La patrouille de soldats nigériens, répartie en deux colonnes, gravit à pied la large piste de sable. Bordée de buissons et d’épineux, elle se jette dans un bras du lac Tchad. Des pick-up au camouflage gris et bleu, montés de mitrailleuses, sont en position arrière. Sur la berge opposée, au bord de l’eau, à moins de cinquante mètres, se tiennent trois combattants de Boko Haram. Un de leurs guetteurs grimpe sur le talus où flotte le drapeau des insurgés, scrute le paysage, puis s’enfonce dans les buissons, sans doute pour donner l’alerte. Kalachnikov en bandoulière, un insurgé en djellaba noir luisant nargue et harangue les soldats nigériens, qui restent stoïques.
La scène dure plusieurs minutes. La tension monte d’un cran lorsque l’insurgé demande aux enfants qui lavaient du linge dans des bassines, de déguerpir. Le lieutenant nigérien souhaite éviter un incident, et opte pour un retrait. Une mission de reconnaissance tendue, mais le capitaine du détachement militaire de Bosso, n’est pas impressionné outre mesure. « Ce à quoi vous venez d’assister, c’est ce que nous vivons tous les jours. Nous menons des patrouilles jusqu’à la limite de la rivière, et naturellement nous tombons sur des éléments de Boko Haram. Parfois ils tirent en l’air, soit lorsque nous arrivons, soit lorsque nous rebroussons chemin. » En décembre, Boko Haram a pris le contrôle de Malam Fatouri, une commune nigériane à quatre kilomètres au Sud de Mamouri. Les insurgés occupent aussi les localités de Damasak et de Geidem. « Nous avons Boko Haram en face de nous, de Goudoumaria à l’ouest, jusqu’à Bosso à l’est, cela fait trois cent cinquante kilomètres, et compte tenu de la configuration du terrain, une journée de route sépare ces deux points », précise le colonel Salaou Barmou. Le commandant de la zone de défense numéro cinq du Niger prend donc la menace très au sérieux. « Cette menace implique une vigilance de tous les instants. Il y a très souvent des incursions d’éléments armés de Boko Haram, dans le but de recruter, dans le but de se ravitailler, dans le but de faire des dépôts d’armes pour éventuellement de futures opérations en territoire nigérien, pourquoi pas ? »
Des accrochages se produisent de façon sporadique lors de ces incursions. Le dernier en date remonte au 6 janvier. Les autorités nigériennes font état d’un bilan de quatre morts dans les rangs des insurgés. Face au péril, le colonel Barmou s’appuie sur le dispositif Ingar, qui veut dire « Bouclier ». Le ministère de la Défense nigérien a adopté une série de mesures en mai dernier dans la foulée du sommet de l’Elysée consacré aux moyens de répondre collectivement au groupe islamiste. Il s’agit pour l’essentiel de renforcements d’effectifs, qui profitent à la garde nationale, à la gendarmerie, à la police et aux forces armées du Niger. « Cela ne suffit pas pour rendre nos frontières totalement hermétiques », reconnaît le colonel.
Le 12 janvier le muezzin du village de Chetimari, à trente kilomètres à l’est de Diffa, a été tué par des éléments de Boko Haram. Selon nos informations, les insurgés voulaient en réalité attenter à la vie du chef du village. Un événement meurtrier qui inquiète le colonel Barmou, d’autant plus que Boko Haram dispose de relais dans cette région du Niger où les villageois sont particulièrement démunis. « Boko Haram a recruté ici. Les insurgés ont nommé trois émirs nigériens dans des localités récemment conquises de l’autre côté de notre frontière », indique le colonel, qui ajoute : « dans certains villages, ici, la population est réticente à collaborer avec les forces de défense et de sécurité du Niger. Il s’agit soit de Nigériens qui ont été recrutés ou qui sont proches de Boko Haram, soit de personnes qui redoutent des représailles de la part des insurgés. Boko Haram a créé une certaine psychose, les gens ont peur, car nous ne pouvons pas être dans tous les villages. »
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