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L’ALIBI DES MILLIARDS DU PLAN SENEGAL EMERGENT OU LE MANDAT DE SEMBENE OUSMANE



L’ALIBI DES MILLIARDS DU PLAN SENEGAL EMERGENT OU LE MANDAT DE SEMBENE OUSMANE
« Presque toujours en politique, le résultat est contraire à la prévision » Chateaubriand
Les nombreux plans élaborés par les régimes successifs depuis l’accession du Sénégal à l’indépendance, dont les résultats sont pour le moins douteux, doivent inciter les citoyens à la plus grande prudence.  Car, si le développement devait s’apprécier à l’aune de milliards reçus, le Sénégal occuperait la première place en Afrique noire et ne serait pas loin de figurer parmi les membres du G8.
C’est la raison pour laquelle l’euphorie ambiante concernant le « Plan » Sénégal Emergent nous fait penser au film Sembene Ousmane « le Mandat ».Cet écrivain talentueux, grande figure du cinéma sénégalais, avait ce don, via le 7éme art, de tourner en dérision les travers de la société sénégalaise. Avec une justesse remarquable. Le « Mandat » raconte l’histoire d’un homme que la promesse d’un mandat a totalement métamorphosé (SUNU MANDABI BOU NIEUWE NEKH) au point de modifier le cours de son existence, et dont tous les projets conçus, planifiés, et orientés en fonction de l’obtention de cette manne providentielle, finiront par fondre dans la mare d’une cruelle déception.
Surtout, ce que cet excellent film de Sembene Ousmane (une adaptation de son roman) met en relief, c’est l’impossibilité manifeste pour le personnage central « Ibrahima Dieng », malgré une débauche d’énergie, d’encaisser son mandat, au terme d’une procédure kafkaïenne marquée par de multiples rebondissements. Un mandat que le principal destinataire ne touchera jamais. Si tout le monde connaît cet adage selon lequel « toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait qu’être fortuite », on ne peut s’empêcher de faire un parallèle avec le « Plan » Sénégal Emergent. Dans le principe, le PSE ambitionne de jeter les bases d’une économie compétitive, d’améliorer qualitativement les conditions de vie des populations, par l’identification de secteurs clés, avec pour cap un Sénégal Emergent en 2035.Si la démarche peut susciter un consensus, Il y a lieu de réfréner les ardeurs des partisans d’un optimisme béat.
Si on se fie aux chiffres brandis comme un trophée, des dizaines de milliards de FCFA vont bientôt inonder le Sénégal. De quoi donner le vertige aux sénégalais en butte à des difficultés sociales d’une ampleur inouïe. D’ores et déjà, on note la création d’un comité de suivi du PSE, l’organisation de séminaires de restitution du PSE, la tenue d’ateliers et de fora pour la vulgarisation du PSE. Et j’en passe… « Des Vertes et des Pas Mûres ».
Il n’est pas exclu que demain, les programmes de l’éducation nationale soient modifiés pour intégrer le PSE. C’est un bouleversement complet du mode de vie des sénégalais qui est attendu avec le PSE, une transformation radicale de leurs conditions matérielles, économiques et sociales, une révolution fulgurante qui propulsera le Sénégal dans le cercle très fermé des pays émergents en 2035.Nous dit-on !
Les dizaines de milliards annoncés vont irriguer les champs agricoles en Casamance pour en faire le grenier de l’Afrique, permettre la construction de milliers d’écoles ou de structures de la seconde chance pour les talibés, assurer la réinsertion des mendiants qui pullulent à Dakar, favoriser la création de 500 000 voire 1 million emplois,  mettre fin aux délestages, à la famine dans le monde rural, doter en équipements les hôpitaux qui manquent de tout. Avec le PSE, les agents fictifs repérés dans le cadre de l’audit biométrique pourront être recasés ailleurs, tandis que certaines recrues de la nouvelle agence de sécurité de proximité (milice politique) verront enfin leurs arriérés de salaires payés.
Grâce au PSE, tous les soucis du quotidien sont à conjuguer au passé, car les caisses sont pleines. Désormais les sénégalais pourront se réveiller en pensant au PSE, aller au travail en évaluant les apports du PSE, prendre leur déjeuner en se réappropriant le PSE, et enfin dormir en chantant le PSE. Faudrait-il envisager un clip musical intitulé « SUNU PSE BI » pour marquer durablement les esprits ou réaliser un site web dédié à la promotion du PSE? Déjà, on entend çà et là que telle institution est passée à la caisse, que tant de milliards ont  été reçus, que XX milliards ont été décaissés pour telle région, etc…En vérité, le tapage médiatique de grande envergure orchestré pour convaincre de la réception de centaines voire de milliers de milliards paraît incroyablement suspect. L’écrivain Wole Soyinka affirmait « le tigre ne proclame pas sa tigritude…».
S’il est avéré que les montants cités sont effectifs, nul besoin d’en faire la publicité permanente dans les journaux : les sénégalais en sentiront indiscutablement les effets dans leur vie quotidienne. Il est possible que les ravages induits par l’expression « Deuk bi dafa Macky » aient incité les tenants du pouvoir à vouloir prouver vaille que vaille que le Sénégal est désormais un pays où l’argent coule à flots. Une façon de gommer l’image désastreuse du ressenti d’un dénuement  des sénégalais, attribué à tort ou à raison au régime actuel. Les communicants à l’œuvre savent que la persistance dans l’imaginaire des sénégalais de l’expression « Deuk  bi dafa Macky » constitue un obstacle majeur, de nature à hypothéquer toute chance de réélection en 2017.D’où l’idée d’un passage d’une période de vaches maigres (sous liquidité) à une période de vaches grasses (sur liquidité). Mais, comme tout ce qui est excessif est insignifiant, il serait peut-être grand temps d’opérer un retour au réel.
La communication disproportionnée au sujet du PSE peut être schématisée de la sorte : « un père de famille, confronté aux difficultés de la vie et ne pouvant plus assurer les 3 repas quotidiens débarque un jour chez lui, et tint le discours suivant : Tous les espoirs sont permis car on vient d’effectuer un virement de 100 millions de CFA sur mon compte qui sera disponible dans une semaine». Pendant toute une semaine, chaque membre de la famille chanta, dansa, et exprima les doléances les plus folles. Puis, de semaine en semaine, s’en suivit une interminable attente qui prit fin, lorsque couvert de honte, le père se résolut à abandonner la demeure familiale. Pour aller loin, très loin, vers une destination inconnue. L’histoire se referma ainsi.
Par définition, un plan est un plan, ni plus, ni moins ; la conception d’un projet dont la seule mesure reste la mise en œuvre et la réalisation. Si l’intention est louable, seul le résultat compte. Tous les architectes et experts pourront témoigner du nombre de plans établis, rangés méthodiquement dans les tiroirs, qui n’ont jamais connu le moindre début d’exécution. Pour la seule année 2011, le Sénégal a reçu au titre de l’aide publique au développement la rondelette somme de 1 milliard d’euros. Qu’en est-il advenu ? Nul ne le saura.
De 1960 à nos jours, le Sénégal reste l’un des pays d’Afrique noire le mieux aidé. Des dizaines de milliers de milliards de FCFA ont été injectés dans le circuit économique. Pour quels résultats ? Selon les dernières statistiques connues, presque un sénégalais sur 2 vit en dessous du seuil de pauvreté. Un chiffre considérable. Cherchez l’erreur !
Ne faudrait-il pas effectuer le bilan de l’aide publique au développement, connaître les montants alloués depuis l’indépendance, afin de comprendre pourquoi les populations, premiers destinataires de l’aide sont toujours aussi pauvres 54 ans après, même si de légers progrès sont notés ? Au moins, «Sénégal : trajectoire d’un Etat», fruit d’une étude pluridisciplinaire d’universitaires chercheurs (CODESRIA) offre une grille de lecture pour cerner les ressorts politiques, économiques et sociaux du mal développement au Sénégal.
En fixant comme échéance 2035 pour l’émergence du Sénégal, l’actuel Président s’affranchit de son programme Yonnu Yokkute, diffère ses engagements à moyen terme et donne rendez-vous dans 21 ans. Si chaque pouvoir qui passe échafaude un plan dont l’effectivité interviendra au moment où il n’est plus aux manettes, les sénégalais ne sont pas prêts de sortir de l’auberge. Il est fort à craindre que les régimes suivants se refilent le bébé indéfiniment. Au grand dam des sénégalais considérés comme les dindons de la farce.
S’il est pertinent d’élaborer une prospective en 2035, il est prioritaire de prendre en charge les préoccupations essentielles des sénégalais en 2014, 2015, 2016, et 2017 et d’assurer l’accès aux services de base (eau potable, énergie, santé, éducation, nourriture, etc..).Un minimum pour un pays qui veut tendre vers l’émergence. Pour savoir si le Sénégal sera émergent en 2035, il est impératif de vérifier si les objectifs fixés au stade intermédiaire ont été atteints ou pas, de procéder à un bilan annuel afin que les sénégalais sachent si les résultats sont soit en deçà, soit conformes aux prévisions, soit supérieurs au niveau attendu. Car, la demande sociale pressante ne saurait attendre 2035 pour espérer voir le bout du tunnel. C’est comme quelqu’un qui ne possède pas encore une case et qui ambitionne d’acquérir un patrimoine immobilier démesuré. La méthode des priorités inversées.
Un ex Commissaire des politiques économiques de l’UEMOA a bien raison d’exprimer ses vives réserves à l’égard d’un « Plan » dont on a vite fait de tenter de nous faire croire qu’il demeurait autre chose qu’un « Plan », qui sera jugé avant tout sur son applicabilité. Un célèbre proverbe wolof dit « Lekettou Kesse Nakhouli Bey ».Entre une action concrète circonscrite dans le présent qui améliore le quotidien et la promesse du Grand soir qui propose un paradis incertain, le choix des sénégalais ne ferait l’ombre d’un doute.
Dans le « mandat » de Sembene Ousmane, le personnage « Ibrahima Dieng » n’aura vu nulle trace du mandat qui lui était destiné, passant de désillusion en désillusion. Pour le PSE, la fureur du bruit dépasse de loin les actions visibles attendues par les populations. L’émergence ne se décrète pas, elle se constate. Elle ne consiste pas à convoyer des centaines de personnes à Paris pour une réunion, ni festoyer en distribuant des FCFA devant les caméras, encore moins organiser des manifestations politiques qui tournent au pugilat. L’émergence relève d’un tout autre niveau, passe par la consolidation d’un Etat de droit et par un soutien sans faille au Procureur de Tamba, qui applique scrupuleusement la loi, rien que la loi, toute la loi. Avec comme seul juge sa conscience. En toute responsabilité.
Plus que jamais, les citoyens sénégalais doivent redoubler de vigilance et scruter à la loupe la parole de ceux qui aspirent à gérer leur destin. En politique, il ne suffit pas simplement de croire, il faut voir. Qui ne se souvient pas de la fameuse chanson « L’AN 2000 ATOUM NATANGUE LA ». En 2014, laissons aux citoyens le soin de trancher. Dans les « contes d’Amadou Koumba » de Birago Diop, une des formules consacrées est : Il était une fois…..

Seybani SOUGOU- E-mail : sougouparis@yahoo.fr

Lundi 24 Mars 2014 - 10:06


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