La France a fait son devoir en Côte d’Ivoire dixit N. Sarkozy : et en Palestine, Biélorussie et Birmanie ?



1. du Président Laurent Gbagbo

La crise politique installée en Côte d’Ivoire depuis le second tour de l’élection présidentielle a connu une nouvelle étape suite à l’arrestation du Président Laurent GBAGBO le 11 avril 2011. Durant quatre mois marqués par un imbroglio juridique et politique, et de violents combats, beaucoup de vies humaines ont sombré dans une lutte acharnée pour l’accès et la conservation du pouvoir entre deux hommes aux trajectoires très différentes.

En effet, M. Laurent Gbagbo est un intellectuel doublé d’un parcours militant qui forge l’admiration de l’engagement politique. Victime des geôles du régime du Président Houphouët Boigny avec plusieurs arrestations, brimades et emprisonnements, il accède au pouvoir avant de le perdre d’une manière humiliante qu’un prisonnier de guerre n’aurait même pas méritée selon la Convention de Genève.
Quant à M. Alassane Ouattara, il est un technocrate qui a longtemps servi dans les institutions financières internationales avant de poser ses premiers pas dans le mandarinat comme Premier ministre de Côte d’Ivoire.
Après une nationalité ivoirienne douteuse générant le concept d’ivoirité théorisé par le Président Henri Konan Bédié, celui qui fut considéré comme burkinabé s’engage en politique en créant son parti politique, le RDR. Avec la recevabilité de sa candidature à la présidentielle de 2010 mâtinée d’un lourd contentieux post-électoral, il se retrouve à la tête de l’Etat de Côte d’Ivoire par le soutien et l’onction de la majorité de la Communauté internationale.

Cette crise politique majeure a mis en relief des enjeux géostratégiques mettant au jour le mode opératoire de l’influence des grandes puissances mondiales en Afrique après la période de décolonisation. Elle obéit également à des mobiles d’ordre géopolitique, notamment en Afrique de l’Ouest. Sous ce rapport, on peut se demander en quoi cette crise électorale pose-t-elle la question de l’ambiguïté ayant longtemps entouré les relations entre la France et ses anciennes colonies, mais aussi la recherche de légitimité de pouvoir à travers les usages politiques de la supranationalité.

Répondre à cette interrogation suppose de porter un regard critique sur cette situation regrettable afin de mettre à nu ce que la parole officielle tente de masquer par une rhétorique sciemment ficelée. Pour ce faire, l’accent sera d’abord mis sur l’incohérence de la communication ayant entouré la parole officielle de la France après l’arrestation du Président Gbagbo (1), et puis sur la problématique de la réconciliation du Peuple ivoirien (2).

2. Réconcilier les Ivoiriens et reconstruire la Côte d’Ivoire : comment et avec qui ?

Pour l’observateur et l’analyste politique, le manque d’une manifestation populaire des Ivoiriens après l’arrestation de Gbagbo peut faire l’objet d’interrogations légitimes. Car les alentours de l’Hôtel du Golfe ne sauraient représenter toute la Côte d’Ivoire. Même si l’on note quelques allégeances de généraux de l’armée dont le Général Philippe Mangou, la question fondamentale qui se pose déjà est la difficulté d’expression d’une mobilisation populaire attestant la légitimité politique de M. Ouattara.

C’est dans ce cadre que la réconciliation des Ivoiriens demande une certaine approche inclusive pour réussir. Car les intérêts sont incommensurables dans le camp Ouattara ! Va-t-il respecter ses engagements électoraux du second tour avec le PDCI/RDA en formant un nouveau gouvernement d’ouverture dirigé par un Premier ministre issu de cette formation politique ? M. Guillaume Soro acceptera-t-il d’être sacrifié pour le bénéfice de la réconciliation, lui qui contrôle les forces de la rébellion rebaptisées Forces républicaines de Côte d’Ivoire (Frci) ? Peut-il continuer à être Premier ministre au moment où l’on parle de réconciliation ? Cette question est d’autant plus pertinente que M. Ibrahim Coulibaly qu’on surnomme IB réclame déjà sa part du « gâteau national ».

Cette pluralité d’intérêts met ainsi en lumière l’idée selon laquelle les grands bandits se tirent toujours sur les jambes au moment de partage du butin. Comment construire alors cette réconciliation et avec qui ? Si le terme de Commission Vérité Justice et Réconciliation a fait ses lettres de noblesse en Afrique du Sud post-apartheid, le problème qui se pose ici est le mode de choix des acteurs de cette structure en raison de la complexité de la crise. A ce titre, M. Paul Yao N’Dré, président du Conseil constitutionnel de Côte d’Ivoire, précise après son audience avec M. Ouattara : « Nous sommes tous responsables de ce qui est arrivé : le Président actuel, le Président parti, (Laurent) Gbagbo, les citoyens, les médias, tout le monde est responsable ». Même si l’appartenance politique de ce dernier a été beaucoup décriée au lendemain du second tour et non du premier, il est important d’apporter quelques précisions.

En France, l’histoire des institutions montre des connivences politiques entre des présidents du Conseil constitutionnel français et le locataire de l’Elysée. Précisément, M. Roland Dumas n’était-il pas socialiste et M. Pierre Mazeaud, un membre du RPR ? De plus, M. Jean-Louis Debré (actuel Président du Conseil constitutionnel), n’est-il pas membre de l’UMP ? Le mimétisme institutionnel qui a caractérisé la création des institutions des Etats-nation d’Afrique francophone au début des indépendances s’est transposé au niveau des pratiques de gouvernement de ces nouvelles entités étatiques issues des processus de décolonisation. Toutefois, la question du mode de sélection des membres de ces juridictions devant garantir l’impartialité de l’Etat, reste fondamentale dans le processus de construction des démocraties en Afrique subsaharienne.

Si l’urgence de l’heure demeure la réconciliation des Ivoiriens, il est d’abord important d’élaborer clairement la méthodologie qui sied et un chronogramme ne versant surtout pas dans la précipitation. Car cela pourrait ressembler à des artifices ou éclats médiatiques ! La stabilité réelle et durable de la Côte d’Ivoire est plus que nécessaire et souhaitable pour la sous-région ouest-africaine. Mais la question qui se pose est de savoir si cette réconciliation très attendue peut se réaliser dans l’ostracisme, notamment sans Gbagbo compte tenu de sa représentativité populaire incontestable. D’ailleurs, le Premier ministre kenyan n’a-t-il pas formulé une proposition d’amnistie du Président Gbagbo vu sa popularité dans la perspective de cette réconciliation ? Encore faut-il rappeler que c’est lui-même qui proposait auparavant une intervention militaire en Côte d’Ivoire.

Dans ce registre de réconciliation, Gbagbo doit avoir la possibilité de parler aux Ivoiriens et à ses militants. Pour sa sécurité, ne doit-il pas quitter le Nord, fief de la rébellion où il est actuellement mis en résidence surveillée et être avec sa femme ? Les organisations des Droits de l’Homme ne doivent-ils pas avoir la possibilité de lui rendre visite et de rendre compte à l’opinion jusqu’à son éventuel jugement ou sa libération ? Dans ce magma figé, tous les acteurs politiques et leaders d’opinion pouvant apporter leur contribution dans la couture du lien social en Côte d’Ivoire, doivent être associés dans cette entreprise.

C’est pourquoi il est regrettable, voire inadmissible, de voire les actes de vandalisme orchestrés sur la villa de la star de football et capitaine de l’équipe nationale de Côte d’Ivoire, M. Didier Drogba. Même s’il est de la même ethnie (Bété) que Gbagbo, Drogba a toujours eu le sens de la mesure durant toute la crise ivoirienne. C’est pourquoi le fait de vouloir écarter la variable identitaire de l’exégèse de cette crise résulterait d’une posture d’amateurisme dans l’analyse politique. Avec son charisme et sa position dans le champ sportif ivoirien, Didier Drogba peut jouer immanquablement un rôle très important dans ce processus de réconciliation des Ivoiriens.

Vouloir donc situer les responsabilités dans cette crise politique, suppose de partir depuis la construction de la rébellion ivoirienne en cernant ses artisans et ses argentiers. S’il y a des comptes à rendre ou une impunité à mettre en œuvre selon les allégations de certains, il urge de situer sans faiblesses les responsabilités dans les deux camps. A ce titre, Messieurs Guillaume Soro, Ibrahim Coulibaly dit IB et leur argentier encagoulé ne devraient-ils pas répondre de leurs actes au même titre que ceux que la communauté internationale met déjà, sans investigation préalable, sur le banc des accusés ? Fondamentalement, on ne peut construire une réconciliation durable en Côte d’Ivoire sans une justice impartiale. M. Ouattara osera-t-il livrer les siens à la justice ? Quel que soit le bord politique des auteurs de massacres, la loi doit les punir. C’est à ce niveau qu’est attendu le nouveau Président de Côte d’Ivoire pour une reconstruction du pays.
Etant un géant de l’Afrique de l’Ouest, la Côte d’Ivoire a besoin de se reconstruire rapidement pour apporter sa contribution à la dynamique économique de la CEDEAO. Il lui faut un plan hardi de redressement économique et social. Sur ce plan, M. Ouattara peut mettre en œuvre son expertise avérée d’économiste. Même si le pays dispose de ressources pouvant garantir sa solvabilité, la voie de l’endettement est-elle la seule indiquée ? La ministre française de l’Economie vient d’annoncer la signature d’une garantie d’une première tranche de 200 millions d’euros de prêt pour le paiement des arriérés de salaires des fonctionnaires ivoiriens. Ce recours à l’endettement est une des premières mesures économiques que vient de prendre le Président Ouattara. Mais la Côte d’Ivoire ne devrait-elle pas favoriser la coopération multilatérale ?
La complexité et la gestion de cette crise ivoirienne ont mis à nu l’échec de certaines organisations internationales sur le continent, notamment la CEDEAO et l’Union africaine. Aujourd’hui, on peut s’interroger sur la position de ces organisations sur le processus électoral nigérian et les massacres qui y ont élu domicile. Cette interrogation est aussi valable pour la situation actuelle de turbulences au Burkina Faso. Ces limites notoires appellent des réflexions sur la nécessité d’un parachèvement de l’intégration économique ouest-africaine qui doit inéluctablement passer par la création d’une monnaie unique. L’existence de monnaies différentes au sein de la CEDEAO ne constitue guère un avenir pour l’intégration.
Cette perspective monétaire permettra à l’Afrique de l’Ouest qui est aujourd’hui en crise (turbulences au Burkina Faso, violence au Nigéria) de jouer sa partition dans un contexte multilatéral dicté par la mondialisation. L’attitude de certains Chefs d’Etat de la CEDEAO dans la crise ivoirienne préfigurait déjà les processus électoraux dans leurs pays. Il s’agit surtout du Burkina Faso où un président de la République vient de se nommer Ministre de la défense et du Nigéria où l’élection présidentielle est plus que contestée. Ces derniers craignaient-ils subtilement qu’une jurisprudence Gbagbo leur soit appliquée après leur élection ou réélection ?

L’implication de la France dans la crise ivoirienne convoque aussi des questionnements sur le devoir que la France doit jouer dans la crise israélo-palestinienne, sans oublier la Birmanie et la Biélorussie, en tant que membre du Conseil de sécurité de l’Onu. Cette question est d’autan légitime que la situation de la Palestine dure depuis 1948, date de création de l’Etat d’Israël par Ben Gourion. Mais la France osera-t-elle aller jusqu’au bout dans sa reconnaissance de l’Etat de Palestine ? En 1990, l’opposante charismatique, Madame Aung San SUU Kyi a gagné les élections générales organisées en Birmanie. Mais la junte militaire l’a arrêtée et mise en résidence surveillée après avoir annulé les résultats du scrutin.
Pourquoi la communauté internationale n’a pas agi comme elle vient de le faire en Côte d’Ivoire ? De plus, une mascarade électorale y a été faite lors des élections législatives de 2010. Dans une autre aire géographique comme la Biélorussie, le pouvoir en place en Biélorussie a fait une forfaiture lors de l’élection présidentielle de 2010 en arrêtant tous les opposants avec des violations des droits de l’homme. La communauté internationale a-t-elle préféré appliquer comme toujours une position à géométrie variable ? Autant de questions qui sous-tendent le devoir à jouer par la France et sur lequel elle est attendue après son devoir joué en Côte d’Ivoire, dixit M. Sarkozy.

Dans la trajectoire des peuples, la France et l’Afrique sont liées par l’histoire, notamment la colonisation et les deux guerres mondiales. Malgré le rôle joué par les Africains et les forces du monde libre dans la libération de la France du joug nazi, une certaine nébuleuse semble continuer d’entourer les relations entre l’ancienne puissance coloniale et ses ex-colonies. La France a-t-elle joué son devoir selon les termes de celui qui disait à Dakar que « l’Africain n’est pas entré dans l’histoire », ou a-t-elle agi pour sauvegarder jalousement ses intérêts en Côte d’ivoire ? Dans ce contexte mondialisé où les notions de pré-carré n’ont plus de place, la promotion de la coopération multilatérale permet de garantir les intérêts de chaque pays. Comment élaborer alors une reconstruction de la Côte d’Ivoire ?

Au demeurant, la proposition d’une grande conférence internationale sur la reconstruction de la Côte d’Ivoire sous l’égide de la CEDEAO, de la Diaspora ivoirienne et des bailleurs de fonds, semble opportune vu les ruines qu’a connues le pays durant ces derniers mois. Toutefois, M. Ouattara a besoin d’une légitimité légale reconnue par les institutions ivoiriennes. Mais où va-t-il officiellement prêter serment même s’il l’a déjà fait par écrit selon la constitution ivoirienne ? Va-t-il s’en passer de cette procédure solennelle ? Le fera-t-il devant l’Onuci qui a certifié les élections ou le Conseil constitutionnel ivoirien que son RHDP ne reconnaissait pas ? Aujourd’hui, l’accent doit être mis sur les questions de développement et de reconstruction de la nation ivoirienne.

Dans ce gigantesque chantier de redressement national et de remise à niveau de l’armature sociale de la Côte d’Ivoire, le Président Ouattara doit entreprendre une ouverture politique et démocratique excluant toute chasse aux sorcières, notamment envers la presse et les médias. Nier le poids électoral du Président Laurent Gbagbo et de son camp dans cette entreprise de réconciliation nationale, c’est verser dans l’impasse ! Ce qui suppose une implication de tous les Ivoiriens en Côte d’Ivoire et dans la Diaspora. Que l’Eléphant se relève pour le bien-être et l’union des Ivoiriens dans une sous-région politiquement stable !

Abdou Rahmane THIAM, Docteur en Science politique

Mardi 26 Avril 2011 18:05


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