En 1976, le cinéaste syrien Moustapha Akaad sort son film Mahomet, Le Messager de Dieu, avec Anthony Quinn. Dans ce long-métrage racontant la vie du prophète, le personnage de Mahomet n’est jamais représenté, pour ainsi « coller » à la tradition musulmane de non-représentation du prophète.
« En islam, il y a un principe de base théologique, voire existentiel, témoigne l'ancien directeur du Centre de recherche sur l'islamisme et la radicalisation, le politologue d'origine iranienne, exilé au Danemark, Mehdi Mozaffari. Il y a un créateur, c’est Allah. Tous les êtres animés, humains et animaux, ne peuvent être représentés car ils sont une création d’Allah. S’ils sont peints à leur tour par un artiste, ils deviennent alors la création d’un autre créateur ». En effet, si un être humain crée une statue d’un autre être animé, il peut alors prétendre à la création. Et le créateur n’est plus Un. « C’est pour cela que Mahomet a fait détruire les idoles à La Mecque, mais aussi que les talibans ont détruit les bouddhas de Bamyan en Afghanistan », poursuit le chercheur, auteur de nombreux livres sur l’islam et cosignataire du Manifeste des 12.
Aucun cadre formel
Pourtant, « nulle part dans le Coran il est écrit qu’on ne peut pas représenter le prophète », explique l’islamologue Ghaleb Bencheikh. Et il en va de même en ce qui concerne la tradition, poursuit-il. En fait, analyse Malek Chebel, anthropologue des religions, « la représentation du prophète est interdite par l’usage commun des musulmans aujourd’hui », et de conforter la pensée de l’islamologue en affirmant qu’il n’y pas de texte formel qui la cadre, ni dans le Coran ni dans la tradition, ni dans les hadiths*. En effet, l’interdiction de toute représentation de Mahomet est bien postérieure. Ce qui est puni dans les textes, c’est l’idolâtrie et la multiplication des idoles qui profanent l’unicité de Dieu.
L’interdiction des statues, statuettes, des figurations d’images, serait à l’origine un interdit byzantin datant des VIIIe et IXe siècles. « C’est par contamination que les musulmans en sont arrivés à interdire la représentation du prophète », raconte l’anthropologue. Et cette tradition postérieure au prophète de non-représentation de sa personne s’est fondée sur l’interdiction de représenter les idoles d’autrefois et tout ce qui peut faire concurrence à Dieu. « Ce que le théologien redoute, c’est qu’une fois qu’on a représenté Dieu, ou le prophète, on n’adore plus que cette représentation-là. Et c’est cela le danger : le rabaissement du prophète au niveau ordinaire. Et à ce moment-là, la vénération d’un Dieu transcendant n’existera plus. Cela est valable dans l’ensemble du monde musulman (chiite et sunnite, ndlr) ».
Les majestueuses miniatures persanes
Des représentations du prophète, il y en avait une multitude sous les empires moghole, perse ou ottoman. Les miniatures persanes sont là pour en témoigner. Elles ont été peintes lorsque la région était sous domination sunnite. A l’époque, de riches mécènes offraient de l’or aux artistes pour les réaliser et les orner de calligraphies toutes plus majestueuses les unes que les autres. « La montée de la sacralisation et du dogmatisme religieux prend son ampleur sous le penseur Ibn Taymiyya au XIIIe siècle, une référence toujours présente parmi les jihadistes actuels », analyse Mehdi Mozaffari.
Quant aux célèbres miniatures persanes, elles ont été « défigurées », au sens propre, à partir du XVIe siècle sous la dynastie safavide, alors qu’elles ornaient en leurs temps les palais et les maisons. Ce sont les Safavides, proclamateurs du chiisme comme religion d’Etat de l'empire perse face à l’empire ottoman sunnite, qui ont banni toute représentation du prophète et du sacré.
Il existe aujourd’hui pourtant des représentations d’Ali (1er imam des chiites et gendre de Mahomet) et de Hussein (fils d'Ali), entre autres, dans le monde chiite, ce qui laisse penser que le monde chiite possède une vision plus « libérale » de la représentation que le monde sunnite. Pour l’anecdote, Mehdi Mozaffari raconte : « Au Congrès américain, il y a des statues des grands législateurs de l’histoire, dont Mahomet, le coran à la main et le visage découvert. Mais un imam a édicté une fatwa, expliquant que cette statue était tolérée, car elle avait une bonne intention ».
La représentation de Mahomet vécue comme un viol par les croyants
Pour Malek Chebel, toute cette polémique actuelle ne concerne qu’une « élite ». « Parce que la population ne veut rien entendre. On ne représente pas Dieu et on ne représente pas le prophète, qui est l’émanation de Dieu », répète-t-il. Mais, note l’anthropologue, il y a une évolution très nette chez les écrivains, chez les illustrateurs, chez les gens de haute composition intellectuelle, notamment chez les chiites où « c’est l’élite qui représente Dieu et le prophète, surtout le prophète ».
Aujourd’hui, quand on interroge Mehdi Mozaffari sur le fait de savoir si ce sont les caricatures ou bien la représentation du visage du prophète publiées par Charlie Hebdo qui ont choqué les croyants, il répond : « Ce qui les a choqués, c’est qu’on ait touché au prophète. Et c’est vécu comme un viol, comme un harcèlement sexuel. Comme si les caricaturistes avaient touché physiquement, pour de vrai, au prophète. Et même si le prophète avait dit une chose tout à fait innocente, les croyants auraient été blessés de la même manière. Le prophète est le socle de leur identité. L’identité mahométane. Cette identification est fusionnelle, corporelle, physique. Ça les touche beaucoup ». Et Malek Chebel de conclure : « Il faut faire un travail de refondation de la pensée de l’islam ».
*Ensemble des traditions relatives aux actes et aux paroles de Mahomet et de ses compagnons.
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