Irène Rodrigues : Beaucoup de peine, évidemment, et beaucoup de douleur. Quelque part, on n’osait pas croire que cela se terminerait comme ça. Beaucoup de colère et de pleurs.
De la colère, dites-vous. Contre qui ?
Contre le gouvernement français. Nous savons que les assassins, c’est le Mujao. Mais ma conviction, c’est que le gouvernement français n’a pas fait correctement son travail.
Comment avez-vous appris le décès de votre frère ?
Le décès officiel de Gilbert, je l’ai appris par le Quai d’Orsay, qui m’a appelée pour me dire qu’il y avait un communiqué qui allait sortir revendiquant la mort de Gilbert et que le gouvernement français allait le démentir.
Est-ce que le Quai d’Orsay a évoqué avec vous la teneur de ce communiqué qui allait être publié par le Mujao ?
Oui, mais pour l’instant, je ne veux pas en parler. Je ne peux pas en parler.
Est-ce que ce communiqué du Mujao, qui était annoncé par le Quai d’Orsay, aurait pu évoquer l’hypothèse d’une bavure de l’armée française ?
La question que je me pose, c’est pourquoi nous appelle-t-on pour nous dire : « Il va y avoir un communiqué du Mujao sur le décès de Gilbert, mais le gouvernement français va le démentir ». C’est l'une des questions que je me pose.
Quand vous vous posez cette question, est-ce que vous avez des réponses ?
Cela fait trois jours, c’est beaucoup trop frais. Les questions ont toujours été là et elles seront toujours là. Je chercherai à savoir. Il faut que le gouvernement français, le Quai d’Orsay et toutes les autorités se mettent bien en tête que je vais fouiller. Je vais chercher. Et je ne veux surtout pas entendre qu’on se réfugie derrière le secret défense. Cela, il n’en est pas question.
Cela veut dire que le Quai d’Orsay a été prévenu par le Mujao, juste avant ?
Nous y voilà. L’annonce du Mujao communiquant la mort de Gilbert a été faite par SMS, une semaine avant, à l’AFP. Et elle a été renouvelée par téléphone. Là aussi, je me pose la question : pourquoi ? Pourquoi l’annonce de la mort de Gilbert par le Mujao avait-elle été faite une semaine avant ?
Lorsque le Quai d’Orsay vous a appelée, est-ce qu’on vous a dit tout de suite que votre frère était décédé ?
Non. On nous a simplement dit qu’il y avait un communiqué qui allait sortir pour annoncer la mort de Gilbert. C’est tout.
Savez-vous si le corps de votre frère a été retrouvé ?
J’imagine que, n’ayant pas négocié Gilbert vivant, ils vont négocier une dépouille. Parce que j’imagine que le Mujao ne va pas rendre le corps comme ça.
Dans son communiqué, publié mardi soir, l’Elysée dit qu’il y a « tout lieu de penser que Gilberto Rodrigues Leal est décédé depuis plusieurs semaines du fait de ses conditions de détention ». Pensez-vous que cette version est la bonne ?
Gilbert, en partant, était quelqu’un de bien portant. Mais effectivement, dans le Sahel, on n’est pas à l’abri d’attraper une maladie. Et il y a aussi la fatigue et les conditions de détention. Ceci dit, les trois-quarts du temps, quand des jihadistes ont un otage malade, ils se dépêchent de le négocier. Parce qu’un otage malade, c’est toute une logistique qu’ils ne savent pas gérer.
Si vous ne croyez pas à cette version du décès pour des raisons de santé, quelle est la version que vous privilégiez ?
Je n’en privilégie aucune. C’est au gouvernement français de m’éclairer là-dessus. Moi, je peux penser qu’il a pris une balle dans la tête, la France restant sur sa position où elle ne veut pas négocier. Et c’est horrible pour nous. Et c’est horrible de penser que Gilbert a pu être malade pendant des mois et des mois.
Mais je me demande depuis quand le gouvernement français peut dire que « Gilbert était malade depuis des semaines ». Comment le savent-ils puisqu’ils n’avaient rien ? Depuis un an, on nous dit : « on n’a pas de contacts, on n’a pas de réseau, on n’arrive pas à entrer en contact avec le Mujao ». Et pour cause : le Mujao, le 4 février, avait déclaré qu’il ne voulait plus négocier avec la France. Cela aussi est important.
Abu Sahraoui, l'un des chefs du Mujao, a fait une demande de négociation pour Gilbert, le 22 janvier 2013. Monsieur Le Drian en tête, suivi de Monsieur Fabius et de Monsieur Hollande, sont tous passés dans les médias en disant : « on ne négociera pas avec les jihadistes ». C’est ce jour-là que l’Etat français a lâché Gilbert. C’est ce jour-là qu’ils l’ont condamné. Dans mes certitudes, le gouvernement français a lâché Gilbert le 22 janvier 2013, lors de la demande de négociation.
Dimanche, le jour où les otages français de Syrie sont rentrés en France, Laurent Fabius s’est dit très inquiet pour votre frère. Pensez-vous qu’à ce moment-là, il savait déjà que votre frère était décédé ?
Oui. Ils le savaient tous.
Comment le savaient-ils, selon vous ?
Par cette dépêche de l’AFP, qui a sûrement été bloquée. Les quatre otages de Syrie étaient sur le point d’être libérés. Il ne fallait pas gâcher la fête. Il y a les otages de première et de deuxième catégorie. Les otages d’Arlit, au bout d’un certain temps, ont été libérés grâce à Areva. Et cela s’est vérifié et confirmé par la grosse machinerie qu’il y avait derrière les journalistes. Alors que Gilbert n’a aucune machinerie derrière lui. Nous avons été seuls. Qu’on ne me dise pas que le gouvernement nous a entourés. C’est entièrement faux.
Source : Rfi.fr