Jean-Marie Biagui au Président Wade : "Nous aussi, nous avons peur de vous"

Les propos de Me Wade relatés par la presse ces derniers jours selon lesquels il aurait déclaré qu’il faisait peur aux Occidentaux n’ont pas laissé indifférent le Secrétaire général du MFDC, Jean-Marie François Biagui. Saisissant la balle au rebond, M. Biagui revient en long et en large sur la conviction qu’il a toujours eue de Me Wade qui ne « fait seulement peur aux Occidentaux. Car pour lui, «nous aussi, nous avons peur». (Texte intégral)



Monsieur le Président de la République,
Les Occidentaux ont peur de vous, disiez-vous récemment. Eh bien, nous aussi, nous avons peur de vous.

Et pour cause, ou pour l’étayer singulièrement, à mes camarades de lutte qui me demandaient jadis ce qui vous distinguerait finalement de votre prédécesseur, le président Abdou DIOUF, je préférais répondre comme suit :

‘‘Si le président DIOUF vous promettait de vous faire neutraliser, tel jour (J), à telle heure (H), à telle minute (M), à telle seconde (S) et à telle tierce (T), soyez sûrs qu’il le ferait faire, avec rigueur, le jour J, à l’heure H, à la minute M, à la seconde S et à la tierce T.’’

‘‘En revanche, si le président WADE vous promettait le même sort, de quatre choses l’une : ou il vous ferait neutraliser le jour J avec la même rigueur que son prédécesseur, ou il le ferait faire avant (et même bien avant) le jour J, ou après (voire bien après) le jour J, ou il vous laisserait tout bonnement « mariner », ad vitam aeternam, dans sa promesse fameuse.’’

Sous ce rapport, disais-je encore à mes camarades de lutte, ‘‘paradoxalement, ou plutôt évidemment, le président DIOUF inspire le respect tinté de quelque crainte, quand le président WADE, pour sa part, fondamentalement, inspire la peur.’’

Et je poursuivis, à l’intention de mes interlocuteurs : ‘‘Je soupçonne le président DIOUF d’être un Croyant qui craint Dieu, tandis que je suspecte le président WADE, certes d’en être un, autant que son prédécesseur, mais un Croyant qui ne craint pas Dieu’’. A tort ou à raison !
1/…
C’est pour ainsi plaindre, Monsieur le Président de la République, ceux qui, dans votre entourage, sans sourciller aucunement, prétendent vous connaître.

C’est aussi pour nous plaindre, nous Citoyens, qui avons pris collectivement la lourde responsabilité historique de convoquer l’alternance politique au Sénégal en 2000, pour devoir l’expérimenter, à nos dépens, avec vous, Monsieur le Président de la République.

C’est à coup sûr pour plaindre les Casamançais qui vous ont plébiscité en 2000, pour avoir cru en vous.

En effet, les Casamançais voyaient en vous l’homme de la situation, c'est-à-dire celui-là même qui, à leurs yeux, pouvait régler en « 100 jours » la crise sénégalo-bissauguinéo-gambienne en Casamance, avec une équipe de femmes et d’hommes rompus au seul combat qui vaille la peine d’être mené : le combat pour la liberté et la paix.

Mais, à l’expérience et avec stupeur, les Casamançais découvriront en vous un autre homme.

Oui, Monsieur le Président de la République, les Casamançais, aussi, ont peur de vous. Ils ont si peur de vous que, avec vous, ils n’osent même plus espérer des lendemains heureux en Casamance.

Pis ! Les Casamançais (et le MFDC avec eux) ne savent plus ce que c’est que de se projeter à demain, à après-demain, bref ! au futur, en raison de votre pilotage à vue du processus de paix en Casamance.

Or, il vient de nous être donné de prendre acte, ès-qualités, de ce que le Premier Ministre, Me Souleymane Ndéné NDIAYE, est instruit, par vos soins, de reprendre en mains le « dossier casamançais », en l’occurrence avec tout ce que cela comporte en termes de délégation de pouvoirs.

Votre sixième Premier Ministre, en dix ans de règne, disposant désormais du « dossier casamançais », nous voudrions croire que la constance de votre part, ainsi que le facteur temps (la durée plutôt que l’éphémère), le professionnalisme (en lieu et place de l’amateurisme), la rigueur (au lieu de la légèreté), la sincérité et la loyauté réunies (à la place de la duperie et de la tortuosité), entre autres valeurs précieuses, seront enfin au rendez-vous, dans le cadre d’une gestion concertée du processus de paix en Casamance.
…2/…
Encore faut-il, pour ce faire, que vous y croyiez vraiment, Monsieur le Président de la République ; que vous regardiez en face la Casamance et les Casamançais ; que vous appréhendiez la crise sénégalo-bissauguinéo-gambienne en Casamance telle qu’elle est et pour ce qu’elle est ; et que vous daigniez vous inventer une idée ou une vision créatrices, à terme et durablement, avec nous, d’une paix définitive en Casamance.

Veuillez agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de ma très haute considération.


Villeurbanne, le 10 juin 2010

Jean-Marie François BIAGUI
Secrétaire Général du MFDC

Charles Thialice SENGHOR

Jeudi 10 Juin 2010 17:32


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