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L’AHJUCAF milite pour une justice numérique et respectueuse des droits des justiciables



Les hauts magistrats francophones sont en conclave les 22 et 23 avril 2025 à Dakar pour échanger sur l’anonymisation des décisions de justice, une étape décrite comme "importante" pour concilier transparence judiciaire et protection des données personnelles. L'atelier régional organisé par la Cour suprême du Sénégal en partenariat avec l’Association des Hautes Juridictions de Cassation ayant en partage l’usage du français (Ahjucaf) a réuni plusieurs personnalités. 

Face à l'essor des technologies numériques, les juridictions suprêmes veulent moderniser leurs pratiques. Le thème de la session, « Numérisation et anonymisation des décisions de justice », traduit une préoccupation croissante des juridictions suprêmes : rendre les décisions accessibles tout en respectant les droits des justiciables. Lors de son allocution, Mahamadou Mansour Mbaye, premier président de la Cour suprême du Sénégal et vice-président de l’Ahjucaf, a expliqué que « cet atelier a pour but précis d'amener les juridictions à un niveau où le respect de la vie privée est important et c'est pour cela qu’on parle d'anonymisation. C’est une donnée nouvelle par rapport à ce que nous avons connu anciennement. Dans l'histoire, les grandes décisions judiciaires sont connues par les noms des parties, mais c'est pratiquement révolu parce que, compte tenu de la sensibilité de certains sujets, nos décisions doivent revêtir un aspect qui protège ces vies. C'est pour cela que nous cherchons, à travers les publications ou enfin dans les données informatiques, à ce que tout le monde, de même que les personnes qui ont fait l'objet d'un procès, puisse être protégé. »

Poursuivant, M. Mbaye a indiqué qu' « au Sénégal, nous sommes en train d'essayer d'amener le pays à faire en sorte que nos juridictions soient à un niveau où chacune d'elles pourra assurer au moins ses protections de données personnelles. Cela va se faire selon l'expérience des premières juridictions qui y sont arrivées, et chacun doit se mesurer par rapport aux différentes juridictions pour savoir où est-ce qu'elle en est. Par exemple, la France peut, en recevant nos demandes, nous les retourner après les avoir anonymisées, mais concernant nos propres juridictions, nous voulons être indépendants sur ce plan, car c'est important », indique-t-il.

S'approprier cette avancée technologique

Un avis partagé par Victor Adossou, président de la Cour suprême du Bénin et actuel président de l’Ahjucaf, qui a insisté sur le caractère démocratique de la publication des décisions. « La transparence judiciaire aujourd'hui est une exigence démocratique, rien de ce que fait un juge ne peut rester inconnu ou caché. Toutefois, vous ne pouvez pas diffuser à travers le monde qu’un citoyen a volé ou a commis des faits d'adultère dans les pays où c'est puni. On ne peut pas le faire sans violer le principe de la protection des données personnelles, donc toutes les juridictions sont obligées d'aller à l’anonymisation. »

M. Adossou a déploré que, faute de moyens techniques, certaines juridictions africaines soient encore contraintes d’envoyer leurs décisions à la Cour de cassation de France pour les anonymiser. Il appelle à une autonomie technologique des juridictions nationales. « Nous sommes là pour apprendre les uns auprès des autres, pour disposer des outils, des mécanismes nécessaires, pour que chaque juridiction soit capable d’anonymiser à travers l'outil, l'open data, qui est très avancé dans un pays comme la France. Les hautes juridictions africaines devront s'approprier cette avancée technologique qui doit nous permettre d'accompagner le travail si admirable qui se fait au niveau des juridictions. Dans certains pays d'Afrique, c'est à peine s'ils ont des ordinateurs, l'Internet, n’en parlons pas. »

Revenant sur les avantages de l'open data judiciaire, le président de l’Ahjucaf a donné l'exemple du Bénin. « Aujourd'hui, par exemple, nous avons un système qui nous permet de communiquer avec les avocats sans que ces derniers ne se déplacent pour venir vers nous au tribunal. Donc l'avocat peut informer son client que la décision est prête et qu’elle a été rendue dans tel ou tel sens. Ceci grâce à l'outil informatique, grâce à ce système de diffusion que nous avons réalisé avec la coopération chinoise. »

Un levier puissant 

Pour Tarek Rouis, attaché de programme à l'Organisation internationale de la Francophonie, l’anonymisation des décisions judiciaires est une démarche de modernisation de la justice et un levier puissant. « L'anonymisation des décisions judiciaires est un levier puissant pour garantir la transparence de la justice tout en respectant les droits des justiciables. Dans de nombreux pays francophones, l'accès à la jurisprudence reste encore trop limité, parfois réservé à quelques professionnels du droit. En garantissant une publication anonymisée des décisions de justice, nous démocratisons l'accès aux droits, nous permettons aux citoyens, aux journalistes, aux chercheurs et aux avocats de mieux comprendre le fonctionnement de la justice, d'en suivre les prédictions et d'apprécier l'équité. »

À en croire M. Rouis « au-delà de l'accessibilité, ce travail contribue aussi au renforcement de la confiance du public dans les institutions judiciaires. Il montre que la justice n'est pas qu'une affaire obscure, rendue dans l’opacité, mais une mission de service public exercée dans la transparence et la responsabilité. En cela, cette démarche s'inscrit dans une logique de modernisation de la justice. Elle nécessite l'adoption de nouveaux outils technologiques, la formation des magistrats et des greffiers, ainsi que la mise en place de procédures numériques et de garanties juridiques. Autrement dit, c'est un projet à la fois juridique, technique et institutionnel. Enfin, il ne faut pas sous-estimer la portée anti-corruption de cette initiative. Rendre la jurisprudence accessible, traçable et visible, c'est aussi permettre un meilleur contrôle démocratique de l'action judiciaire. C'est faire de la lumière un outil de prévention et créer un environnement dans lequel les décisions doivent pouvoir être justifiées et assumées. »

L’ouverture à l’open data judiciaire (la publication numérique et gratuite des décisions) apparaît comme une étape décisive vers une justice plus ouverte. Mais elle soulève aussi des défis : périmètre de diffusion, encadrement des algorithmes, risques de profilage ou encore protection des données.

Fondée en 2001, l’AHJUCAF regroupe aujourd’hui 48 hautes juridictions francophones. Elle milite pour le renforcement de l’État de droit et la coopération entre systèmes judiciaires. À Dakar, ses membres s’accordent sur la nécessité d’accélérer la transition numérique. Mais les disparités restent fortes. « Dans certains États, l’infrastructure numérique est quasi inexistante », reconnaît Victor Adossou. Il appelle à une mutualisation des expériences et à une solidarité technologique entre les membres.


Ndeye Fatou Touré

Mercredi 23 Avril 2025 - 22:32


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