Monsieur le Président de la République !
Lorsqu’en 1993, le Président Henri Konan Bédié fait réapparaitre le concept de ‘’l’ivoirité’’ soutenant son projet d'identité culturelle commune pour les 60 ethnies qui composent la Côte d’Ivoire, il était loin de s’imaginer qu’il venait d’armer ses adversaires politiques et de semer les germes d’une crise déchirante et déstructurant. Tout simplement, le Président Bédié n’avait conscience ni du contexte de méfiance identitaire dans son pays, ni des nuances socio-culturelles propres à la gouvernance des identités. Il venait, à son insu, de violer un point de vigilance à respecter et de plonger son pays dans une terrible guerre civile.
Autant la question de l’ivoirité a été un facteur déstabilisant pour la nation ivoirienne, autant la question religieuse et confrérique peut l’être pour le Sénégal. C’est une sensibilité avec laquelle nul ne doit jouer, pas même son excellence le Président de la République. Car il s’agit là d’une arme extrêmement redoutable pour la stabilité et l’avenir de notre pays. C’est dès lors un point de vigilance à surveiller. Et absolument !
Monsieur le Président,
En essayant de justifier notre participation à l’effort de guerre au Mali, vous déclarez : « Le peuple malien subit une agression inacceptable et inqualifiable qui remet en cause l'existence de ce pays et qui nous menace directement ». Vos propos sont justes. Tout comme votre décision d’envoyer nos jambars soutenir un pays frère est fort opportune et incontestable. A ce niveau, le seul reproche qu’il est possible de vous faire, en même temps que les autres pays de la CEDEAO, est d’avoir attendu si longtemps, d’avoir attendu…la France, donner le ton de la mobilisation pour agir. C’est aussi d’avoir laissé le temps à cette menace d’hiberner, à une soldatesque d’exercer sa dictature et au pouvoir central de se décomposer.
Cependant, lorsque par la même occasion, vous tentez d’attirer la vigilance des sénégalais sur « les prêcheurs salafistes porteurs de dangers », et les exhortez « à dénoncer (…) toute présence suspecte d’individus dans leurs localités », vous opérez un glissement dangereux porteur de germes bien plus mortels que ceux semés involontairement à son époque par le Président Bédié en Côte d’Ivoire. Sans le vouloir, vous introduisez une confusion de genre en voulant faire jouer à nos populations le rôle de veille sécuritaire proprement dévolu à nos services de renseignement qui, par ailleurs, sont réputés le jouer de manière tout aussi éminente, efficace que respectueuse. De la sorte, vous sanctifiez la délation qui risque de constituer la source de toutes les injustices et de toutes les exactions. D’où le premier niveau du caractère incongru de vos propos qui introduisent un risque incontrôlable d’opposer les sénégalais les uns contre les autres, et de semer les germes de la peur de l’autre, du voisin, du parent… Dans ce genre de situation, toutes les dérives sont non seulement permises, mais peuvent engendrer le chaos. Il y va de la cohésion nationale que vous êtes sensé être le premier à défendre. Il y a va aussi de la pérennité de l’exception sénégalaise en matière de stabilité que chaque fils du pays, de surcroît le premier d’entre eux, est appelé à préserver et ce, quelle que soit sa chapelle.
Le Président Senghor ‘’catholique au pays des musulmans’’ a su bâtir une nation et manager les nuances à la fois religieuses et socio-culturelles qui font tout le charme du Sénégal. Il a su mettre l’accent sur ce qui rassemble, éviter les images redoutées, reconnaître les valeurs auxquelles il ne faut surtout pas toucher et saisir ce qui distingue pour créer des sources de rencontre et d’enrichissement mutuel. On peut tout lui reprocher sauf de ne pas être un bâtisseur de la cohésion nationale. Dans les années quatre-vingt-dix, au plus fort des amalgames sur les questions de terrorisme, d’intégrisme et d’islamisme, le président Abdou Diouf a su éviter les confusions, rester à équidistance de toutes les confessions, préserver l’héritage de son prédécesseur et maintenir le Sénégal sur la voie de la cohésion. Quant à Wade, en dehors de légers dérapages dus à l’affichage trop accentué de son appartenance confrérique, il n’a jamais franchi la ligne rouge. Il a dès lors respecté les points de vigilance qui font notre exception.
Il est donc étonnant que ce soit sous le magistère du président qui fait l’objet du plus grand consensus socio-politique, en l’occurrence vous-même, que s’opère ce genre de glissement destructeur. Autant le président Bédié ne voulait pas de ce désordre en Côte d’Ivoire, autant nous avançons avec certitude que vous tenez à la cohésion nationale. Mieux, nous osons croire, à votre décharge, que vous n’avez, tout simplement, pas eu le bon conseil. Autrement ce serait un précédent grave et malvenu. Car la question religieuse et confrérique est essentielle à la cohésion nationale ainsi qu’à la survie de notre démocratie. Elle reste, par conséquent, un point de vigilance à surveiller. Et pour cause ! lorsque le MFDC organisait sa marche pacifique le 26 décembre 1982, nul n’aurait auguré que ce serait là le début de plus de trente ans de rébellion et de conflit meurtrier freinant considérablement le développement de la région.
Vous déclarez ensuite avec un accent aux relents de suffisance : « Nous avons un islam fantastique au Sénégal qui a été développé par des érudits sénégalais. Nos vénérés chefs religieux ont pendant plus d’un siècle donné leurs enseignements. Je pense que cette Islam confrérique est tout à fait adapté à notre pays et nous n’avons pas besoin d’autres choses. Il est essentiel que les Sénégalais fassent très attention à tous ces courants nouveaux qui nous viennent d’ailleurs et qui en eux-mêmes sont porteurs de danger pour la stabilité et la quiétude de la population ».
Venant d’une personne quelconque ou même d’un chef religieux anonyme, ces propos n’auraient aucunement retenu notre attention. Mais du premier des sénégalais, cela pose des difficultés qu’il convient de relever.
L’islam, religion de liberté et de l’échange, est un et indivisible. Tout apport venant de l’intérieur de l’islam est à prendre pourvu qu’il soit fondé sur ses références éternelles et sur sa rigueur méthodique. Et toute la nuance est dans la méthode. Chaque pays ne peut définir « son islam ». Mais, s’il nous était donné de caractériser l’islam au Sénégal, nous l’aurions fait autour d’un tryptique : le dogme ash’arite (le sunnisme), le droit malikite et la voie de junayd (soufisme). Ce sont les trois principaux aspects qui orientent la pratique religieuse et fixent un cadre de régulation. Et ces trois aspects sont d’ici et d’ailleurs.
L’islam fantastique que nos érudits ont développé ne sort pas de ce cadre et n’est que l’aboutissement d’une phase de l’évolution de l’islam au Sénégal depuis le roi musulman Waar Diabi Ndiaye du Tekrur. Le professeur Amar Samb parlerait de sa troisième phase. Cet aboutissement ne postule aucunement de la fin du renouvellement religieux nécessaire pour maintenir son dynamisme et sa vitalité. Il s’agit des fruits du travail de réforme que nos vénérés chefs religieux ont su entreprendre dans un contexte historique particulier renforçant la présence de l’islam dans notre pays et lui donnant son cachet spécifique. Nos vénérés n’ont jamais été imperméables encore moins suffisants. Ils se sont tous ressourcés ailleurs et ont eu des maîtres d’ailleurs avant d’en arriver à affirmer leur puissance et leur liberté à la fois spirituelle et intellectuelle. Le principe de l’enracinement et de l’ouverture cher à Senghor a été pratiqué par nos vénérés avant le poète-président.
Plus que jamais, nous avons besoin « d’une clarification idéologique qui exige une culture théologique qui, tout en étant ouverte aux courants du dehors, plonge ses racines dans le terroir, une culture qui fasse émerger des structures rajeunies le concept synthétique, dynamisateur » comme le dit le Président Dia en poursuivant à juste titre que « Par le choix de ses références, par les thèmes qu’elle développe, la pensée de nos oulémas se révèle impropre à fournir à notre monde en marche, à nos consciences en mouvement, un appareil conceptuel adéquat…le réformisme a parfaitement conscience de ce décalage entre l’évolution culturelle et la théologie de l’islam noir, entre la conscience musulmane et l’enseignement des chefs de confrérie ».
Et faire cette action de réforme, c’est poursuivre l’œuvre de nos vénérés au lieu de se limiter à glorifier les hommes qu’ils sont. Ce travail est nécessaire à l’intérieur comme à l’extérieur des confréries. L’avenir et la vitalité de l’islam le requièrent.
Nul ne doit donc décréter que nous n’avons pas besoin d’autres choses. Au contraire, l’ouverture est plus que jamais nécessaire et l’œuvre de renouvellement fondamentale pour l’avenir et pour la survie des confréries elles-mêmes.
Nos élites politiques et intellectuelles sont attendues sur un tout autre registre que celui de l’enfermement idéologique. Le registre sur lequel ils sont attendus consiste à œuvrer pour détruire les barrières de l’ignorance, à accompagner la formation culturelle, l’instruction et l’éducation religieuses ainsi que la recherche du savoir. Il convient de penser à une vraie révolution de notre système éducatif.
Un islam bien compris et bien transmis permet aisément une démarche itérative entre la réalité quotidienne et les Textes et la « réforme de la transformation » prônant un aller-retour des textes au contexte. Nous adapter au nom de l’Islam en étant « fils de notre temps » et témoins de la vitalité de notre religion et de notre société, voilà une perspective qui ferait de nous les dignes fils d’un islam uni, fort, transcendant les étiquetages identitaires et rassemblant ses forces vives pour être au service des hommes.
Nos élites sont, de même, attendues sur le registre du dialogue. Car le dialogue est avant tout une histoire d’hommes ayant la capacité de s'élever au-dessus de leur conviction pour une vraie interaction avec les autres. Ceux qui ne sont pas capables du dialogue constructeur en oublient que c’est par la parole intelligente qu’ils ont le meilleur à offrir. S’exprimer, écouter l’autre, saisir l’essentiel pour l’avenir commun est l’histoire des grands hommes. Ceux qui ont fait la vraie histoire. Nos vénérés ont su le faire à leur époque. Oui le dogmatisme conduit à la dictature, au chaos. Les vraies idées, les vrais idéaux, les grandes religions survivent au dialogue et se nourrissent du dialogue pour survivre aux contingences et se développer. Mais les contingences ne doivent jamais être le prétexte à la division, à l’opposition, à l’amalgame. Pourtant, certains analystes alarmistes saisiront les contingences pour offrir, à qui veut les entendre, des interprétations biaisées, histoire d’un positionnement intellectuelle et parfois personnelle.
Monsieur le Président,
La vraie question pour l’islam au Sénégal est de lui permettre d’être un puissant moteur pour notre développement en lui donnant les moyens de favoriser la paix sociale, la concorde entre les communautés, et d’inspirer, par ses valeurs éternelles, une république des valeurs, une éthique dans la gestion des affaires publiques. L’islam doit promouvoir des consciences fortes, libres et libérées de toutes formes de subordination. La vraie question est celle des modalités de participation des acteurs musulmans à la construction d’une société plurielle, ouverte et porteuse de valeurs d’humanité et de dignité.
L’islam peut, en effet, être un puissant médium pour la paix et la stabilité. Mais il est surtout une référence pour notre libération, notre développement, notre épanouissement à la fois spirituel, social et économique.
Plus que jamais, le Sénégal a besoin de tous ses enfants, musulmans de toutes obédiences et non musulmans.
Respectueusement
Saliou DRAME
saliou.drame@gmail.com
Auteur de Le musulman sénégalais face à l’appartenance confrérique, Paris, L’Harmattan, 2011
Ancien recteur de la mosquée El Ihsane de Vandoeuvre-lès-Nancy
Lorsqu’en 1993, le Président Henri Konan Bédié fait réapparaitre le concept de ‘’l’ivoirité’’ soutenant son projet d'identité culturelle commune pour les 60 ethnies qui composent la Côte d’Ivoire, il était loin de s’imaginer qu’il venait d’armer ses adversaires politiques et de semer les germes d’une crise déchirante et déstructurant. Tout simplement, le Président Bédié n’avait conscience ni du contexte de méfiance identitaire dans son pays, ni des nuances socio-culturelles propres à la gouvernance des identités. Il venait, à son insu, de violer un point de vigilance à respecter et de plonger son pays dans une terrible guerre civile.
Autant la question de l’ivoirité a été un facteur déstabilisant pour la nation ivoirienne, autant la question religieuse et confrérique peut l’être pour le Sénégal. C’est une sensibilité avec laquelle nul ne doit jouer, pas même son excellence le Président de la République. Car il s’agit là d’une arme extrêmement redoutable pour la stabilité et l’avenir de notre pays. C’est dès lors un point de vigilance à surveiller. Et absolument !
Monsieur le Président,
En essayant de justifier notre participation à l’effort de guerre au Mali, vous déclarez : « Le peuple malien subit une agression inacceptable et inqualifiable qui remet en cause l'existence de ce pays et qui nous menace directement ». Vos propos sont justes. Tout comme votre décision d’envoyer nos jambars soutenir un pays frère est fort opportune et incontestable. A ce niveau, le seul reproche qu’il est possible de vous faire, en même temps que les autres pays de la CEDEAO, est d’avoir attendu si longtemps, d’avoir attendu…la France, donner le ton de la mobilisation pour agir. C’est aussi d’avoir laissé le temps à cette menace d’hiberner, à une soldatesque d’exercer sa dictature et au pouvoir central de se décomposer.
Cependant, lorsque par la même occasion, vous tentez d’attirer la vigilance des sénégalais sur « les prêcheurs salafistes porteurs de dangers », et les exhortez « à dénoncer (…) toute présence suspecte d’individus dans leurs localités », vous opérez un glissement dangereux porteur de germes bien plus mortels que ceux semés involontairement à son époque par le Président Bédié en Côte d’Ivoire. Sans le vouloir, vous introduisez une confusion de genre en voulant faire jouer à nos populations le rôle de veille sécuritaire proprement dévolu à nos services de renseignement qui, par ailleurs, sont réputés le jouer de manière tout aussi éminente, efficace que respectueuse. De la sorte, vous sanctifiez la délation qui risque de constituer la source de toutes les injustices et de toutes les exactions. D’où le premier niveau du caractère incongru de vos propos qui introduisent un risque incontrôlable d’opposer les sénégalais les uns contre les autres, et de semer les germes de la peur de l’autre, du voisin, du parent… Dans ce genre de situation, toutes les dérives sont non seulement permises, mais peuvent engendrer le chaos. Il y va de la cohésion nationale que vous êtes sensé être le premier à défendre. Il y a va aussi de la pérennité de l’exception sénégalaise en matière de stabilité que chaque fils du pays, de surcroît le premier d’entre eux, est appelé à préserver et ce, quelle que soit sa chapelle.
Le Président Senghor ‘’catholique au pays des musulmans’’ a su bâtir une nation et manager les nuances à la fois religieuses et socio-culturelles qui font tout le charme du Sénégal. Il a su mettre l’accent sur ce qui rassemble, éviter les images redoutées, reconnaître les valeurs auxquelles il ne faut surtout pas toucher et saisir ce qui distingue pour créer des sources de rencontre et d’enrichissement mutuel. On peut tout lui reprocher sauf de ne pas être un bâtisseur de la cohésion nationale. Dans les années quatre-vingt-dix, au plus fort des amalgames sur les questions de terrorisme, d’intégrisme et d’islamisme, le président Abdou Diouf a su éviter les confusions, rester à équidistance de toutes les confessions, préserver l’héritage de son prédécesseur et maintenir le Sénégal sur la voie de la cohésion. Quant à Wade, en dehors de légers dérapages dus à l’affichage trop accentué de son appartenance confrérique, il n’a jamais franchi la ligne rouge. Il a dès lors respecté les points de vigilance qui font notre exception.
Il est donc étonnant que ce soit sous le magistère du président qui fait l’objet du plus grand consensus socio-politique, en l’occurrence vous-même, que s’opère ce genre de glissement destructeur. Autant le président Bédié ne voulait pas de ce désordre en Côte d’Ivoire, autant nous avançons avec certitude que vous tenez à la cohésion nationale. Mieux, nous osons croire, à votre décharge, que vous n’avez, tout simplement, pas eu le bon conseil. Autrement ce serait un précédent grave et malvenu. Car la question religieuse et confrérique est essentielle à la cohésion nationale ainsi qu’à la survie de notre démocratie. Elle reste, par conséquent, un point de vigilance à surveiller. Et pour cause ! lorsque le MFDC organisait sa marche pacifique le 26 décembre 1982, nul n’aurait auguré que ce serait là le début de plus de trente ans de rébellion et de conflit meurtrier freinant considérablement le développement de la région.
Vous déclarez ensuite avec un accent aux relents de suffisance : « Nous avons un islam fantastique au Sénégal qui a été développé par des érudits sénégalais. Nos vénérés chefs religieux ont pendant plus d’un siècle donné leurs enseignements. Je pense que cette Islam confrérique est tout à fait adapté à notre pays et nous n’avons pas besoin d’autres choses. Il est essentiel que les Sénégalais fassent très attention à tous ces courants nouveaux qui nous viennent d’ailleurs et qui en eux-mêmes sont porteurs de danger pour la stabilité et la quiétude de la population ».
Venant d’une personne quelconque ou même d’un chef religieux anonyme, ces propos n’auraient aucunement retenu notre attention. Mais du premier des sénégalais, cela pose des difficultés qu’il convient de relever.
L’islam, religion de liberté et de l’échange, est un et indivisible. Tout apport venant de l’intérieur de l’islam est à prendre pourvu qu’il soit fondé sur ses références éternelles et sur sa rigueur méthodique. Et toute la nuance est dans la méthode. Chaque pays ne peut définir « son islam ». Mais, s’il nous était donné de caractériser l’islam au Sénégal, nous l’aurions fait autour d’un tryptique : le dogme ash’arite (le sunnisme), le droit malikite et la voie de junayd (soufisme). Ce sont les trois principaux aspects qui orientent la pratique religieuse et fixent un cadre de régulation. Et ces trois aspects sont d’ici et d’ailleurs.
L’islam fantastique que nos érudits ont développé ne sort pas de ce cadre et n’est que l’aboutissement d’une phase de l’évolution de l’islam au Sénégal depuis le roi musulman Waar Diabi Ndiaye du Tekrur. Le professeur Amar Samb parlerait de sa troisième phase. Cet aboutissement ne postule aucunement de la fin du renouvellement religieux nécessaire pour maintenir son dynamisme et sa vitalité. Il s’agit des fruits du travail de réforme que nos vénérés chefs religieux ont su entreprendre dans un contexte historique particulier renforçant la présence de l’islam dans notre pays et lui donnant son cachet spécifique. Nos vénérés n’ont jamais été imperméables encore moins suffisants. Ils se sont tous ressourcés ailleurs et ont eu des maîtres d’ailleurs avant d’en arriver à affirmer leur puissance et leur liberté à la fois spirituelle et intellectuelle. Le principe de l’enracinement et de l’ouverture cher à Senghor a été pratiqué par nos vénérés avant le poète-président.
Plus que jamais, nous avons besoin « d’une clarification idéologique qui exige une culture théologique qui, tout en étant ouverte aux courants du dehors, plonge ses racines dans le terroir, une culture qui fasse émerger des structures rajeunies le concept synthétique, dynamisateur » comme le dit le Président Dia en poursuivant à juste titre que « Par le choix de ses références, par les thèmes qu’elle développe, la pensée de nos oulémas se révèle impropre à fournir à notre monde en marche, à nos consciences en mouvement, un appareil conceptuel adéquat…le réformisme a parfaitement conscience de ce décalage entre l’évolution culturelle et la théologie de l’islam noir, entre la conscience musulmane et l’enseignement des chefs de confrérie ».
Et faire cette action de réforme, c’est poursuivre l’œuvre de nos vénérés au lieu de se limiter à glorifier les hommes qu’ils sont. Ce travail est nécessaire à l’intérieur comme à l’extérieur des confréries. L’avenir et la vitalité de l’islam le requièrent.
Nul ne doit donc décréter que nous n’avons pas besoin d’autres choses. Au contraire, l’ouverture est plus que jamais nécessaire et l’œuvre de renouvellement fondamentale pour l’avenir et pour la survie des confréries elles-mêmes.
Nos élites politiques et intellectuelles sont attendues sur un tout autre registre que celui de l’enfermement idéologique. Le registre sur lequel ils sont attendus consiste à œuvrer pour détruire les barrières de l’ignorance, à accompagner la formation culturelle, l’instruction et l’éducation religieuses ainsi que la recherche du savoir. Il convient de penser à une vraie révolution de notre système éducatif.
Un islam bien compris et bien transmis permet aisément une démarche itérative entre la réalité quotidienne et les Textes et la « réforme de la transformation » prônant un aller-retour des textes au contexte. Nous adapter au nom de l’Islam en étant « fils de notre temps » et témoins de la vitalité de notre religion et de notre société, voilà une perspective qui ferait de nous les dignes fils d’un islam uni, fort, transcendant les étiquetages identitaires et rassemblant ses forces vives pour être au service des hommes.
Nos élites sont, de même, attendues sur le registre du dialogue. Car le dialogue est avant tout une histoire d’hommes ayant la capacité de s'élever au-dessus de leur conviction pour une vraie interaction avec les autres. Ceux qui ne sont pas capables du dialogue constructeur en oublient que c’est par la parole intelligente qu’ils ont le meilleur à offrir. S’exprimer, écouter l’autre, saisir l’essentiel pour l’avenir commun est l’histoire des grands hommes. Ceux qui ont fait la vraie histoire. Nos vénérés ont su le faire à leur époque. Oui le dogmatisme conduit à la dictature, au chaos. Les vraies idées, les vrais idéaux, les grandes religions survivent au dialogue et se nourrissent du dialogue pour survivre aux contingences et se développer. Mais les contingences ne doivent jamais être le prétexte à la division, à l’opposition, à l’amalgame. Pourtant, certains analystes alarmistes saisiront les contingences pour offrir, à qui veut les entendre, des interprétations biaisées, histoire d’un positionnement intellectuelle et parfois personnelle.
Monsieur le Président,
La vraie question pour l’islam au Sénégal est de lui permettre d’être un puissant moteur pour notre développement en lui donnant les moyens de favoriser la paix sociale, la concorde entre les communautés, et d’inspirer, par ses valeurs éternelles, une république des valeurs, une éthique dans la gestion des affaires publiques. L’islam doit promouvoir des consciences fortes, libres et libérées de toutes formes de subordination. La vraie question est celle des modalités de participation des acteurs musulmans à la construction d’une société plurielle, ouverte et porteuse de valeurs d’humanité et de dignité.
L’islam peut, en effet, être un puissant médium pour la paix et la stabilité. Mais il est surtout une référence pour notre libération, notre développement, notre épanouissement à la fois spirituel, social et économique.
Plus que jamais, le Sénégal a besoin de tous ses enfants, musulmans de toutes obédiences et non musulmans.
Respectueusement
Saliou DRAME
saliou.drame@gmail.com
Auteur de Le musulman sénégalais face à l’appartenance confrérique, Paris, L’Harmattan, 2011
Ancien recteur de la mosquée El Ihsane de Vandoeuvre-lès-Nancy
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