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L’Eau à Dakar : Services publics, intérêts privés et choix stratégiques

« Il y a trois sortes d'hommes politiques : ceux qui troublent l'eau, ceux qui pêchent en eaux troubles, et ceux, plus doués, qui troublent l'eau pour pêcher en eaux troubles. »

Arthur Schnitzler
Extrait du Relations et solitudes



L’Eau à Dakar : Services publics, intérêts privés et choix stratégiques
C’est donc la déchirure d’une pièce en acier intercalée entre deux conduites en fonte qui serait à l’origine de la pénurie sans précédent d’eau potable dans la capitale sénégalaise, selon l’expert Babacar Ndiaye, ingénieur consultant en hydraulique.

L’ingénieur consultant, expert en hydraulique que je suis, ne peut s’arrêter aux causes circonstancielles de la défaillance d’une infrastructure où le salut du public est en jeu. Sinon, d’ingénieur, je me limite au rôle de technicien. Le serment d’un ingénieur de conception l’oblige à toujours mettre la sécurité du public au cœur de son engagement professionnel. La fiabilité des infrastructures physiques est loin d’être la seule garantie de cet engagement. L’opérationnalisation du système, son mode de gestion et son adéquation avec la communauté dans laquelle il s’insère sont autant de responsabilités dont l’ingénieur ne saurait se départir.

Toute justification de la faillite d’un ouvrage d’ingénierie, qui représente un risque à la sécurité au public, ne peut être réduite à « une défaillance d’ordre technique », de surcroît trop précipitamment médiatisée comme imprévisible.

Ceci pour dire que les nombreuses pannes techniques sur cette conduite qui ont été enregistrées ces dernières années devaient constituer un signal fort de la nécessité d’analyser le système dans son ensemble pour tout acteur consciencieux du domaine.

Maintenant que la catastrophe peut écorcher un capital politique, on nous annonce à posteriori des audits techniques, financiers et organisationnels tous azimuts. Ce n’est que maintenant que l’on parle de dédoublement des conduites et de diversification des sources d’approvisionnement « parce que le schéma actuel constitue une menace à la sécurité publique ». On reviendra sur les mesures préconisées pour diversifier les sources d’approvisionnement de Dakar plus loin dans ce propos. Faut-il rappeler à ceux en charge de ces audits que l’assainissement aussi est partie intégrante de toute vision cohérente de l’hydraulique urbaine ? Ou devrons-nous attendre une catastrophe liée aux réseaux d’assainissement pour dénoncer pêle-mêle le manque de moyens de l’Office National d’assainissement du Sénégal (ONAS), le déficit d’anticipation des décideurs ou le comportement citoyen irrévérencieux et désinvolte vis-à-vis de l’espace public, celui là qui jette des carcasses de moutons ou qui dépouille les regards d’égouts des couvercles en fonte d’acier, servant notamment à protéger les conduites d’assainissement?

De nombreux ministres de l’hydraulique se sont succédé depuis 1996 et aussi depuis 2004, date à laquelle le gouvernement de l’époque a confirmé la viabilité de l’infrastructure technique, financière et organisationnelle qui éxiste aujourd’hui. De tous ces passages, on retient sept avenants consolidant le statu quo du contrat d’affermage Etat-SONES-SDE. Ce partenariat public privé (PPP) a permis d’augmenter de façon significative, les branchements physiques à un système d’adduction d’eau tout en permettant à la SDE de faire des profits dont dépendent le montant des redevances à l’état. Aujourd’hui, force est de constater la grande vulnérabilité d’un système dont les responsables de la SDE n’ont pas fini de chanter les louanges en le présentant comme modèle, tout en qualifiant la catastrophe actuelle d’événement exceptionnel. Les techniciens de la SDE se sont probablement dévoués avec ardeur, certes, pour « réparer le tuyau » - et c’est certainement la mort dans l’âme qu’ils ont fini par avouer leur incapacité à le faire -mais fondamentalement, ils n’ont jamais eu les moyens techniques et humains de combler la défaillance de tout un système né de mauvaises décisions prises plusieurs années plus tôt. Il est important de noter que le fait  de ne pas prendre de décisions est une décision, souvent de maintien de statu quo. Les techniciens donc n’ont que les moyens de maintien du statu quo. Ils n’ont pas les moyens de faire face à la matérialisation du risque inhérent (et élevé) de la configuration courante du système. On peut peut-être conclure que ce système n’avait que très peu d’incitation à investir des ressources dans le contrôle de ce risque sachant que ce genre d’investissements aurait nécessité des ressources humaines et techniques et des infrastructures d’appoint, sans générer un retour direct sur investissement. Les branchements physiques, eux, permettent une facturation. Ou on peut dire que ce système ne prévoyait pas de possibilité de problèmes majeurs sur une conduite dont la faillite constitue un grand risque au public. Y a t il défense d’intérêts spécifiques en conflit direct avec l’intérêt du plus grand nombre ou y a-t-il incapacité caractéristique à anticiper et agir dans un environnement en perpétuel mouvement ? Pourtant, la réussite de toute politique de développement dépend largement de la capacité d’anticiper dans la mesure du possible  les mutations constantes du monde. Les experts en eau du pays qui ont anticipé voilà plus d’une décennie, la croissance démographique, le changement d’utilisation du territoire, l’impact potentiel des changements climatiques et les exigences nouvelles des citoyens en relation avec leur impact sur la capacité à distribuer de l’eau potable, ont fourni des recommandations aux preneurs de décisions relatives à l’extension et au renouvellement du réseau d’approvisionnement ainsi qu’à la diversification des sources d’approvisionnement de la capitale sénégalaise. Incidemment, l’actuelle directrice générale de la SONES – anciennement directrice générale de la Direction de la gestion et de la planification des ressources en eau (DGPRE) - est bien au fait de ces études et recommandations. Un constat y alertait déjà les autorités sur la nécessité de bien mobiliser la ressource Eau en amont du réseau de distribution et insistait beaucoup plus sur cet aspect que sur la multiplication de forages, comme nous l’ont annoncé post-désastre le ministre de l’hydraulique, le premier ministre, le chef de l’état et la directrice de la SONES elle-même.
 
Les dirigeants de nos pays prennent souvent, messieurs et mesdames, de bien mauvaises décisions ; cela contribue significativement à la difficulté que nous avons à améliorer notre sort commun.
La mémoire de l’état est encore mal gérée en ce sens que la conservation des connaissances est mal valorisée. Combien d’études sont redondantes ? Combien de recommandations issues des intelligences vives de la nation –contenant des solutions encore d’actualité- pourrissent dans les tiroirs de l’administration ? ou sous le coude d’un fonctionnaire chevronné incapable d’avaliser les compétences d’un concitoyen ? Un développement soutenu s’appuie aussi en grande partie sur l’encapsulation, la maintenance et la diffusion des connaissances accumulées durant la vie d’une nation. C’est sur cette base que des connaissances nouvelles endogènes peuvent naître et servir.
 
La société sénégalaise regorge de citoyens qui ne manqueront pas, comme ils l’ont toujours fait, de signaler quels événements – et ils existent – sont réellement hors de notre portée et de nos capacités et quels sont les conséquences du manque de vision et de prévoyance. Certains trouveront là  les causes du retard dans le développement, en conjonction avec le comportement citoyen dans l’espace public.
 
L’intérêt stratégique de la disponibilité d’eau potable ne se démontre plus. A l’échelle de la planète déjà, seulement 3% de l’eau est directement potable dont les 2/3 sont sous forme de glaciers aux pôles du globe. De la quantité d’eau douce restante, les 2/3 sont utilisés pour l’agriculture. Historiquement, les communautés humaines pérennes n’ont pu se développer d’abord que par la densification de population autour de cours d’eau ou en zones côtières.

S’agissant du contexte des pays en voie de développement en général et de l’Afrique sub-saharienne en particulier, l’exode rural combinée à une croissance démographique qui se traduit par une pyramide des âges très large à la base, fait prédire des taux d’urbanisation dépassant 50% de la population dans moins de deux décennies.

La maitrise de l’eau représente aussi une raison majeure d’absence ou de présence de conflits inter-états, comme l’a si bien suggéré un autre Babacar Ndiaye, Justin celui-là. Son article publié le 23 septembre dernier ne manque pas de souligner les paradoxes des décisions prises au sommet de l’état en matière de politique de l’eau:
 
http://www.dakaractu.com/Laser-du-lundi-La-Primature-n-est-pas-la-Premiere-sinecure-Par-Babacar-Justin-Ndiaye_a52324.html
 
La réponse à la question de savoir pourquoi un élément si essentiel à la vie et rare de surcroît devrait se payer se trouve dans le paradoxe « pénurie d’eau en période d’inondations ». L’eau est un élément de la Nature qui suit un cycle au cours duquel il se transforme et coule des montagnes vers les océans via des cours d’eau de surface et des écoulements souterrains. Aucun obstacle ne lui résiste éventuellement. Mais l’ingénierie humaine peut détourner via des infrastructures une partie de cette ressource pour la stocker et la contenir temporairement - dans certaines limites - afin qu’elle puisse produire de l’énergie ou être distribuée et là ou elle est demandée, au moment où elle est demandée en quantité et en qualité suffisante. Ce sont donc les systèmes conçus et gérés pour le contrôle relatif de la ressource qui ont un coût, en lieu d’une dépendance sur la pluie pour les besoins naturels humains ou autre irrigation d’une agriculture organisée voire production d’énergie hydro électrique.

 La capacité à maintenir la vie en communautés agglomérées dans des villes est fortement menacée en termes de santé, de sécurité et de durabilité quand la demande en eau potable en quantité et en qualité suffisante n’est pas satisfaite.

Cela doit donc être une grande priorité, voire une question de survie, d’assurer autant que possible, des conditions d’accès à l’eau à une population déjà soumise à des perspectives difficiles d’éducation et d’emploi quand on parle de pays relativement pauvres.
 
Les choix que font ceux qui ont dépensé de l’énergie pour le privilège de prendre en charge la santé, la sécurité et la destinée d’un peuple, doivent constamment évaluer les risques que leurs décisions impliquent. La vigilance et la minimisation du risque relèvent aussi de leur responsabilité. En particulier, il est important d’évaluer et de comprendre les conséquences de la défaillance d’un système et de ses composantes (sous-systèmes).
 
La pression démographique, les avancées dans la connaissance, les progrès technologiques, l’effet des changements climatiques ont amené à  la réalisation de la complexité des systèmes hydriques. Cela a conduit à l’émergence du concept de gestion intégrée de l’eau. Dans ce paradigme, les gestionnaires de l’eau sont incités à la réévaluation régulière des systèmes et de la motivation des décisions liés à l’évaluation des risques.  C’est bien pourquoi la déclaration du directeur de la SDE, disant qu’il fait ce métier depuis 36 ans et qu’il n’a jamais vu une panne pareille ne suffit pas à exempter ceux en charge de la distribution d’eau potable, de la responsabilité d’être proactif dans un monde en constante mutation. Le contexte de la ville de Dakar et du monde en 1971 n’est pas celui de 2013. La connaissance et la maitrise des enjeux, les exigences en quantité et qualité des services publics et les conséquences potentielles d’une rupture d’offre de services (publics) ne sont pas les mêmes pour une ville de 300 000 habitants en 1971 versus une ville de 3 000 000 d’habitants en 2013.
 
Mais pour revenir à l’événement « exceptionnel » que constitue la défaillance d’un tuyau dans un réseau de distribution d’eau potable, et s’agissant des délais de retour à la normale, le ministre en charge de la bonne gouvernance s’est abstenu de donner une date butoire, arguant qu’un retour à la normale est tributaire entre autres, d’un temps d’usinage de la pièce déféctueuse. Il a aussi insisté sur le fait qu’il faudrait au-delà de six mille camions-citernes en rotation permanente pour pallier à la perte enregistrée du fait de la défaillance d’un tuyau qui a été conçu pour transporter 40% de l’eau potable.

Lorsque le ministre de la bonne gouvernance insiste sur le fait que les pertes enregistrées équivalent à 6000 camions-citernes en rotation constante, cela devrait plutôt pousser à réfléchir sur la gravité du risque qui a été ignoré plutôt que sur le manque de moyens à posteriori de faire face à la phase aigue d’une catastrophe. Trop souvent on dit des catastrophes ou des calamités qui nous affectent qu’elles sont imprévisibles et qu’elles sont au-delà de nos capacités à y faire face : « c’est la volonté divine » ! Rappelez-vous encore de l’accident du Joola. Il y aura toujours des catastrophes dont l’ampleur et les conséquences dépassent les capacités humaines d’anticipation, mais il faudra bien comprendre un jour que cette volonté divine peut être la manifestation de la négligence humaine à prendre consciencieusement ses responsabilités. Cette même volonté divine peut se manifester par la clémence envers ceux qui décident de bien faire les choses pour les bonnes raisons.
 
Le gouvernement a annoncé une série de mesures parmi lesquelles le maintien de l’ordre face à ceux qui chercheraient à profiter de la crise pour déstabiliser l’état. Il semble que ceux qui souffrent du manque d’eau et d’électricité dans un contexte de chaleur humide et d’inondations, sans oublier les dépenses à venir relatives à la rentrée des classes et de la tabaski, n’ont pas besoin d’éléments infiltrés de l’opposition, si profiteuse qu’elle soit, pour leur suggérer leur exaspération. La crainte de la grogne populaire ne se justifiera plus dès que l’eau coulera à nouveau…..et que l’électricité sera régulière à prix raisonnable…. et que les réseaux de téléphonie mobile seront moins encombrés…. et que les denrées….. Peut-être qu’il y a lieu de surveiller la grogne populaire après mûre réflexion, on ne sait jamais !
 
 
Le maitre d’ouvrage (les décideurs en charge de l’état) a validé (en 1996) le choix démesurément risqué de faire dépendre une grande partie du transport d’eau potable par une seule conduite. Pire, ce même maitre d’ouvrage n’a pas cru bon de s’assurer de mesures de limitation du risque telless que la formation des techniciens à l’utilisation et la maintenance d’une pièce spécialement usinée pour la circonstance, la constitution de stocks de pièces de rechange disponibles non loin du site pour minimiser la durée éventuelle d’une crise aigue par une intervention rapide ou l’exigence de plans d’urgence visant à diminuer l’impact important d’une défaillance du système (conduite parallèle d’appoint de moindre diamètre, identification et système de mobilisation en avance des ressources d’urgence disponibles et des réseaux de collecte et distribution pour qu’ils soient mobilisables de façon efficiente dès les premières heures d’une catastrophe, etc). Même les pannes récurrentes sur ce tuyau depuis quelques années n’ont inspiré ni au directeur de la SDE « qui fait ce métier depuis 36 ans » faut-il le rappeler, ni à la direction de la SONES, l’initiative d’être proactif par rapport aux risques qui pèsent depuis le début sur la population de Dakar.
 
 
Quelle est la cause des mauvaises décisions impliquant la vie de toute une population ? Il peut s’agir du manque de compréhension des enjeux et risques, comme il peut s’agir de décisions délibérées prises sur la base d’un calcul cynique. Dans le deuxième cas de figure, trop souvent il y a un gain personnel –politique ou matériel- et la promotion de privilèges d’une catégorie sociale spécifique qui désormais défendra becs et ongles, ses privilèges acquis. Souvent, les systèmes découlant de ces décisions vont à l’encontre des intérêts de la nation dans son ensemble, mais les acteurs de désastres à venir comptent sur le fait qu’ils ne seront plus aux affaires le jour d’une catastrophe annoncée et aussi sur le fait que l’urgence de la catastrophe à venir exige que l’attention soit portée à la solution du problème crée par cette situation d’urgence.

Un certain Mamadou Dia d’un autre temps a compris sur le tard la violente opposition à son action. Sa politique de développement agricole rétablissait un certain équilibre et une certaine justice sociale dans le monde paysan, mais malheureusement au détriment d’intérêts spéciaux qui jusqu’aujourd’hui plombent  la capacité à prendre des décisions propices à un développement économique réel de la nation dans son ensemble. Le tournant qu’a pris le pays depuis se retrouve dans toutes les décisions qui ont conduit à la configuration actuelle de l’industrie sucrière, de l’industrie bancaire, de l’industrie de l’énergie et dans l’industrie de la téléphonie mobile et de nombreux autres secteurs d’activité économique du pays.
 
Alors, observons bien les décisions a priori de ceux qui prônent la rupture plutôt que leurs décisions qui viennent a posteriori d’événements susceptibles de changer l’opinion favorable des votants, même si celles-ci sont bonnes dans les circonstances.
 
Quand les gouvernants ne développent pas une vision stratégique intrinsèque et cohérente, pour le salut et la pérennité de la société,  les projets de développement s’assujettissent assez vite à l’intervention ciblée, sectorielle et fortement conditionnée des bailleurs de fonds. Cela amène au minimum des redondances et des effets indésirés d’une action dans un secteur d’activités sur d’autres secteurs d’activité de l’économie. Cela peut permettre dans certains cas, au bailleur de fonds d’exiger que les cahiers de charge contiennent des éléments favorables aux firmes des pays dont ils promeuvent les intérêts. Et il est fréquent de constater que sans garde-fous réels l’intérêt privé entre en conflit avec l’intérêt public.
 
Une certaine presse a levé le voile sur un des aspects de cette « catastrophe » programmée : le bailleur de fonds français, en l’occurrence l’AFD, a financé la construction de l’usine, dont le contrat a été attribué à une société française. On suggère donc que le sous-système fautif n’est pas aussi performant que le constructeur ne le garantit, puisque prévu pour une durée de vie de 30 ans. Le fameux tuyau a connu, semble-t-il, plusieurs défaillances en moins de 10 ans de mise en opération. Si cela s’avère vrai, cette société serait coupable de « fausse déclaration » au vu du décalage entre les garanties de performance et les performances réelles de l’usine, et ce à condition qu’il ne soit pas démontré que les conditions d’opération de l’usine n’aient pas outrepassé les limites prescrites par le constructeur-concepteur de l’usine. Ce n’est néanmoins pas la cause principale de la situation que nous vivons. La société privée poursuit ses intérêts et cherchera toujours à maximiser ses profits dans le cadre de la marge de manœuvre qui lui est permise. Cela est d’ailleurs vrai de la SDE, société privée, majoritairement française au demeurant et qui défend les intérêts de capitaux privés regroupés au sein du fonds spéculatif Finagestion semblerait-il. L’AFD n’est pas le maitre d’ouvrage et surtout, la responsabilité du maitre d’ouvrage est toujours entière quant au développement d’une vision et la conception d’un système de gestion des infrastructures qui assure la sécurité et minimise les risques pour le public. Au Rwanda, les bailleurs de fonds s’adaptent à la vision stratégique et aux missions de salut public que ce pays a développé de façon endogène, et par ceux parmi les citoyens du Rwanda qui maitrisent les enjeux des secteurs dont ils ont la charge.
 
La notion de “Risk-Based Management” ou gestion basée sur l’évaluation du risque, du paradigme de gestion intégrée des ressources en eau est au centre des considérations lors de la conception des cahiers de charge relatifs à la configuration des infrastructures et des systèmes de gestion. Il s’agit de toujours minimiser le risque. Cette approche, qui sied bien aux infrastructures publiques à fort impact sur la sécurité des citoyens, permet de surveiller les maillons faibles du système, de prévoir des mesures de prévention avant, pendant et après toute catastrophe.

La SDE, en charge de l’exploitation du réseau, s’est souvent engagée dans une course à l’atteinte d’indicateurs chiffrés. Etant une entreprise privée, la maximisation du nombre de branchements physiques signifie plus de profits. C’est à la SONES de contrôler que cette poursuite de profits de la SDE ne se fait pas au détriment des objectifs réels de la distribution d’eau potable. Dans bon nombre de réunions, la SDE s’est félicitée d’être au rendez-vous des OMD en termes d’accès à l’eau potable. Si on considère les branchements physiques, c’est une vérité, mais si on s’intéresse à la qualité de l’eau et désormais à la sécurisation du système d’approvisionnement, il est fort possible que ces objectifs soient loin d’être atteints pour peu qu’on s’intéresse aux concentrations en calcaire ou en fluore de l’eau entre autres.

Du point de vue des décideurs, il n’est même pas suffisant de se contenter des indicateurs de performances sectoriels dans l’évaluation de leurs responsabilités envers le public, mais il faut  avoir une vision et une approche globales. Pourquoi l’assainissement est-il le parent pauvre qui est loin d’atteindre ces objectifs face à son parent « riche » alors que dès qu’on touche à l’eau potable, elle devient usée ?

Au Sénégal, l’ONAS soulignera le manque de moyens mis à sa disposition pour s’acquitter de sa mission, tandis que la réussite apparente du PPP ayant conduit au contrat d’affermage Etat-SONES-SDE indique que l’état n’est pas le mieux indiqué pour gérer le plus efficacement certains services publics. De toute façon, le PPP même s’il a donné des résultats, a atteint ses limites de l’avis des experts, et ce avant que ne survienne la crise actuelle. Cette crise permet de prendre note des incitatifs qui ont conduit la SONES a faillir à son devoir de contrôle. La crise actuelle coïncide avec la fin du contrat d’affermage. C’est peut être le lieu pour l’état de négocier en position avantageuse. Si par exemple, la société privée SDE n’a pas d’incitatifs à maintenir et réparer les installations pace que sa marge de profit est affectée, il faut espérer que les recettes de l’état soient découplées des bénéfices de la SDE. Dans un scénario où plus la SDE ferait des bénéfices, plus elle verse de redevances à la SONES, il y a une incitation à diminuer autant que possible les coûts de maintenance d’une part et une incitation à valider ce statu quo d’autre part. L’opportunité de cette crise est donnée pour éviter cette possibilité. La crise mondiale de la finance née en 2008 découle des mêmes incitations d’intérêt commun entre les régulateurs et les acteurs du privé avec qui ils interagissent.
 
La faillite, donc, n’est pas seulement celle d’une infrastructure physique, mais celle d’un processus de prise de décision et d’un mode de gestion,  révélateurs d’une négligence criminelle ou d’une complaisance de compromission tout aussi criminelle face aux enjeux. Et cette faillite fondamentale est pernicieuse. Elle donne des situations aberrantes dans le domaine de l’énergie, du cadastre (aménagement du territoire), de la téléphonie, voire même de la commercialisation de denrées de première nécessité. Un preneur de décisions peut certes manquer de compétences, disons techniques, mais devrait s’entourer de ceux dont la compétence peut éclairer les enjeux et défis et donc lui suggérer les meilleures décisions possibles, sans considération autre que l’intérêt des populations.

Il ya encore trop souvent une proportion démesurée de considérations politiques et électoralistes dans les décisions prises.

Lorsque récemment, le ministre en charge des inondations a déclaré sur un site encore inondé cette année malgré les travaux qui avaient été ordonnés sous son autorité – je cite « vous savez que lorsqu’un tuyau est plein, l’eau ne peut plus s’écouler », il y a lieu de se demander pourquoi ce décideur ne maitrise pas les concepts fondamentaux du comportement de l’eau en milieu naturel. Manque-t-il de curiosité ? Ces conseillers manquent-ils de présence à ses cotés ? Ces mêmes conseillers manquent-ils de courage pour dire la vérité ?

J’avoue qu’il est difficile de demander au gouvernement actuel de ne pas être réactif aux urgences d’aujourd’hui qui ont été semées avant-hier et hier.

Mais l’urgence ne doit pas les dispenser de prendre les meilleures décisions possibles et pour cela, il faut recourir aux forces vives réellement compétentes dont le pays ne manque pas. Il faut craindre que les leçons fondamentales ne soient pas encore assimilées. Les mauvais réflexes ont la vie dure, comme en témoigneront les familles des victimes du Joola. A l’époque la mort de plus de 2000 personnes dans le naufrage d’un navire dont la capacité était de 550 personnes avait bouleversé la nation, impuissante devant ses tares systémiques. Cela avait inspiré un excellent discours au président de l’époque et avait laissé entrevoir la promesse d’une approche disciplinée et consciencieuse de la gestion de la chose publique et du comportement citoyen. Hélas, ce sursaut ne devait durer qu’un printemps.
 
Alors la question que je pose se trouve dans un SMS que je me suis permis d’envoyer à quelqu’un qui fréquente les hautes sphères de la république et que je vous livre en guise de conclusion : «  Grand, ca va ? La crise actuelle montre si besoin en est, le rôle central de l’eau dans la vie. Avant que l’amnésie ne nous saisisse pour peu que l’aspect circonstanciel de la crise ne trouve solution, ne penses-tu pas que les décideurs auraient avantage à prendre conseil chez ceux qui maitrisent réellement les enjeux et problématiques liés à l’eau ? A très bientôt »
 
Pour la petite histoire, ce SMS est jusqu’à présent resté sans réponse.
 
Dakar, le 26 septembre 2013.
 
Ibrahim Touré, Msc PE
Ingénieur polytechnicien
Hydroinformaticien
Directeur exécutif EQUANYM SARL.

 

Ibrahim Touré

Dimanche 6 Octobre 2013 - 13:03


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