La dernière fois que nous avons rencontré et discuté avec le Pr. Sankharé c’était en 1998 à l’Université de Dakar. Il était question de philosophie grecque et de pensée islamique. L’étudiant que j’étais devait être évalué sur ses travaux. C’était en présence du Pr. Souleymane Bachir Diagne. Dans ce cadre académique, les échanges furent rudes mais courtois. La lecture de son récent ouvrage, Le Coran et la culture grecque - ouvrage qui a suscité de nombreuses réactions au Sénégal - nous place dans le rôle inverse. Nous avons voulu en faire un compte-rendu critique et, pour cette manche, l’étudiant, qui a « grandi » entre-temps, s’est arrogé non sans humilité, la place du professeur-évaluateur. De quoi est-il question dans cet ouvrage? Pour l’auteur, et ce sont les présupposés de son livre, tout un « courant obscurantiste s’est ingénié à distiller l’idée d’un monde vierge d’apports culturels extérieurs » à l’islam.
En effet, poursuit-il, « plus d’un millénaire d’obscurantisme a enseveli la grécité coranique dans les décombres d’une exégèse d’obédience idéologique, voire politique. » C’est pourquoi, écrit-il, « nous avons réexaminé le Coran avec un esprit neuf dégagé des pseudo-certitudes de la féodalité « maraboutique » et de la falsification de l’histoire de l’islam perpétrée par l’Occident qui s’est efforcé d’oublier son héritage arabe dans la transmission et l’enrichissement du legs hellène ». L’objectif de ce réexamen est qu’il « faut désormais émanciper le croyant en l’orientant vers une lecture personnelle du message de Dieu ». En clair, la « guerre » est triplement déclarée : contre la Tradition (« Le temps est maintenant révolu de laisser aux prétendus religieux le soin de théoriser des inepties sur le Coran »), contre l’Occident (qui n’a pas voulu reconnaître l’héritage grec du Coran) et contre tous les prétendus exégètes du Coran. Pour dérouler ce vaste programme, l’auteur s’aidera de l’apport de certains chercheurs dont l’helléniste et anthropologue tunisien Youssef Seddik (son prénom est tantôt écrit « Yousseph » tantôt « Youssef » par l’auteur) à qui un hommage méritant est rendu dans l’avant-propos :
« Sur les traces du Tunisien Yousseph Seddik, un pionnier remarquable à qui nous rendons un hommage admiratif et respectueux, nous nous proposons de «pister» les traces de la culture grecque dans le Coran » En fait, pour un lecteur assidu de Seddik, l’ouvrage de Sankharé apparait comme une redite. Dans Nous n’avons jamais lu le Coran du Tunisien par exemple, tout un développement est consacré à « La parole du Coran et l’hellénité » (titre du chapitre II). Tous les thèmes développés par le Tunisien sont repris dans le livre de Sankharé. Youssef Seddik y apparait d’ailleurs comme le « Magister » dont le jugement fait autorité. L’évocation du nom du Tunisien tient lieu par moment de faire-valoir, d’argument démonstratif : « Yousseph Seddik a brillamment démontré que le Coran n’avait jamais été lu d’une lecture critique », « Cette rencontre entre la République de Platon et le Coran se trouve confirmée par Youssef Seddik qui a remarqué la similitude de la description de la fin du monde et du jugement dernier dans les deux textes », « Youssef Seddik a magistralement démontré le caractère grec de la langue du Coran dans ses deux ouvrages remarquables, Nous n’avons jamais lu le Coran et Le Coran autre lecture, autre traduction.
Bon nombre de termes ont été répertoriés dans ces œuvres qui illustrent indiscutablement la présence de l’hellénisme dans le message d’Allah », etc. L’impression générale que nous avons eue après avoir fermé ce livre, est qu’il a été rédigé à la hâte. Si l’auteur utilise beaucoup le conditionnel, il est catégorique par moment sur des thèmes qui sont parfois controversés dans le milieu de la recherche. Nous y avons repéré des références manquantes, des généralisations empressées, des conclusions boiteuses voire des contradictions. L’auteur est ferme quand il écrit que le Coran « professe l’enseignement des présocratiques, de Platon et des postsocratiques » ou quand il dit que « c’est la figure de Platon qui est omniprésente dans le Coran ». Il est sans précaution quand il écrit que « Même l’Envoyé de Dieu a été taxé d’illettré par suite d’une interprétation fallacieuse du Coran qui parle plutôt d’un Prophète de la « Umma », de la communauté. ». Il déforme les propos du chercheur Michel Cuypers. Sankharé affirme en effet que « Michel Cuypers a déjà montré l’influence de cette rhétorique grecque sur le Coran même s’il l’appelle rhétorique sémitique. ». En réalité, « rhétorique sémitique » et rhétorique grecque » sont opposées chez Michel Cuypers. Selon ce dernier, le Coran relève d’une rhétorique sémitique commune avec la Bible très différente de la rhétorique grecque.
La rhétorique grecque compose un discours selon un développement logique et linéaire tandis que la rhétorique sémitique procède par un jeu complexe de correspondance par symétrie qui alterne parallélismes, compositions en miroir ou concentriques, à différents niveaux textuels qu’il s’agisse des versets, des groupes de versets ou des grands blocs sémantiques. Cuypers a d’ailleurs produit tout un ouvrage, Le Festin, consacré à la sourate Mâ’ida pour illustrer cette rhétorique sémitique différente de la rhétorique grecque. Après nous avoir dit par ailleurs que « L’adoration du Soleil Hélios est attestée en Grèce comme dans le Coran », il cite le verset suivant consacré à la reine de Saba et qui semble bien réprouver l’adoration du soleil : « Je l’ai trouvée, elle et son peuple, se prosternant devant le Soleil au lieu d’Allah. Le diable leur a embelli leurs actions, et les a détournés du droit chemin, et ils ne sont pas bien guidés. (Coran, XXVII, 24). Sauf que, curieusement, Sankharé écrit dans la phrase qui suit que « C’est le Coran même qui assimile Allah au dieu grec Hélios ». Pour étayer son propos, il donne le verset suivant « C’est ainsi qu’Allah fait pénétrer la nuit dans le jour, et fait pénétrer le jour dans la nuit. Allah est, certes, Audient et Clairvoyant. ». À moins de rester dans un pur symbolisme, comment le Coran peut-il, d’un côté rejeter le culte rendu au soleil, et de l’autre, faire d’Allah l’équivalent d’un dieu-soleil? Autre exemple : citant la sourate L’Aube du Coran et le verset suivant :
« L’aube » : Par l’aube et par les dix nuits. Par le pair et l’impair ! », le Pr. Sankharé affirme de manière empressée que le « dix » est issu du fameux tétractys de Pythagore, c’est-à-dire le « 10 efficace », qui est la somme des 4 premiers nombres 1+2+3+4=10. Affirmation pas très démontrée à notre avis si l’on sait par ailleurs que le « dix » apparaît dans le « Dénaire » Maya où le nombre dix ne se prononçait jamais car jugé sacré. Il est aussi évoqué dans « Les dix plaies d’Égypte ». On se souvient que Platon a parlé dans le Timée des dix dieux-rois de l’Atlantide révélés à Solon par les prêtres égyptiens. Si l’on sait que Pythagore séjourna aussi durant 22 ans en Égypte et qu’il s’y fit circoncire avant d’être initié à l’astronomie, à la géométrie et aux mystères, d’autres hypothèses devraient être retenues. Dans ses discussions étymologiques, Le Pr. Sankharé conteste le sens généralement donné à « Moïse » (traduit généralement par « Sauvé des eaux »). Toute la recherche contemporaine s'accorde sur l'origine égyptienne du nom. Mais pour lui, c’est une « étymologie fantaisiste ». Le nom dériverait plutôt « du participe parfait du verbe latin mittere qui fait missus (envoyé) ».
Ce serait donc « une contamination de l’histoire de Romulus et Rémus sauvés des eaux du Tibre ». Sur ce point, une simple discussion avec son collègue Aboubakry Moussa Lam lui aurait peut-être évité ce genre d’affirmations lapidaires. Lam a en effet consacré tout un article, disponible en ligne, sur l’origine du mot « Moïse » et qui s’accorde avec la recherche actuelle. (Aboubacry Moussa LAM, « Moïse : essai étymologique », Revue ANKH, n°10/11, octobre 2003). L’état des recherches sur le Coran La liste des manquements notés ci-dessus est loin d’être exhaustive. Mais avant d’en venir aux affirmations qui ont suscité des réprobations, dressons un peu l’état de la recherche sur la question des influences coraniques. Présentement, trois approches existent à propos de l’histoire du Coran : le courant traditionnel, le courant critique et le courant hypercritique. Le courant traditionnel véhicule l’histoire officielle du Coran selon laquelle le message a été révélé en « langue arabe claire » au Prophète qui le reçut en dictée, mot à mot, sur une durée de 23 ans. C’était au VIIe siècle à la Mecque et à Médine. Le Prophète Muhammad édita en partie les fragments, mais la recension complète s’étendit sur 20 ans et fut l’œuvre du 3e calife Uthmân qui le publia comme version définitive. Ce courant repose sur les indications données par le Coran, sur les hadiths (recueil de textes à la mort du Prophète) et sur la biographie (Sira) du Prophète.
Le courant dit critique affirme, quant à lui, que seul l’examen scientifique de la Tradition textuelle permet de trier le bon grain de l’ivraie, c’est-à-dire, de classer les informations reçues selon leur degré de crédibilité. À ce courant appartiennent des auteurs tels que Friedrich Schwally, un des auteurs du célèbre ouvrage Histoire du Coran (Geschichte des Qorâns). On y compte d’autres chercheurs tels que Gregor Schoeler (il a étudié le fameux manuscrit trouvé à Sanaa), le Britannique John Burton, etc. En gros, ces auteurs affirment que le coran a vu le jour principalement au temps du Prophète lui-même et que la recension définitive datait du temps du 3e calife Uthmân. Par contre, le courant hypercritique conteste en bloc toute la Tradition textuelle et souligne des divergences au niveau des auteurs arabes, la longueur de la durée de la transmission qui déborde l’époque d’Uthmân, l’absence d’un contrôle critique et indépendant de la transmission du message, etc. Un des auteurs les plus célèbres de ce courant est le Britannique John Wansbrough. Avant lui, Alphonse Mingana s’était illustré dans cette voie. Cette approche postule l’idée que le Coran n’a pu prendre sa forme définitive qu’à la fin du VIIe siècle et même bien après. Il faudrait d’ailleurs selon certains d’entre les auteurs du courant hypercritique, considérer une origine non arabe du Coran. Un auteur tel que Günter Lülling estime que certaines sourates ont des origines chrétiennes préislamiques. C’est la thèse du « Coran primitif chrétien ».
Il faut signaler dans la même lancée, la parution en 2010 de l’ouvrage The Hidden Origin of Islam (Les origines cachées du Coran), ouvrage collectif dirigé par les Allemands Karl-Heinz Ohlig et Gerd-Rudiger Puin. Ils y soutiennent l’idée des influences chrétiennes. Les musulmans auraient été d’abord des chrétiens selon eux. L’italien Sergio Noseda y défend une influence sassanide sur l’écriture arabe. Un autre chercheur de ce courant hypercritique, Christophe Luxenberg (il a contribué à l’ouvrage précédent), soutient l’idée d’un héritage syro-araméen du Coran. Beaucoup de vocables utilisés dans le Coran ont selon lui une origine syro-araméenne. Les termes obscurs s’éclairent selon lui en convoquant cet héritage. Enfin, le Tunisien Youssef Seddik et d’autres comme Ali Mérad, parlent d’héritage hellène du Coran. L’ouvrage du Pr. Sankharé est à classer dans cette approche hypercritique où rien n’est encore définitif. Certaines théories sont battues en brèche par d’autres et les débats se poursuivent encore. Sankharé revient en effet sur la longue durée de la transmission, les origines étrangères du Coran notamment grecques qui selon lui seraient occultées par les musulmans. Toutefois, le professeur ne s’arrête pas là. Il conteste la signification traditionnelle du terme « Ummî » désignant l’illettrisme du Prophète. Selon Sankharé, la signification du « lis » (iqra) coranique ordonné au Prophète est mal comprise : « il serait faux de prétendre qu’il [le Prophète] était illettré.
Car alors, pourquoi Dieu omniscient lui aurait-il ordonné de lire par l’intermédiaire de l’ange alors qu’il ne savait pas lire?» Toute la Tradition est unanime qu’il faut traduire ce terme par « illettré ». On connait, d’après le hadith célèbre, la réponse donnée par le Prophète suite à la demande (« lis ») plusieurs fois répétée de l’ange Gabriel : « Mâ ana bi qâri’in » (« je ne suis pas un lecteur », « Je ne sais pas lire »). Le fameux dictionnaire arabe, Lisân, qui fait autorité pour la langue classique, retient ce sens. Le terme « « illettré » est aussi celui qui est retenu en arabe moderne. L’illettrisme est un argument crucial car il confirme l’authenticité de la prophétie de Muhammad. Un analphabète ne peut en effet être l’auteur de ce beau livre qu’est le Coran. La majorité des traducteurs du Coran conservent également ce sens. Il faut dire que ce terme peut avoir deux sens selon qu’il est utilisé au singulier ou au pluriel. Il peut signifier « illettré », dans la majorité des cas, mais il fait au pluriel (ummiyyûn/ummiyyîn) en référence à la communauté, à la nation. Ce terme utilisé au pluriel désigne « ceux qui n’avaient pas reçu de Livre », les Goyim de la tradition juive. Le terme « Gentils » est généralement utilisé pour les désigner. On note ainsi quelques différences de traduction entre l’exégèse islamique traditionnelle et l’orientalisme. Des divergences apparaissent également entre Orientalistes. Ainsi Blachère et Masson dans leur traduction du Coran traduisent « Nabi yil ummî » par « le Prophète des Gentils ».
André Chouraqi retient, lui, « le Nabi des matries » en référence à « Umm » (« mère », donc tel qu’issu de la mère, fruste, dénué de savoir, etc.). L’orientaliste Jacques Berque parle également de «Prophète maternel ». Le Pr. Sankharé lui est formel : « Même l’Envoyé de Dieu a été taxé d’illettré par suite d’une interprétation fallacieuse du Coran qui parle plutôt d’un Prophète de la « Umma », de la communauté. ». On voit bien que le Pr. Sankharé ne se limite pas à l’évocation de l’hypothèse, compréhensible du reste, d’une possible influence du grec sur le Coran. Il conteste aussi des éléments du credo musulman, discute d’étymologies de termes arabes, accuse les ulémas (hommes de savoir) de falsification, etc. Le Pr Sankharé tient à son « Prophète des Gentils » car si le Prophète ne fut pas illettré, tout le champ des influences recues, la grecque y compris, restent possible et justifiées. Au delà de la Grèce Dans une contribution rédigée après l’émission (L’entretien) avec le journaliste Sada Kane, nous évoquions le fait que le Pr. Sankharé « ne voyait que grec ». Pour lui, il ne fait aucun doute, « tout le message divin semble être habillé du manteau des Grecs ». Quid des autres traditions sur la Grèce elle-même? Et si le professeur tournait son regard du côté des emprunts effectués par les Grecs eux-mêmes? Ne relativiserait-il pas quelques-unes de ses affirmations lapidaires ?
Le professeur semble ignorer, écrivions-nous, que ce qu'il attribue à la Grèce est en réalité un legs de l’Afrique. Platon « le prophète » omniprésent selon lui dans le Coran, a été initié par les Mantines, de plus grands « prophètes » à la peau noire et aux cheveux crépus comme nous l'enseignent les historiens grecs (Hérodote, Strabon, Diogène Laërce, etc.). Le Pr. Sankharé qui a fréquenté l’Université de Dakar du temps de Cheikh Anta Diop ne peut donc ignorer les thèses du célèbre égyptologue. Le professeur sait-il que dans le Timée de Platon, on n’y fait mention de la « révélation » faite à Solon par un vieux prêtre égyptien? Solon dont on dit qu'il instaura la démocratie et qui fait partie des Sept Sages de la Grèce, voyagea à Saïs en Égypte. Ce qu’il y vit, dit-il lui-même, « ni lui, ni aucun autre Grec n'en avait pour ainsi dire aucune connaissance ». Pythagore, nous le rappelions plus haut, séjourna sur recommandation de son maître Polycrate, durant 22 ans en Afrique pour étudier les mystères et les nombres. Cheikh Anta Diop s’étonnait d’ailleurs que l'on connût tout de la Grèce et très peu de l'Afrique : « Il est frappant que presque aucun nom de savant égyptien n'ait survécu. Par contre, la quasi-totalité de leurs disciples Grecs sont passés à la postérité en s'attribuant les inventions et découvertes de leurs maîtres Égyptiens anonymes.
C'est ce qui ressort des passages de Jamblique qui précèdent, et des écrits d'Hérodote, faisant allusion à Pythagore qui se faisait passer pour l'inventeur des idées de ses maîtres. » On lit d’ailleurs dans le Dictionnaire de mythologie et de symbolique égyptienne de Robert-Jacques Thibaud (Éditions Dervy, Broché - 1997), que « L’Égypte ne voulut chercher ailleurs que dans ses temples sa conscience du monde. Elle ne souhaita pas l’imposer aux autres, c’est pourquoi elle ne reçut qu’avec réticence quelques étudiants grecs à qui elle reprochait leur ignorance et leur bavardage. Ils avaient pour nom Homère, Solon, Pythagore, Démocrite, Eudoxe, Hérodote, Jamblique, Platon, plutarque et Thalès. » Le Pr. Sankharé a raison de procéder à des comparaisons, de rappeler la transmission des savoirs. Qui peut nier qu’en 832 de l’hégire, le Calife Al-Ma’mûn fit traduire la plupart des œuvres philosophiques de la Grèce en arabe? Toutefois, ce qui est discuté, ce sont les influences grecques dans la période pré-abbasside. S’il a raison dans ses parallélismes, il a tort dans sa grécité dogmatique. Nous pensons d’ailleurs que les intentions derrière l’ouvrage de notre compatriote Papa Fary Seye, Racines égyptiennes de l'au-delà musulman, sont mieux indiquées pour l’historien des idées ou des religions. Ainsi que nous le présente son préfacier, l’égyptologue Babacar Sall : « l'auteur se démarque de toute théorisation dogmatique.
Il décrit et attire l'attention sur des constats. Les parallèles sont bien choisis comme les mots d'ailleurs. Les terrains de la comparaison relèvent aussi d'un choix judicieux. L'Égypte ancienne a été la première réussite culturelle de l'humanité historiquement datée. C'est là qu'il faut chercher les plus anciennes attestations historiques des problèmes qui ont toujours hanté et qui hantent encore l'esprit de l'homme. Ils ont pour nom: foi, scepticisme, doute, etc. Quant au Coran, parce qu'il est la révélation dans sa forme ultime, il contient toutes les étapes de la révélation…La question est de savoir si la permanence du sentiment religieux et les ressemblances décelées ne traduisent pas plutôt l'unicité de la source des messages religieux. En un mot, n'est-il pas possible de penser que tous les peuples ont reçu, à un moment particulier de l'histoire, une parcelle du message divin, du même message divin ». C’est ce que, en d’autres termes, nous rappelait la regrettée Éva de Vitray-Meyerovitch lorsqu’elle écrivait dans son ouvrage, L’islam, l’autre visage, qu’ « On ne se convertit pas à l’Islam, on embrasse une religion qui englobe toutes les autres.» Pour des passerelles entre l’Université et les daaras Le Pr. Sankharé a mal communiqué sur son œuvre. C’est un fait. Ces propos brusquement et maladroitement exprimés à la télé et dans la presse écrite ont heurté la sensibilité de beaucoup de personnes. Il est vrai que sur le plan de la religion, la foi passionnée du charbonnier peut être interpellée comme celle de l’intellectuel le plus imperturbable.
Le spectre des réactions peut aller de la passion la plus animée à l’indifférence la plus totale. De plus, la connaissance du milieu dans lequel on évolue est indispensable. Le philosophe Schopenhauer nous apprenait dans ses Parerga et Paralipomena que son collègue Fichte avait « osé laisser en dehors de son enseignement les doctrines de la religion du pays ; il en résulta qu’il fut destitué, et insulté en outre par la populace. ». On retira également au philosophe Kino Fischer son jus legendi parce qu’il enseignait le panthéisme. Kant lui n’a pu écrire sa Critique de la raison pure que sous le couvert d’un philosophe sur le trône, Frédéric II en l’occurrence. Celui-ci décédé, il s’empressa, nous dit Schopenhauer de « modifier son chef-d’oeuvre, il le mutile, il le gâte, et, en fin de compte, il est menacé de perdre sa place. ». Ceci pour dire que les écrits sur la religion ont toujours suscité des réactions diverses. En laissant entendre dans la presse que son ouvrage n’était destiné qu’aux universitaires, motif pris de ce que « l'universitaire n'a pas la même perception du Coran que ceux qui ont étudié dans les daaras. Ceux qui sont dans les daaras, on leur dit quelque chose et ils y croient », le Pr. Sankharé a fait preuve d’imprudence, de contradiction voire de mépris. N’a-t-il pas fait l’éloge dans son livre de Serigne Abdoul Aziz Sy Dabakh parce que celui-ci parlait souvent de Platon?
N’est-ce pas là la preuve concrète qu’un « sortant » des daaras peut valablement parler de Platon? Par ailleurs, qui ne connait pas les qualités intellectuelles d’un Khali Madiakhaté Kala, d’un Cheikh Moussa Kamara, d’un Serigne Mbaye Diakhaté pour ne citer que ceux-là? Ne sont-ils pas des produits des daaras? L’agrégé de grammaire Sankharé sait-il que dans ce pays qu’est le Sénégal, un homme des daaras nommé Ahmed Diaw Pakha, se faisait appeler le « Prince des grammairiens » (Sultân An-Nuhât) et qu’il parcourait les contrées à la recherche d’érudits qui pouvaient relever ses défis dans cette matière? Dans une contribution récente, nous parlions, à la suite de certains auteurs, de la pluralité des systèmes d’éducation (écoles laïques, daaras, etc.) au Sénégal qui fabrique une société de conflits. L’épisode « Sankharé » est une illustration parfaite de cette situation. D’ailleurs, en pleine polémique, une personnalité issue des daaras a invité le Pr. Sankharé à revoir sa copie et à venir « s’instruire au sein des daaras qu’il méprise ». Cette « confrontation » ne pourra, selon nous, être résolue que si des passerelles sont créées entre les daaras et l’université. Nous nous réjouissions qu’un acteur de la tradition orale, Samba Diabaré Samb, soit invité il y a quelques années à l’Université pour parler d’oralité. Des actions de ce genre devront être souvent initiées avec les personnes issues des daaras. Les passerelles ainsi créées réduiront fortement les situations d’antagonismes.
En effet, poursuit-il, « plus d’un millénaire d’obscurantisme a enseveli la grécité coranique dans les décombres d’une exégèse d’obédience idéologique, voire politique. » C’est pourquoi, écrit-il, « nous avons réexaminé le Coran avec un esprit neuf dégagé des pseudo-certitudes de la féodalité « maraboutique » et de la falsification de l’histoire de l’islam perpétrée par l’Occident qui s’est efforcé d’oublier son héritage arabe dans la transmission et l’enrichissement du legs hellène ». L’objectif de ce réexamen est qu’il « faut désormais émanciper le croyant en l’orientant vers une lecture personnelle du message de Dieu ». En clair, la « guerre » est triplement déclarée : contre la Tradition (« Le temps est maintenant révolu de laisser aux prétendus religieux le soin de théoriser des inepties sur le Coran »), contre l’Occident (qui n’a pas voulu reconnaître l’héritage grec du Coran) et contre tous les prétendus exégètes du Coran. Pour dérouler ce vaste programme, l’auteur s’aidera de l’apport de certains chercheurs dont l’helléniste et anthropologue tunisien Youssef Seddik (son prénom est tantôt écrit « Yousseph » tantôt « Youssef » par l’auteur) à qui un hommage méritant est rendu dans l’avant-propos :
« Sur les traces du Tunisien Yousseph Seddik, un pionnier remarquable à qui nous rendons un hommage admiratif et respectueux, nous nous proposons de «pister» les traces de la culture grecque dans le Coran » En fait, pour un lecteur assidu de Seddik, l’ouvrage de Sankharé apparait comme une redite. Dans Nous n’avons jamais lu le Coran du Tunisien par exemple, tout un développement est consacré à « La parole du Coran et l’hellénité » (titre du chapitre II). Tous les thèmes développés par le Tunisien sont repris dans le livre de Sankharé. Youssef Seddik y apparait d’ailleurs comme le « Magister » dont le jugement fait autorité. L’évocation du nom du Tunisien tient lieu par moment de faire-valoir, d’argument démonstratif : « Yousseph Seddik a brillamment démontré que le Coran n’avait jamais été lu d’une lecture critique », « Cette rencontre entre la République de Platon et le Coran se trouve confirmée par Youssef Seddik qui a remarqué la similitude de la description de la fin du monde et du jugement dernier dans les deux textes », « Youssef Seddik a magistralement démontré le caractère grec de la langue du Coran dans ses deux ouvrages remarquables, Nous n’avons jamais lu le Coran et Le Coran autre lecture, autre traduction.
Bon nombre de termes ont été répertoriés dans ces œuvres qui illustrent indiscutablement la présence de l’hellénisme dans le message d’Allah », etc. L’impression générale que nous avons eue après avoir fermé ce livre, est qu’il a été rédigé à la hâte. Si l’auteur utilise beaucoup le conditionnel, il est catégorique par moment sur des thèmes qui sont parfois controversés dans le milieu de la recherche. Nous y avons repéré des références manquantes, des généralisations empressées, des conclusions boiteuses voire des contradictions. L’auteur est ferme quand il écrit que le Coran « professe l’enseignement des présocratiques, de Platon et des postsocratiques » ou quand il dit que « c’est la figure de Platon qui est omniprésente dans le Coran ». Il est sans précaution quand il écrit que « Même l’Envoyé de Dieu a été taxé d’illettré par suite d’une interprétation fallacieuse du Coran qui parle plutôt d’un Prophète de la « Umma », de la communauté. ». Il déforme les propos du chercheur Michel Cuypers. Sankharé affirme en effet que « Michel Cuypers a déjà montré l’influence de cette rhétorique grecque sur le Coran même s’il l’appelle rhétorique sémitique. ». En réalité, « rhétorique sémitique » et rhétorique grecque » sont opposées chez Michel Cuypers. Selon ce dernier, le Coran relève d’une rhétorique sémitique commune avec la Bible très différente de la rhétorique grecque.
La rhétorique grecque compose un discours selon un développement logique et linéaire tandis que la rhétorique sémitique procède par un jeu complexe de correspondance par symétrie qui alterne parallélismes, compositions en miroir ou concentriques, à différents niveaux textuels qu’il s’agisse des versets, des groupes de versets ou des grands blocs sémantiques. Cuypers a d’ailleurs produit tout un ouvrage, Le Festin, consacré à la sourate Mâ’ida pour illustrer cette rhétorique sémitique différente de la rhétorique grecque. Après nous avoir dit par ailleurs que « L’adoration du Soleil Hélios est attestée en Grèce comme dans le Coran », il cite le verset suivant consacré à la reine de Saba et qui semble bien réprouver l’adoration du soleil : « Je l’ai trouvée, elle et son peuple, se prosternant devant le Soleil au lieu d’Allah. Le diable leur a embelli leurs actions, et les a détournés du droit chemin, et ils ne sont pas bien guidés. (Coran, XXVII, 24). Sauf que, curieusement, Sankharé écrit dans la phrase qui suit que « C’est le Coran même qui assimile Allah au dieu grec Hélios ». Pour étayer son propos, il donne le verset suivant « C’est ainsi qu’Allah fait pénétrer la nuit dans le jour, et fait pénétrer le jour dans la nuit. Allah est, certes, Audient et Clairvoyant. ». À moins de rester dans un pur symbolisme, comment le Coran peut-il, d’un côté rejeter le culte rendu au soleil, et de l’autre, faire d’Allah l’équivalent d’un dieu-soleil? Autre exemple : citant la sourate L’Aube du Coran et le verset suivant :
« L’aube » : Par l’aube et par les dix nuits. Par le pair et l’impair ! », le Pr. Sankharé affirme de manière empressée que le « dix » est issu du fameux tétractys de Pythagore, c’est-à-dire le « 10 efficace », qui est la somme des 4 premiers nombres 1+2+3+4=10. Affirmation pas très démontrée à notre avis si l’on sait par ailleurs que le « dix » apparaît dans le « Dénaire » Maya où le nombre dix ne se prononçait jamais car jugé sacré. Il est aussi évoqué dans « Les dix plaies d’Égypte ». On se souvient que Platon a parlé dans le Timée des dix dieux-rois de l’Atlantide révélés à Solon par les prêtres égyptiens. Si l’on sait que Pythagore séjourna aussi durant 22 ans en Égypte et qu’il s’y fit circoncire avant d’être initié à l’astronomie, à la géométrie et aux mystères, d’autres hypothèses devraient être retenues. Dans ses discussions étymologiques, Le Pr. Sankharé conteste le sens généralement donné à « Moïse » (traduit généralement par « Sauvé des eaux »). Toute la recherche contemporaine s'accorde sur l'origine égyptienne du nom. Mais pour lui, c’est une « étymologie fantaisiste ». Le nom dériverait plutôt « du participe parfait du verbe latin mittere qui fait missus (envoyé) ».
Ce serait donc « une contamination de l’histoire de Romulus et Rémus sauvés des eaux du Tibre ». Sur ce point, une simple discussion avec son collègue Aboubakry Moussa Lam lui aurait peut-être évité ce genre d’affirmations lapidaires. Lam a en effet consacré tout un article, disponible en ligne, sur l’origine du mot « Moïse » et qui s’accorde avec la recherche actuelle. (Aboubacry Moussa LAM, « Moïse : essai étymologique », Revue ANKH, n°10/11, octobre 2003). L’état des recherches sur le Coran La liste des manquements notés ci-dessus est loin d’être exhaustive. Mais avant d’en venir aux affirmations qui ont suscité des réprobations, dressons un peu l’état de la recherche sur la question des influences coraniques. Présentement, trois approches existent à propos de l’histoire du Coran : le courant traditionnel, le courant critique et le courant hypercritique. Le courant traditionnel véhicule l’histoire officielle du Coran selon laquelle le message a été révélé en « langue arabe claire » au Prophète qui le reçut en dictée, mot à mot, sur une durée de 23 ans. C’était au VIIe siècle à la Mecque et à Médine. Le Prophète Muhammad édita en partie les fragments, mais la recension complète s’étendit sur 20 ans et fut l’œuvre du 3e calife Uthmân qui le publia comme version définitive. Ce courant repose sur les indications données par le Coran, sur les hadiths (recueil de textes à la mort du Prophète) et sur la biographie (Sira) du Prophète.
Le courant dit critique affirme, quant à lui, que seul l’examen scientifique de la Tradition textuelle permet de trier le bon grain de l’ivraie, c’est-à-dire, de classer les informations reçues selon leur degré de crédibilité. À ce courant appartiennent des auteurs tels que Friedrich Schwally, un des auteurs du célèbre ouvrage Histoire du Coran (Geschichte des Qorâns). On y compte d’autres chercheurs tels que Gregor Schoeler (il a étudié le fameux manuscrit trouvé à Sanaa), le Britannique John Burton, etc. En gros, ces auteurs affirment que le coran a vu le jour principalement au temps du Prophète lui-même et que la recension définitive datait du temps du 3e calife Uthmân. Par contre, le courant hypercritique conteste en bloc toute la Tradition textuelle et souligne des divergences au niveau des auteurs arabes, la longueur de la durée de la transmission qui déborde l’époque d’Uthmân, l’absence d’un contrôle critique et indépendant de la transmission du message, etc. Un des auteurs les plus célèbres de ce courant est le Britannique John Wansbrough. Avant lui, Alphonse Mingana s’était illustré dans cette voie. Cette approche postule l’idée que le Coran n’a pu prendre sa forme définitive qu’à la fin du VIIe siècle et même bien après. Il faudrait d’ailleurs selon certains d’entre les auteurs du courant hypercritique, considérer une origine non arabe du Coran. Un auteur tel que Günter Lülling estime que certaines sourates ont des origines chrétiennes préislamiques. C’est la thèse du « Coran primitif chrétien ».
Il faut signaler dans la même lancée, la parution en 2010 de l’ouvrage The Hidden Origin of Islam (Les origines cachées du Coran), ouvrage collectif dirigé par les Allemands Karl-Heinz Ohlig et Gerd-Rudiger Puin. Ils y soutiennent l’idée des influences chrétiennes. Les musulmans auraient été d’abord des chrétiens selon eux. L’italien Sergio Noseda y défend une influence sassanide sur l’écriture arabe. Un autre chercheur de ce courant hypercritique, Christophe Luxenberg (il a contribué à l’ouvrage précédent), soutient l’idée d’un héritage syro-araméen du Coran. Beaucoup de vocables utilisés dans le Coran ont selon lui une origine syro-araméenne. Les termes obscurs s’éclairent selon lui en convoquant cet héritage. Enfin, le Tunisien Youssef Seddik et d’autres comme Ali Mérad, parlent d’héritage hellène du Coran. L’ouvrage du Pr. Sankharé est à classer dans cette approche hypercritique où rien n’est encore définitif. Certaines théories sont battues en brèche par d’autres et les débats se poursuivent encore. Sankharé revient en effet sur la longue durée de la transmission, les origines étrangères du Coran notamment grecques qui selon lui seraient occultées par les musulmans. Toutefois, le professeur ne s’arrête pas là. Il conteste la signification traditionnelle du terme « Ummî » désignant l’illettrisme du Prophète. Selon Sankharé, la signification du « lis » (iqra) coranique ordonné au Prophète est mal comprise : « il serait faux de prétendre qu’il [le Prophète] était illettré.
Car alors, pourquoi Dieu omniscient lui aurait-il ordonné de lire par l’intermédiaire de l’ange alors qu’il ne savait pas lire?» Toute la Tradition est unanime qu’il faut traduire ce terme par « illettré ». On connait, d’après le hadith célèbre, la réponse donnée par le Prophète suite à la demande (« lis ») plusieurs fois répétée de l’ange Gabriel : « Mâ ana bi qâri’in » (« je ne suis pas un lecteur », « Je ne sais pas lire »). Le fameux dictionnaire arabe, Lisân, qui fait autorité pour la langue classique, retient ce sens. Le terme « « illettré » est aussi celui qui est retenu en arabe moderne. L’illettrisme est un argument crucial car il confirme l’authenticité de la prophétie de Muhammad. Un analphabète ne peut en effet être l’auteur de ce beau livre qu’est le Coran. La majorité des traducteurs du Coran conservent également ce sens. Il faut dire que ce terme peut avoir deux sens selon qu’il est utilisé au singulier ou au pluriel. Il peut signifier « illettré », dans la majorité des cas, mais il fait au pluriel (ummiyyûn/ummiyyîn) en référence à la communauté, à la nation. Ce terme utilisé au pluriel désigne « ceux qui n’avaient pas reçu de Livre », les Goyim de la tradition juive. Le terme « Gentils » est généralement utilisé pour les désigner. On note ainsi quelques différences de traduction entre l’exégèse islamique traditionnelle et l’orientalisme. Des divergences apparaissent également entre Orientalistes. Ainsi Blachère et Masson dans leur traduction du Coran traduisent « Nabi yil ummî » par « le Prophète des Gentils ».
André Chouraqi retient, lui, « le Nabi des matries » en référence à « Umm » (« mère », donc tel qu’issu de la mère, fruste, dénué de savoir, etc.). L’orientaliste Jacques Berque parle également de «Prophète maternel ». Le Pr. Sankharé lui est formel : « Même l’Envoyé de Dieu a été taxé d’illettré par suite d’une interprétation fallacieuse du Coran qui parle plutôt d’un Prophète de la « Umma », de la communauté. ». On voit bien que le Pr. Sankharé ne se limite pas à l’évocation de l’hypothèse, compréhensible du reste, d’une possible influence du grec sur le Coran. Il conteste aussi des éléments du credo musulman, discute d’étymologies de termes arabes, accuse les ulémas (hommes de savoir) de falsification, etc. Le Pr Sankharé tient à son « Prophète des Gentils » car si le Prophète ne fut pas illettré, tout le champ des influences recues, la grecque y compris, restent possible et justifiées. Au delà de la Grèce Dans une contribution rédigée après l’émission (L’entretien) avec le journaliste Sada Kane, nous évoquions le fait que le Pr. Sankharé « ne voyait que grec ». Pour lui, il ne fait aucun doute, « tout le message divin semble être habillé du manteau des Grecs ». Quid des autres traditions sur la Grèce elle-même? Et si le professeur tournait son regard du côté des emprunts effectués par les Grecs eux-mêmes? Ne relativiserait-il pas quelques-unes de ses affirmations lapidaires ?
Le professeur semble ignorer, écrivions-nous, que ce qu'il attribue à la Grèce est en réalité un legs de l’Afrique. Platon « le prophète » omniprésent selon lui dans le Coran, a été initié par les Mantines, de plus grands « prophètes » à la peau noire et aux cheveux crépus comme nous l'enseignent les historiens grecs (Hérodote, Strabon, Diogène Laërce, etc.). Le Pr. Sankharé qui a fréquenté l’Université de Dakar du temps de Cheikh Anta Diop ne peut donc ignorer les thèses du célèbre égyptologue. Le professeur sait-il que dans le Timée de Platon, on n’y fait mention de la « révélation » faite à Solon par un vieux prêtre égyptien? Solon dont on dit qu'il instaura la démocratie et qui fait partie des Sept Sages de la Grèce, voyagea à Saïs en Égypte. Ce qu’il y vit, dit-il lui-même, « ni lui, ni aucun autre Grec n'en avait pour ainsi dire aucune connaissance ». Pythagore, nous le rappelions plus haut, séjourna sur recommandation de son maître Polycrate, durant 22 ans en Afrique pour étudier les mystères et les nombres. Cheikh Anta Diop s’étonnait d’ailleurs que l'on connût tout de la Grèce et très peu de l'Afrique : « Il est frappant que presque aucun nom de savant égyptien n'ait survécu. Par contre, la quasi-totalité de leurs disciples Grecs sont passés à la postérité en s'attribuant les inventions et découvertes de leurs maîtres Égyptiens anonymes.
C'est ce qui ressort des passages de Jamblique qui précèdent, et des écrits d'Hérodote, faisant allusion à Pythagore qui se faisait passer pour l'inventeur des idées de ses maîtres. » On lit d’ailleurs dans le Dictionnaire de mythologie et de symbolique égyptienne de Robert-Jacques Thibaud (Éditions Dervy, Broché - 1997), que « L’Égypte ne voulut chercher ailleurs que dans ses temples sa conscience du monde. Elle ne souhaita pas l’imposer aux autres, c’est pourquoi elle ne reçut qu’avec réticence quelques étudiants grecs à qui elle reprochait leur ignorance et leur bavardage. Ils avaient pour nom Homère, Solon, Pythagore, Démocrite, Eudoxe, Hérodote, Jamblique, Platon, plutarque et Thalès. » Le Pr. Sankharé a raison de procéder à des comparaisons, de rappeler la transmission des savoirs. Qui peut nier qu’en 832 de l’hégire, le Calife Al-Ma’mûn fit traduire la plupart des œuvres philosophiques de la Grèce en arabe? Toutefois, ce qui est discuté, ce sont les influences grecques dans la période pré-abbasside. S’il a raison dans ses parallélismes, il a tort dans sa grécité dogmatique. Nous pensons d’ailleurs que les intentions derrière l’ouvrage de notre compatriote Papa Fary Seye, Racines égyptiennes de l'au-delà musulman, sont mieux indiquées pour l’historien des idées ou des religions. Ainsi que nous le présente son préfacier, l’égyptologue Babacar Sall : « l'auteur se démarque de toute théorisation dogmatique.
Il décrit et attire l'attention sur des constats. Les parallèles sont bien choisis comme les mots d'ailleurs. Les terrains de la comparaison relèvent aussi d'un choix judicieux. L'Égypte ancienne a été la première réussite culturelle de l'humanité historiquement datée. C'est là qu'il faut chercher les plus anciennes attestations historiques des problèmes qui ont toujours hanté et qui hantent encore l'esprit de l'homme. Ils ont pour nom: foi, scepticisme, doute, etc. Quant au Coran, parce qu'il est la révélation dans sa forme ultime, il contient toutes les étapes de la révélation…La question est de savoir si la permanence du sentiment religieux et les ressemblances décelées ne traduisent pas plutôt l'unicité de la source des messages religieux. En un mot, n'est-il pas possible de penser que tous les peuples ont reçu, à un moment particulier de l'histoire, une parcelle du message divin, du même message divin ». C’est ce que, en d’autres termes, nous rappelait la regrettée Éva de Vitray-Meyerovitch lorsqu’elle écrivait dans son ouvrage, L’islam, l’autre visage, qu’ « On ne se convertit pas à l’Islam, on embrasse une religion qui englobe toutes les autres.» Pour des passerelles entre l’Université et les daaras Le Pr. Sankharé a mal communiqué sur son œuvre. C’est un fait. Ces propos brusquement et maladroitement exprimés à la télé et dans la presse écrite ont heurté la sensibilité de beaucoup de personnes. Il est vrai que sur le plan de la religion, la foi passionnée du charbonnier peut être interpellée comme celle de l’intellectuel le plus imperturbable.
Le spectre des réactions peut aller de la passion la plus animée à l’indifférence la plus totale. De plus, la connaissance du milieu dans lequel on évolue est indispensable. Le philosophe Schopenhauer nous apprenait dans ses Parerga et Paralipomena que son collègue Fichte avait « osé laisser en dehors de son enseignement les doctrines de la religion du pays ; il en résulta qu’il fut destitué, et insulté en outre par la populace. ». On retira également au philosophe Kino Fischer son jus legendi parce qu’il enseignait le panthéisme. Kant lui n’a pu écrire sa Critique de la raison pure que sous le couvert d’un philosophe sur le trône, Frédéric II en l’occurrence. Celui-ci décédé, il s’empressa, nous dit Schopenhauer de « modifier son chef-d’oeuvre, il le mutile, il le gâte, et, en fin de compte, il est menacé de perdre sa place. ». Ceci pour dire que les écrits sur la religion ont toujours suscité des réactions diverses. En laissant entendre dans la presse que son ouvrage n’était destiné qu’aux universitaires, motif pris de ce que « l'universitaire n'a pas la même perception du Coran que ceux qui ont étudié dans les daaras. Ceux qui sont dans les daaras, on leur dit quelque chose et ils y croient », le Pr. Sankharé a fait preuve d’imprudence, de contradiction voire de mépris. N’a-t-il pas fait l’éloge dans son livre de Serigne Abdoul Aziz Sy Dabakh parce que celui-ci parlait souvent de Platon?
N’est-ce pas là la preuve concrète qu’un « sortant » des daaras peut valablement parler de Platon? Par ailleurs, qui ne connait pas les qualités intellectuelles d’un Khali Madiakhaté Kala, d’un Cheikh Moussa Kamara, d’un Serigne Mbaye Diakhaté pour ne citer que ceux-là? Ne sont-ils pas des produits des daaras? L’agrégé de grammaire Sankharé sait-il que dans ce pays qu’est le Sénégal, un homme des daaras nommé Ahmed Diaw Pakha, se faisait appeler le « Prince des grammairiens » (Sultân An-Nuhât) et qu’il parcourait les contrées à la recherche d’érudits qui pouvaient relever ses défis dans cette matière? Dans une contribution récente, nous parlions, à la suite de certains auteurs, de la pluralité des systèmes d’éducation (écoles laïques, daaras, etc.) au Sénégal qui fabrique une société de conflits. L’épisode « Sankharé » est une illustration parfaite de cette situation. D’ailleurs, en pleine polémique, une personnalité issue des daaras a invité le Pr. Sankharé à revoir sa copie et à venir « s’instruire au sein des daaras qu’il méprise ». Cette « confrontation » ne pourra, selon nous, être résolue que si des passerelles sont créées entre les daaras et l’université. Nous nous réjouissions qu’un acteur de la tradition orale, Samba Diabaré Samb, soit invité il y a quelques années à l’Université pour parler d’oralité. Des actions de ce genre devront être souvent initiées avec les personnes issues des daaras. Les passerelles ainsi créées réduiront fortement les situations d’antagonismes.