qui exhortent l’État à recourir à la répression ne sont que des opportunistes qui n’ont que le seul désir d’entrer dans les grâces de l’État et des bailleurs de fonds occidentaux. Ce sont ces genres d’hommes à qui Dieu disait qu’ils « n’interdisent pas ce qu’Allah et Son messager ont interdit » ; ils ne défendent que les positions défendues par les autorités administratives. C’est pour cette raison que l’État devrait se méfier d’eux s’il veut agir efficacement sur les daara.
D’ailleurs, comment l’État peut-il prendre au sérieux un Imam qui déclare publiquement que 70% des seriñ-daara ne maîtrisent pas le Coran. Comment un Imam qui se respecte peut déclarer de tels propos comme s’il connaissait tous les seriñ-daara de Dakar, ou s’il les avait recensés et évalué leur niveau d’études.
Comment peut-on prendre au sérieux un Imam qui pour faire plaisir à l’État déclare que « L’enfant ne fait pas partie de ceux à qui l’Islam demande de donner l’aumône ». Nous nous demandons : quand est ce que l’Islam pose la question de la mendicité en termes d’âge ? C’est en termes de conditions socio-économiques qu’elle est posée puisque Dieu a déclaré dans la Sourate Tawbat : « Les Sadaxa ne sont destinées que pour les pauvres, pour les indigents, pour ceux qui s’occupent de sa collecte et de sa distribution, pour ceux dont les cœurs sont à gagner à l’Islam, pour les esclaves qui désirent acheter leur affranchissement, pour ceux qui sont endettés, pour ceux qui préparent la Jihaad, et pour le voyageur en détresse ».
Comment l’État-il peut prendre au sérieux un islamologue qui pour lui faire plaisir traite les seriñ-daara d’ignorants et rejette la non mention de la mendicité dans le Coran. Mais, cet islamologue semble méconnaitre que le Coran n’est pas la seule source de droit islamique, mais il en existe dix dont les quatre (le Coran, la Sunna, l’Ijmaa‘h et le Xiyaas) sont unanimement reconnus par les Docteurs de la jurisprudence islamique ». Et Dieu a aussi bien parlé de mendiants, de l’aumône que de la mendicité. Il dit « Prélève de leurs biens une Sadaxa par laquelle tu les purifie et les bénis » ; « Quant au demandeur, ne le repousse pas ». Ici le terme « demandeur » ne signifie rien d’autre que « mendiant » puisqu’un mendiant est venu chez le Prophète Mouhamed à trois reprises, dans une même journée, pour demander de l’aumône. Á la troisième reprise, Omar l’a grondé lui disant « N’es tu pas celui qui vient de demander de l’aumône ici tout à l’heure ». Et Dieu a révélé ce verset disant au Prophète de ne pas repousser le demandeur. Or, la mendicité n’est rien d’autre que cet acte de demander de l’aumône.
Alors, l’État devrait travailler avec les véritables acteurs des daara et reposer la lutte contre la mendicité des taalibe sur une approche sociale visant une réglementation et une prise en charge institutionnelle des véritables seriñ-daara nécessiteux par une subvention ou un soutien socio-économique.
Mouhamadou Mansour Dia
Docteur en Sociologie, chercheur à l’Ucad, spécialisé en sociologie des religions
Email : almansourdia@hotmail.com
Karl Marx décelait, dans 18 Brumaire de Louis Bonaparte, une contradiction entre la stratification des classes sociales de la France médiévale (la noblesse, le clergé, et le bas peuple) comme un état de droit, et leur homogénéisation comme un état de fait. En termes clairs, les classes sociales étaient juridiquement stratifiées selon les origines sociales des individus, mais la mobilité sociale était un fait réel. Elle concernait davantage les Bourgeois.
Cette contradiction peut être décelée dans la pratique de la mendicité par les taalibe. En effet, le code pénal sénégalais interdit, dans son article 245, la mendicité en la considérant comme un comportement criminel, et prévoit, pour son auteur, une peine d’emprisonnement de 3 à 6 mois.
Mais, les Ong ayant constaté que le code pénal sénégalais ne protégeait pas assez les enfants-mendiants, ont exigé de l’État du Sénégal une harmonisation de la législation nationale sénégalaise avec le Protocole sur la Traite des Personnes. Satisfaisant à ces exigences, l’État du Sénégal fait voter, le 10 mai 2005, à l’Assemblée Nationale la loi 2005-06 qui criminalise officiellement la mendicité des enfants d’un emprisonnement de 5 à 10 ans et d’une amende de 5 à 20 millions de francs. Ce qui implique que juridiquement la mendicité des enfants-taalibe est interdite.
Paradoxalement, malgré l’existence d’une telle loi, il est possible d’apercevoir quotidiennement à Dakar et dans toutes les grandes villes sénégalaises, les enfants-mendiants, que l’on appelle à tort ou à raison taalibe, quémander, en pleine journée, dans les espaces publics, aussi bien dans les marchés, dans les cimetières, au niveau des mosquées, dans les gares routières et ferroviaires, au niveau des stations de service, sur les trottoirs des grandes artères, dans les établissements scolaires, au niveau des feux rouges, au niveau des entrées des banques, au niveau des centres commerciaux, qu’au niveau des grands restaurants.
Il se pose alors la dialectique du droit et de l’être, c'est-à-dire la dialectique de la mendicité des enfant-taalibe qui est juridiquement interdite, mais qui dans les faits existe et semble être tolérée par les Sénégalais qui donnent de l’aumône aux mendiants. Dès lors, il devient impératif de dépasser cette contradiction. Mais, de quelle manière l’État procède pour résoudre la problématique de la mendicité des enfants-taalibe ?
Répression des seriñ-daara
L’État du Sénégal semble ne pas avoir trouvé la bonne solution quant à l’éradication de la mendicité. La méthode qu’il semble privilégier est celle répressive, et ce depuis 2010. Et c’est suite aux pressions des bailleurs de fonds occidentaux, particulièrement des États-Unis d’Amérique et du Royaume des Pays-Bas, que l’État, a décidé d’user de la méthode répressive. Par conséquent, il a décidé le 25 Août 2010, lors d’un conseil interministériel tenu au Méridien Président, de procéder à l’arrestation de tout seriñ-daara qui fait mendier son taalibe.
Mais, le président Abdoulaye Wade, étant conscient de l’impopularité d’une telle mesure, a été obligé d’ordonner, au cours d’un conseil des ministres tenu le jeudi 7 octobre 2010, sa levée. L’actuel premier ministre Abdoul Mbaye, au lieu de s’inspirer de cette volte-face avant de prendre une quelconque mesure sur la mendicité des taalibe décrète, à nouveau, le 6 mars 2013, de l’arrestation des seriñ-daara qui font mendier leurs taalibe. Une semaine plus tard, plus précisément le jeudi 14 mars 2013, le président Macky Sall révoque la décision de son premier ministre au cours d’une audience accordée à la Fédération des associations d’écoles coraniques du Sénégal.
Mais, nous défendons et avons soutenu, à plusieurs reprises, que les méthodes répressives ne peuvent pas avoir les résultats escomptés. Durant l’époque coloniale, les autorités françaises s’en étaient servi dans l’optique de réformer les daara ou de combattre la mendicité, mais les résultats ont été plus que décevants. Ce fut, d’abord, Louis Faidherbe qui, à travers l’arrêté n° 96 du 22 juin 1857, se souciant, selon ses dires, de l’éducation des enfants, a signé cet arrêté afin de fermer les daara qui ne sont pas ouvertes sans une autorisation, au préalable, du gouverneur du Sénégal. Ensuite, le gouverneur du Sénégal a signé des arrêtés dont celui du 18 octobre 1892 qui, dans son article 55, interdit aux daara de recevoir des apprenants durant les heures de cours des écoles françaises. Cet arrêté est suivi par celui n° 123 du 9 mai 1896 qui réaffirme que personne ne peut tenir une daara sans être munie d’une autorisation venant du gouverneur et interdit la mendicité des taalibe.
Les autorités coloniales, en signant de tels arrêtés, disposaient d’une puissance militaire leur permettant d’incendier la daara du Seriñ Pire Boubacar Penda Yéri Fall en 1869, ou d’exiler Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké au Gabon en 1895, sans pour autant être inquiétées. Mais, ces répressions ont plutôt rehaussé l’image de Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké et de la daara de Pire. Pareillement, l’arrestation des seriñ-daara pour cause d’incitation à la mendicité fait d’eux des martyrs aux yeux des Sénégalais et aiguise leur sentiment d’identité religieuse.
D’ailleurs, Paul Marty était conscient que les méthodes répressives n’étaient pas appropriées, car « Les réglementations trop sévères vont à l’encontre des buts qu’elles visent. Dans la pratique, l’autorité chargée de l’application du texte hésite dans son exécution, et finalement toutes les dispositions mêmes les plus utiles sont négligées ». Cette remarque de Paul Maul est très pertinente et reste de nos jours valable puisque de nombreux Musulmans continuent à croire qu’arrêter des seriñ-daara, pour cause d’incitation des taalibe à la mendicité, équivaut à s’attaquer ni plus ni moins à l’Islam. L’écoute des émissions interactives peut en attester la preuve. Ignorer cela expose à l’échec des programmes de lutte contre la mendicité des taalibe.
Obstacle à la lutte contre la mendicité
La loi d’interdiction de la mendicité trouve des contradictions en son sein puisque l’État déclare s’en prendre à la mendicité et non à l’aumône. Or, la mendicité n’est rien d’autre que l’acte de demander ou de recevoir de l’aumône. La raison trouve paradoxal qu’un phénomène soit autorisé et que sa manière de faire soit interdite.
Aussi, la lutte contre la mendicité des enfants-taalibe est confrontée à de nombreux obstacles dont les plus importants sont : la manière dont elle est menée par les Ong, la multiplicité et la diversité des structures de l’État qui s’occupent des enfants-taalibe, l’absence de coordination des Ong et des structures de l’État, la non-implication des marabouts-confrériques qui s’intéressent réellement à l’enseignement coranique, la non-implication des véritables seriñ-daara dans les programmes de lutte contre la mendicité, et enfin les réalités socioculturelles sénégalaises qui favorisent l’entraide et encouragent l’aumône.
Les structures de l’État qui s’occupent des enfants-taalibe sont nombreuses et ne coordonnent pas leurs activités. De nombreux ministères et directions s’en occupent parmi lesquels le ministère de la Famille, le ministère de l’Intérieur, le ministère de la Justice, le ministère de l’Éducation, la direction de la Protection civile, etc. L’Inspection des daara ne s’intéresse qu’au volet pédagogique des daara.
Quant aux Ong, elles travaillent d’une manière solitaire, sans coordination entre elles et parfois en développant une rude concurrence entre elles. Chacune travaille de son coté, sans s’occuper des activités des autres. Cette rivalité est due au fait qu’elles dépendent des financements des bailleurs de fonds qui prennent en charge les frais de leurs études et projets et assurent leurs budgets de fonctionnement. Chacune d’elles souhaite récupérer à son propre compte les financements octroyés par ces structures. Aussi les Ong privilégient le plaidoyer, attirant l’attention des institutions internationales et des bailleurs de fonds occidentaux et les exhortant à faire pression sur l’État du Sénégal pour qu’il mette un terme à la mendicité des taalibe. Or, nous pensons que le problème de la mendicité des taalibe ne peut pas être réglé par les institutions internationales, mais par les Sénégalais eux-mêmes. Le problème de la mendicité ne peut même pas être résolu par le gouvernement sans une réelle collaboration des marabouts-confrériques qui sont intéressés par l’enseignement coranique et des véritables seriñ-daara.
Convention des acteurs des daara
Pour dépasser la contradiction du droit et l’être relative à la mendicité des enfants taalibe, nous pensons qu’il est plus pratique d’appliquer la méthode dialectique, c'est-à-dire l’art des raisonnements, ou comme le conçoit Socrate l’art du dialogue, de la discussion, et de la concertation. Nous pensons qu’il est plus pratique d’appliquer la voie d’une convention entre les différents acteurs de l’enseignement coranique, c'est-à-dire entre l’État, les véritable seriñ-daara, les marabouts-confrériques qui s’occupent réellement de l’enseignement coranique, les parents des taalibe, les Ong crédibles, la société civile, etc.
Nous précisons avoir utilisé le terme « seriñ-daara » et non pas ceux « arabisant », « islamologue », « Imam », puisque les seriñ-daara connaissent leurs conditions de vie plus de tout le monde. Et la plupart des Imams et islamologues que nous entendons ces temps-ci se prononcer sur la mendicité des taalibe et qui exhortent l’État à recourir à la répression ne sont que des opportunistes qui n’ont que le seul désir d’entrer dans les grâces de l’État et des bailleurs de fonds occidentaux. Ce sont ces genres d’hommes à qui Dieu disait qu’ils « n’interdisent pas ce qu’Allah et Son messager ont interdit » ; ils ne défendent que les positions défendues par les autorités administratives. C’est pour cette raison que l’État devrait se méfier d’eux s’il veut agir efficacement sur les daara.
D’ailleurs, comment l’État peut-il prendre au sérieux un Imam qui déclare publiquement que 70% des seriñ-daara ne maîtrisent pas le Coran. Comment un Imam qui se respecte peut déclarer de tels propos comme s’il connaissait tous les seriñ-daara de Dakar, ou s’il les avait recensés et évalué leur niveau d’études.
Comment peut-on prendre au sérieux un Imam qui pour faire plaisir à l’État déclare que « L’enfant ne fait pas partie de ceux à qui l’Islam demande de donner l’aumône ». Nous nous demandons : quand est ce que l’Islam pose la question de la mendicité en termes d’âge ? C’est en termes de conditions socio-économiques qu’elle est posée puisque Dieu a déclaré dans la Sourate Tawbat : « Les Sadaxa ne sont destinées que pour les pauvres, pour les indigents, pour ceux qui s’occupent de sa collecte et de sa distribution, pour ceux dont les cœurs sont à gagner à l’Islam, pour les esclaves qui désirent acheter leur affranchissement, pour ceux qui sont endettés, pour ceux qui préparent la Jihaad, et pour le voyageur en détresse ».
Comment l’État-il peut prendre au sérieux un islamologue qui pour lui faire plaisir traite les seriñ-daara d’ignorants et rejette la non mention de la mendicité dans le Coran. Mais, cet islamologue semble méconnaitre que le Coran n’est pas la seule source de droit islamique, mais il en existe dix dont les quatre (le Coran, la Sunna, l’Ijmaa‘h et le Xiyaas) sont unanimement reconnus par les Docteurs de la jurisprudence islamique ». Et Dieu a aussi bien parlé de mendiants, de l’aumône que de la mendicité. Il dit « Prélève de leurs biens une Sadaxa par laquelle tu les purifie et les bénis » ; « Quant au demandeur, ne le repousse pas ». Ici le terme « demandeur » ne signifie rien d’autre que « mendiant » puisqu’un mendiant est venu chez le Prophète Mouhamed à trois reprises, dans une même journée, pour demander de l’aumône. Á la troisième reprise, Omar l’a grondé lui disant « N’es tu pas celui qui vient de demander de l’aumône ici tout à l’heure ». Et Dieu a révélé ce verset disant au Prophète de ne pas repousser le demandeur. Or, la mendicité n’est rien d’autre que cet acte de demander de l’aumône.
Alors, l’État devrait travailler avec les véritables acteurs des daara et reposer la lutte contre la mendicité des taalibe sur une approche sociale visant une réglementation et une prise en charge institutionnelle des véritables seriñ-daara nécessiteux par une subvention ou un soutien socio-économique.
Mouhamadou Mansour Dia
Docteur en Sociologie, chercheur à l’Ucad, spécialisé en sociologie des religions
Email : almansourdia@hotmail.com